Highclere, avant d’être connu du monde entier, grâce à Downton Abbey, était déjà célèbre, non tant par son architecture, que par son histoire qui se confond avec celle de l’Angleterre.
Un rapide aperçu donne une idée de l’antiquité du domaine, à défaut de la demeure.
Les premières traces du domaine, situé à Newbury dans le Hampshire, datent de 749, date à laquelle Cuthred, roi de Wessex, en fit don à Hunfrith, évêque de Winchester.
Higclere dans le Domesday book en 1086
Lors de l’inventaire, “Domesday”, dressé en 1086, pour Guillaume le Conquérant, la propriété est décrite ainsi :
Ménages : 20 villageois. 19 petits exploitants. 5 esclaves. 24 affranchis.
Terres et ressources
Terrain labourable : 17 terres labourables. 2 équipes de laboureurs seigneuriaux. 16 équipes de laboureurs masculins. Autres ressources : Prairie de 7 acres. Bois de 10 porcs. 1 moulin d’une valeur de 2 shillings et 5 pence. 1 église. 1 terre ecclésiastique.
Profits annuels pour le seigneur : 13 livres en 1086 ; 7 livres lors de l’acquisition par le propriétaire en 1086 ; 12 livres 3 shillings en 1066.
Propriétaires. Titulaire en chef en 1086 : Aelfric le prêtre, évêque de Winchester (Saint-Pierre et Saint-Swithin).
Il nous est difficile d’interpréter ces données aujourd’hui. Par rapport aux domaines voisins appartenant à l’évêché de Winchester, Highclere est celui qui rapporte le moins.
William de Wyckeham ( 1320-1404)
C’est à la fin du XIVème siècle, entre 1366 et 1404, que fut édifiée la première demeure seigneuriale par William de Wykeham. Il avait été lord du sceau privé, ordonné prêtre en 1362, il fut nommé évêque de Winchester en 1366, Chancelier d’Angleterre en 1376. A sa mort il était un des hommes les plus riches d’Angleterre. C’est dire si Highclere était en de bonnes mains épiscopales.
Edouard VI (1557-1553) en 1550 – Atelier de William Scrotts
En 1551, le roi Edouard VI, fils de Henri VIII et Jane Seymour, sécularisa la le domaine, attribué à l’Eglise d’Angleterre à la Réforme en 1534, et en fit don à Sir William Fitzwilliam, son favori, gouverneur du château de Windsor, d’une famille irlandaise d’origine normande, qui donna de grands personnages en Irlande et en Angleterre.
A l’époque John Ponet (1514-1556), était titulaire de l’évêché. Mais à l’obtention du siège, il avait accepté la diminution de ses revenus de 3000 à 1300 livres, ce qui explique peut-être la sécularisation du domaine de Highclere. Le domaine connut plusieurs propriétaires en 125 ans.
Sir Robert Sawyer (1633-1692)
Il devint la propriété de Sir Robert Sawyer, Procureur Général d’Angleterre et Président de la Chambres des Communes, qui en fit sa résidence. Il y fit reconstruire le château, dénommé alors Place House, en 1679.
En 1680 il attribua le bénéfice ecclésiastique de Highclere au Révérend Isaac Milles (1638-1720) qui fonda une école dans son presbytère. Son arrière petit-fils, le Révérend Richard Procope (1704-1765), titulaire de la cure, puis évêque d’Ossory, rapporta du Liban en 1738, des graines de cèdres.Qautre cent cinquante furent plantées à Highclere.
Cèdre de Highclere
En 1692, Sir Robert Sawyer laissa le domaine à sa fille unique Margaret (1660-1706) qui avait épousé en 1684 Thomas Herbert (1656-1733), 8ème comte de Pembroke, ayant occupé les charges les plus importantes du royaume.
Thomas Herbert, comte de Pembroke, par John Greenhil avant 1679 – National Portrait Gallery
Le couple eut douze enfant parmi lesquels Robert Sawyer Herbert (1693-1769), député à la Chambre des Communes à qui fut laissé le domaine de Highclere. Décédé sans enfant, il laissa Highclere à son neveu Henry Herbert (1741-1811), fils de son frère William Herbert (1696-1757).
Henry Herbert 1er comte de Carnarvon
Henry Herbert, homme politique whig (“libéral”), siégeant à la Chambre des Communes de 1768 à 1780, fut créé baron Porchester et en 1793, comte de Carnarvon, par George III. Il s’agissait de la troisième création du titre.
Blason des comtes de Carnarvon
Il fit aménager le parc selon les plans de Capability Brown entre 1774 et 1777, déplaçant ainsi le village. Les vestiges de l’église de 1689 se trouvent à l’angle nord-ouest du château.
Capability Brown (1715-1783) est le plus connu des paysagistes anglais, à l’origine du “jardin à l’anglaise” devenu à la mode des France à la fin du règne de Louis XVI. Il conçut plus de 170 parcs dont beaucoup suivent encore.
Capability Brown
Il est difficile d’en donner la liste. Une trentaine peut encore être visitée dont ceux de Highclere, Blenheim, Chatsworth, Belvoir et tant d’autres. Le paysagiste avait en 1760 un revenu annuel équivalent à 873 000 livres, soit plus d’un million d’euros. C’est dire la fortune du premier comte pour s’offrir un “parc naturel” créé de toutes pièces.
A Blenheim, des collines furent déplacées, un lac créé. Bien des folies furent aussi dessinées par Capability Brown.
Paysage typique conçu par Capability Brown -Stourhead, Wiltshire.
De son mariage avec Alicia Wyndham, il eut six enfants dont Henry Herbert (1772-1833) deuxième comte de Carnarvon, qui fut membre du Parlement, tout d’abord à la Chambre des Communes puis à la Chambre des Lords.
Il épousa en 1796 Elizabeth Kitty Acland (1772-1813), une riche héritière qui lui apporta de nombreux domaines.
Henry Herbert deuxième comte de Carnarvon par Williman Beechy en 1789
Le couple eut plusieurs enfants dont Henry Herbert (1800-1849), troisième comte de Carnarvon qui épousa en 1830 Henrietta-Anna Howard-Molyneux-Howard, nièce du duc de Norfolk.
Henry Herbert, troisième comte de Carnarvon
Leur fils ainé Henry (1831-1890), quatrième comte de Carnarvon, prit le nom de Howard Molyneux Herbert, ajoutant le nom de sa mère.
Ayant adhéré au parti conservateur, il eut une importante carrière politique. Ses propriétés couvraient plus de 14 000 hectares, principalement en Somerset.
Henry Howard Molyneux Herbert quatrième comte de Carnarvon en 1880
De son premier mariage avec lady Evelyn Stanhope (1834-1875) est né George Herbert (1866-1923), cinquième comte de Carnarvon. Il est le plus connu de tous à l’étranger.
George Herbert cinquième comte de Carnarvon
Almina Wombwell, comtesse de Carnarvon en 1908
En effet, il fut le financier des recherches pour la découverte de la tombe de Touthânkamon en confiant les travaux à Howard Carter. La fortune de son épouse Almina Wombwell 1876-1969), fille illégitime du baron Alfred de Rothschild, soit 500 000 livres en 1895 ( 73 millions en 2023) lui permit de financer l’expédition.
Après le grave accident qui faillit lui coûter la vie, Lord Carnarvon suit une longue rééducation et se consacre à la photographie. Puis il se découvre une vocation d’archéologue en prenant connaissance des travaux de Schliemann sur la ville de Troie.
La lecture d’un ouvrage de Gaston Maspero éveille en lui la vocation d’égyptologue. Son médecin lui ayant expliqué que le climat chaud et sec de l’Égypte pourrait lui être favorable, il s’installe au Caire à l’hôtel Bristol en 1903.
Hôtel Bristol au Caire
Il s’intéresse à l’achat d’une concession pour se livrer à des fouilles sur l’Égypte pharaonique. Il sollicite cette concession auprès de Gaston Maspero en fin d’année 1904.
En 1906, il obtient le permis de fouilles sur la colline de Cheikh Abd el-Gournah. Gaston Maspero lui recommande alors Howard Carter….
La rencontre des deux hommes a lieu au Louxor Hôtel. Dès leur première rencontre le pharaon Toutânkhamon est au centre de leurs discussions animées et d’abord conflictuelles. Carter avait une certaine prévention contre la noblesse anglaise. Il accepte de relever le défi.
Howard Carter (1874-1939)
À partir de l’automne 1907, commence une campagne de fouilles peu productives. Lord Carnarvon obtient un permis de fouilles pour la vallée des Rois en juin 1914. Commence alors une longue campagne de fouilles ponctuée de ci, de là, par des découvertes intéressantes.
La Vallée des Rois en 1922
L’aiguillon d’un concurrent, Theodore Monroe Davis pousse l’émulation. Davis finit par abandonner, persuadé que la tombe de Toutânkhamon est introuvable.
Howard Carter s’acharne. Le 4 novembre 1922, Carter découvre l’entrée d’une sépulture qui était cachée par les déblais. C’est l’entrée de ce qui sera reconnu quelques jours plus tard comme la tombe inviolée du pharaon Toutânkhamon.
Le comte de Carnarvon, sa fille lady Evelyn et Howard Carter devant la tombe en novembre 1922
Lord Carnarvon assiste à la découverte de cette tombe malgré sa santé chancelante, mais n’a pas la chance d’assister à la fouille finale.
Une piqûre de moustique tailladée par un rasoir, au Caire, compliquée d’une pneumonie, cause sa mort le 5 avril 1923 à 1 h 45. Il est inhumé sur Beacon Hill, dans le parc du château de Highclere.
Le comte de Carnarvon en Egypte en 1922, peu avant sa mort
Une longue opération de déblaiement des accès commence avec l’évacuation lente mais scrupuleusement menée des nombreux objets (mobilier, chars, objets divers, etc.).
Une chambre se révèle être celle d’un sarcophage inviolé. Les fouilles sont poursuivies avec l’aide financière et le soutien actif de l’épouse et de sa fille Evelyn.
Le refus obstiné de Howard Carter d’admettre la visite de la tombe avant la fin du déblaiement ainsi que les menées des indépendantistes provoquent le retard des opérations et l’expulsion de Carter. La fouille se termine, enfin, par l’ouverture du sarcophage et des trois cercueils abritant la momie.
Howard Carter devant le dernier cercueil en 1925
Lord Carnarvon aurait été la première victime de la malédiction du pharaon. Au moment de sa mort le 5 avril 1923 dans l’une des suites de l’Hôtel Grand Continental du Caire, la rumeur affirme que son chien, Susie, poussa un hurlement avant de mourir lui aussi, et toutes les lumières du château de Highclere ainsi que celles de la ville du Caire en Égypte s’éteignirent, et qu’on ne trouva aucune explication à ces pannes. Il souffrait avant cela d’un érysipèle puis d’une pneumonie.
Touthânkhamon et sa femme-sœur, Ânkhésenamon
Vingt-six autres personnes ayant un lien avec la découverte de la tombe de Toutânkhamon seraient mortes, beaucoup d’entre elles de causes naturelles et à un âge avancé, même si la rumeur laisse penser que ce serait causé par l’air de la tombe restée fermée pendant 3 000 ans.
Toutefois, Howard Carter, le premier à y entrer, n’est mort qu’en 1939 de cause naturelle, ainsi que des centaines d’ouvriers, de curieux, et parmi eux des souverains étrangers, qui visitèrent la tombe.
Le masque mortuaire de Touthânkhamon découvert le 18 octobre 1925
Cette longue digression sur le cinquième comte révèle l’importance des Carnarvon dans l’histoire archéologique car sans leur argent et celui de lady Carnarvon, son obstination et celle de lady Evelyn, leur fille, Howard Carter n’aurait pas pu arriver à mener à ses fins la campagne de fouilles.
Lady Evelyn Herbert (1901-1980) ayant passé son enfance à Highclere qui a peut-être inspiré le personnage de lady Mary Crawley
Henry Herbert (1898-1987), fut le sixième comte.
Après avoir fait la guerre, dès 1940, il se retira sur ses terres de Highclere (2000 ha), déclarant : “Les courses et l’élevage sont un mode de vie et je pense que je continuerai jusqu’à la fin de mes jours.”
Il a possédé des chevaux de course depuis l’âge de 15 ans. En 1922, alors lord Porchester, il épousa Catherine Wendell (1900-1977) une héritière américaine. Le couple divorça en 1936.
Leur fils, Henry Herbert ( 1924-2001) Après avoir quitté l’armée en 1947. Il servit en Egypte et en Italie durant la guerre, il se consacra à la gestion de son domaine de Highclere et à l’élevage de chevaux.
Henry Herbert » Porchey » septième comte de Carnarvon
Carnarvon était un ami personnel de la princesse Élisabeth, future reine Élisabeth II, depuis leur adolescence.
Elle se rendait souvent au château de Highclere et, comme ses autres amis, l’appelait « Porchey », d’après son titre de courtoisie.
En 1969, Carnarvon fut nommé directeur des courses hippiques de la Reine, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort en 2001.
Son fils, le 8e comte, filleul de la Reine, déclara : “Il s’agissait d’une amitié très équilibrée, qui couvrait de nombreux centres d’intérêt. Ils étaient de la même génération. Ils avaient traversé la guerre. Ils partageaient un profond amour de la campagne, de la faune et des chevaux. Lui et la Reine partageaient une passion commune pour tous les aspects et les détails de l’élevage équin.”
En 1956, il épousa Jean Margaret Wallop (1935-2019) une aristocrate anglaise dont la famille avait émigré aux Etats-Unis.
George Herbert, né en 1956, est le huitième comte de Carnarvon. En 1999, il a épousé, en secondes noces, une styliste Fiona Jane Mary Aitken. Ils sont les hôtes de la série Downtown Abbey.
Les actuels comte et comtesse de Carnarvon
La demeure n’était pas à l’origine telle que nous la connaissons. Au XVIIIème siècle elle était une demeure à l’allure néoclassique, voire palladienne, selon le style favori de la période.
Le journaliste, pamphlétaire et politicien William Cobbett (1763–1835) écrit dans son journal du 2 novembre 1821 : “Je suis arrivé de Berghclere ce matin et j’ai traversé le parc de Lord Carnarvon, à Highclere. C’est une belle saison pour admirer les bois. Les chênes sont encore couverts, les hêtres dans leur plus belle robe, les ormes encore bien verts, et les magnifiques frênes commencent à peine à se faner. C’est, à mon avis, le plus joli parc que j’aie jamais vu. Une grande variété de collines et de vallons. Beaucoup d’eau, et il ne manque à un endroit que les couleurs des arbres américains pour ressembler à un ruisseau ; car l’eau coule au pied d’une colline assez abrupte, densément boisée, et les branches des arbres les plus bas pendent dans l’eau et masquent complètement la berge. La maison ne m’a pas intéressé, bien qu’elle semble assez grande pour abriter la moitié d’un village ».
Aperçu du parc
Les arbres sont magnifiques, et les bois seraient plus beaux si l’on brûlait les mélèzes et les sapins, pour lesquels ils sont les seuls dignes. La grande beauté du lieu réside dans ses hautes collines, parfois aussi abruptes que le toit d’une maison, qui forment une sorte de limite, en forme de croissant, sur environ un tiers du parc, puis s’inclinent et s’éloignent sur environ un demi-tiers. Une partie de ces collines est couverte d’arbres, principalement des hêtres, dont la couleur, à cette saison, forme un magnifique contraste avec celle du paysage lui-même, si vert et si lisse ! Depuis la vallée du parc que nous longions, nous voyions presque perpendiculairement les dunes, où les arbres se sont développés par semis, plus souvent à certains endroits qu’à d’autres, formant ainsi de nombreuses parties saillantes de formes variées, et, bien sûr, autant de clairières aux formes variées. Celles-ci, toujours si belles dans les forêts et les parcs, le sont particulièrement dans cette situation élevée et avec une verdure aussi lisse que celle de ces dunes calcaires.”
La maison jusqu’au milieu du XIXème siècle
Mais en 1842, les choses changèrent. Et douze ans plus tard il y eut le nouveau Highclere, achevé en 1878. probablement la cinquième et dernière architecture de la demeure, depuis son édification.
Après 1878
Merci à Patrick Germain pour cette première partie. A suivre…