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Qui n’a pas entendu parler de Downton Abbey, cette fascinante série britannique qui, sur six saisons, nous conte les aventures d’une famille aristocratique et de sa domesticité dans un monde en mutation, qui commence avec le naufrage symbolique du Titanic, et s’achève sur un happy end au beau milieu des fantastiques Années Folles ?

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Highclere Castle, l’imposant château qui sert de décor à cette fiction, est la demeure des comtes de Carnarvon depuis des générations. Il partage avec la série qui l’a popularisé plusieurs similitudes. Downton a été sauvé de la faillite à la fin du XIXe siècle par la dot de la riche Américaine Cora Levinson (interprétée par Elizabeth McGovern) ; Highclere, de son côté, a conservé sa splendeur grâce à l’immense fortune dont bénéficia l’épouse du cinquième comte de Carnarvon, Almina Wombwell, fille adultérine du richissime Alfred de Rothschild.

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Tout comme Downton Abbey, Highclere Castle a vu défiler des personnages hauts en couleurs. Le cinquième comte de Carnarvon, George Edward Herbert, est passé à la postérité, et ce pour l’éternité, pour avoir découvert, avec Howard Carter, la tombe du pharaon Toutankhamon. Beaucoup moins connu, son demi-frère, Aubrey Herbert, a failli connaître un destin hors série. Ce gentleman anglais aurait pu devenir roi d’Albanie.

Aubrey Nigel Henry Molyneux Herbert naquit en 1880, du second mariage de Henry Herbert, 4e comte de Carnarvon, veuf en premières noces de Lady Eveleyn Stanhope, avec Elizabeth Catherine Howard, surnommée Elsie, qui était sa cousine. Bien que handicapé par une vision très faible, Aubrey Herbert eut une vie passionnante remplie d’aventures et de rebondissements.

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Polyglotte, parlant couramment le français et l’allemand, mais également à l’aise avec les langues arabe, turque, grecque et albanaise, il était fasciné par Moyen-Orient. Diplomate occasionnel, il fut en poste deux ans à Constantinople. S’étant pris d’affection, pour ne pas dire de passion, pour l’Albanie qui était sous domination ottomane, il se fit le champion de l’indépendance de ce territoire. Tant et si bien que lorsque celui-ci s’émancipa de la tutelle de la Sublime Porte à la veille de la Première Guerre mondiale, il se vit proposer par le jeune gouvernement albanais de devenir le souverain de ce nouvel État qui n’était pas encore un royaume.

La page Wikipédia qui lui est consacrée raconte en une ligne que c’est le Premier ministre Herbert Asquith qui le dissuada d’accepter cette offre surprenante. Dans son livre « Lady Almina And The Real Downton Abbey, The Lost Legacy of Highclere Castle », l’actuelle comtesse de Carnarvon, née Fiona J. M. Aitken, raconte une tout autre version de l’histoire. Elle s’appuie sur les archives familiales auxquelles elle a eu accès. Aubrey a télégraphié au château : « On m’a offert le trône d’Albanie. Stop. Puis-je accepter affectueusement Aubrey » (traduction libre de la version originale : Have been offeredthrone of Albania stop may I accept stop love Aubrey). D’une réponse laconique, Lord Carnarvon changea le destin de son cadet, et peut-être aussi des Balkans : « Non. Carnarvon. »

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D’une nature exubérante, doté d’un goût vestimentaire que ses contemporains qualifiaient de peu conventionnel, Aubrey Herbert était un homme chaleureux et totalement dénué de prétention. Sa mère, Elsie, comtesse douairière de Carnarvon, lui avait offert le domaine de Pixton Park, que son beau-fils, le demi-frère d’Aubrey, lui avait vendu pour financer ses coûteuses recherches dans la Vallée des Rois. Aubrey avait aussi hérité de son père une splendide villa sur les hauteurs de Portofino.

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En raison de sa vision médiocre, pratiquement à moitié aveugle, Aubrey Herbert fut réformé d’office lors du déclenchement des hostilités en août 1914. Néanmoins, doté d’une extraordinaire force de caractère, il se fit confectionner un uniforme de la Garde Irlandaise et, le 12 août 1914, rejoignit tout simplement le peloton en partance pour le continent. Découvert lorsque les troupes débarquèrent en France, il ne fut pas renvoyé en Angleterre, mais engagé comme interprète. Il fut blessé le 1er septembre alors qu’il chevauchait pour convoyer des messages que s’envoyaient des officiers supérieurs.

Remis sur pieds, il fut envoyé en 1915 sur un théâtre d’opérations qui lui était familier, le Moyen-Orient. Basé au Caire, il fit la campagne de Gallipoli où sa connaissance du turc lui valut d’entrer en contact avec un officier ottoman promu à un brillant avenir, un certain Mustafa Kemal… Aubrey Herbert compta aussi parmi ses connaissances Thomas Edward Lawrence, le fameux « Lawrence d’Arabie ».

En 1910, Aubrey Herbert avait fait un mariage d’amour avec Lady Mary Vesey, fille du 4e vicomte de Vesci, d’origine anglo-irlandaise. Élu une première fois en 1911 à la Chambre des communes sous la bannière conservatrice, son indépendance d’esprit lui fit adopter, vers la fin de la Grande Guerre, des idées libérales à contre-courant de celles prévalant parmi ses pairs.

Vers la fin de sa courte vie, sa santé avait considérablement décliné et il était devenu quasiment aveugle. L’énergie qui l’avait longtemps animé l’avait quitté. Désespéré d’avoir perdu la vue, il suivit les conseils ahurissants d’un médecin, véritable charlatan, qui lui déclara que sa vision allait revenir s’il se faisait retirer toutes ses dents. Malheureusement, il souffrait d’un ulcère duodénal et cette opération stupéfiante lui causa un empoisonnement du sang qui déboucha sur une septicémie fatale.

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Aubrey Herbert, le gentleman anglais qui faillit devenir roi d’Albanie, s’éteignit le 26 septembre 1923, âgé seulement de quarante-trois ans, et quelques mois après son frère aîné, également emporté par une septicémie. Il laissait une veuve et quatre jeunes enfants. Il fut inhumé dans l’église Saint Nicholas à Brushford, dans le Somerset.

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Pour en savoir plus : Lady Almina And The Real Downton Abbey, The Lost Legacy of Highclere Castle, par le 8e comtesse de Carnarvon, publié en 2011 chez Hodder&Stroughton (www.hodder.co.uk). – www.highclerecastle.co.uk – Merci à Actarus pour cet article