Lieu de résidence des quatre cardinaux de Rohan, hôtel de ville, puis palais impérial et royal, le palais Rohan est un remarquable témoignage de l’art de vivre princier au XVIIIe siècle.

C’est en 1727 seulement qu’il fut question de construire, dans l’ancienne ville libre du Saint-Empire romain germanique rattachée à la France en 1681, un palais digne du rang qu’occupait, dans l’Alsace désormais province française, un des plus grands seigneurs de son temps : Armand-Gaston-Maximilien de Rohan-Soubise, prince-évêque de Strasbourg depuis 1704, et en tant que tel landgrave de Basse-Alsace et prince du Saint-Empire, cardinal depuis 1712, grand aumônier de France en 1713, grand commandeur de l’Ordre du Saint-Esprit.

Armand-Gaston, cinquième fils de François de Rohan (prince de Soubise, lieutenant général des armées du roi) et d’Anne de Rohan-Chabot, laissait volontiers courir la rumeur, rapportée par tous les mémorialistes du temps, d’une liaison de sa mère avec le roi l’année précédant sa naissance, ce qui aurait expliqué la protection exceptionnelle que Louis XIV lui accordait et notamment son accession aux plus hautes charges ecclésiastiques du royaume. « Prince avec toute sa famille par la grâce du roi et la beauté de sa mère », c’est ainsi que Saint-Simon résumait la situation.

Ayant obtenu en 1727, par lettres patentes du roi, l’autorisation de prélever un impôt sur les habitants de l’évêché pour la construction du nouveau palais épiscopal, ce fut également à Robert de Cotte que le cardinal en demanda les plans.

La mission qui incombait à l’architecte était complexe, dans la mesure où il fallait traduire dans la pierre la vocation à la fois ecclésiastique et politique de la fonction du prince-évêque. De par sa situation dans une province française de date assez récente et sa position aux marches du royaume, le palais Rohan se devait de signifier la puissance et le rayonnement artistique français, par-delà le goût très sûr du brillant prélat et homme de cour qu’était «le « grand cardinal ». Il fallait par ailleurs marquer avec éclat le retour du culte catholique dans une ville où il avait été réduit à la clandestinité depuis plus d’un siècle. Soulignons, enfin, que le palais allait être la résidence du premier prince-évêque français de Strasbourg.

Le plan établi par Robert de Cotte est celui des grands hôtels parisiens de l’époque, disposés entre cour et jardin. La construction du palais, sous la direction de Joseph Massol (1706-1771), s’échelonna de 1732 à 1742. Élevés sur un terrain trapézoïdal descendant en pente vers l’Ill depuis la cathédrale, les bâtiments sont disposés autour d’une vaste cour d’honneur.

Au nord, la façade d’entrée, donnant sur la place du château et la cathédrale, est percée en son milieu d’un portail monumental en forme d’arc de triomphe qui reprend, de façon plus somptueuse, celui de l’hôtel de Soubise, à Paris, propriété des parents du cardinal. Ce portail, logé au centre d’un hémicycle encadré de deux pavillons d’angle, est couronné par les groupes sculptés de la Clémence et de la Religion, tandis que, de part et d’autre, des pots-à-feu en forme d’encensoir et des groupes de génies ponctuent la balustrade de la terrasse et complètent l’iconographie épiscopale. Cette façade est celle qui, par son décor, fait le plus explicitement allusion à la fonction de résidence épiscopale ; elle est aussi le seul élément baroquisant du palais.

A l’ouest et à l’est, les murs de clôture de la cour d’honneur sont rythmés par un motif d’arcades aveugles.

Au sud se déploie le corps de logis principal, encadré de deux ailes en retour d’équerre abritant les entrées. Sobre, mais cependant majestueux, il comprend deux étages et un étage sous combles brisés à la Mansart, l’étage noble étant, contrairement à l’usage, situé au rez-de-chaussée en raison de la déclivité du terrain.

De ce fait, afin de ne pas interrompre l’enfilade des petits appartements occupés par le prince-évêque, l’entrée d’honneur a pris place à l’angle sud-est de la cour.

La façade est marquée par un avant-corps médian en léger ressaut, animé de pilastres superposés et couronnés par un fronton armorié portant sur les rampants, à l’instar de l’hôtel de Soubise, deux statues de Robert Le Lorrain (1666-1743, actif à Strasbourg de 1735 à 1738) : La Force et La Prudence. Des têtes sculptées, dues au ciseau du même artiste, ornent les clés de cintre des fenêtres du rez-de-chaussée. Les ailes en retour, abritant les entrées, sont encadrées de piliers et colonnes accouplées, composition chère à Robert de Cotte.

La façade sur l’Ill, enfin, est la plus palatiale. Elle est constituée de trois étages : le rez-de-chaussée, faisant office de soubassement, de plain-pied avec la terrasse bordant la rivière (l’espace étant insuffisant pour un jardin), le « bel étage » comprenant les appartements de parade et le second étage réservé aux appartements des personnes de la suite du cardinal. Trois avant-corps animent l’élévation de la façade : un avant-corps central orné de colonnes d’ordre colossal supportant un fronton armorié couvert par un dôme, et deux latéraux, à larges balcons en ferronnerie. A l’extrémité occidentale s’ajoute à cette façade un corps de bâtiment plus bas, d’un étage, correspondant à l’aile de la bibliothèque que prolonge la chapelle.

L’exceptionnelle qualité du décor intérieur du palais Rohan répond à celle de son architecture. Robert de Cotte, Premier architecte du roi, en a donné les idées générales et l’exécution s’est déroulée entre 1737 et 1742. Il convient d’y faire la part de Joseph Massol, peut-être guidé par un grand décorateur parisien, mais aussi aidé de sculpteurs-ornementistes tels que Leprince et surtout Nahl et Saint-Laurent, qui ont propagé le style du palais Rohan à l’étranger. Les plafonds de l’appartement royal sont quant à eux probablement l’œuvre d’une équipe de stucateurs italiens, les Castelli et Morsegno.

L’étage noble du palais comprend deux enfilades d’appartements. L’une au Nord, côté cour d’honneur, était occupée par le prince-évêque, la seconde au Sud, côté terrasse, était réservée au roi et aux hôtes de marque que le cardinal recevait au nom du souverain.

La salle du Synode constitue la première salle d’accès aux appartements depuis le vestibule d’honneur. Elle servait de hall d’entrée et de salle à manger. L’ordonnance des murs reprend le motif d’arcades et des pilastres de la cour et du vestibule. L’ornementation des trois niches de la moitié orientale de la pièce évoque sa vocation de salle à manger : deux vasques en marbre de Rance surmontées de fresques et de décor de stuc bronzé sur le thème de l’eau encadrent la niche axiale agrémentée d’une fresque représentant Cérès, déesse des Moissons.

Le Salon des évêques, lambrissé et parqueté, constitue la première salle de la suite royale. Cette dernière comprend trois pièces qui se succèdent selon le dispositif en usage sous l’Ancien Régime : antichambre, chambre puis cabinet.

L’antichambre des grands appartements tire son nom des huit portraits en pied des princes- évêques de Strasbourg ; le cardinal Armand Gaston de Rohan et ses sept prédécesseurs sur le trône épiscopal, qui étaient enchâssés dans les boiseries. Détruits en 1793, ces portraits furent remplacés après la Révolution par les allégories des vertus civiques, le palais étant devenu hôtel de ville. Les huit bustes d’empereurs romains, copies du XVIIe siècle, ont échappé aux ventes révolutionnaires et occupent toujours la place qui leur a été assignée par le cardinal de Rohan.

La Chambre du roi, avec le salon d’assemblée qui suit, se distingue particulièrement par ses boiseries sculptées, peintes et dorées, ainsi que par son plafond en stuc. La richesse du décor est accentuée par quatre trumeaux de glace qui réfléchissent à l’infini l’ornementation de la pièce. L’alcôve royale s’ouvre au fond de la pièce, face aux trois fenêtres donnant sur l’Ill, entre des colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens reliées entre elles par une balustrade.

Trois tapisseries, faisant partie de l’ensemble de huit tapisseries du XVIIIe siècle consacrées à l’Histoire de Constantin et acquises par le cardinal auprès de sa nièce, la duchesse de Mazarin, sont tendues dans l’alcôve. Robert de Séry est l’auteur des peintures en dessus-de-porte réalisées d’après les Loges de Raphaël au Vatican, alors que les tableaux des trumeaux d’entre-fenêtre sont des originaux de P-I.Parrocel.

La bibliothèque clôt l’enfilade des grands appartements et donne accès à la chapelle. Les corps des bibliothèques, en acajou massif ornés d’appliques en bronze doré, font office de bas-lambris. Ils sont surmontés par les quatre dernières tapisseries de la suite de l’Histoire de Constantin qui encadrent les portraits de Louis XIV et de Louis XV. Les modèles pour les copies d’origine des évangélistes proviennent du Grand Trianon. Le plafond à décor d’arabesques a disparu en 1817, suite aux infiltrations d’eau provenant de la toiture en terrasse. La collection de bustes à l’antique, les vases de Chine et le portrait en buste du cardinal par Bouchardon, disposés sur les tablettes en marbre des bibliothèques, font partie de la décoration d’origine de la pièce, de même que le tapis de la table en broderie indo-portugaise du XVIIe siècle.

Le décor en scagliola polychrome de la chapelle est animé par trois peintures, copies d’origine d’après le Corrège commandées par le cardinal à Robert de Séry. C’est pour cette dernière qu’a été livré par Aubusson, en 1743, le tapis de pied aux armes du cardinal Armand Gaston de Rohan.

Parallèlement à l’appartement royal, côté cour, se déploie l’appartement du prince-évêque composé lui aussi de trois pièces, mais de dimensions plus modestes. Les salles sont abritent des meubles somptueux et des poêles très décoratifs, caractéristiques de l’Europe centrale.

La troisième pièce de l’enfilade cardinalice, le cabinet, est plus intime et plus confortable que les deux pièces qui la précèdent, ce qui lui a valu l’affectation de chambre à coucher de Napoléon Ier sous l’Empire. En effet, la ville qui avait acquis le palais en 1791 pour en faire sa maison commune se voit rapidement dépassée par les frais d’entretien de l’édifice, tant et si bien qu’elle décide de l’offrir à Napoléon. La proposition est acceptée par décret du 21 janvier 1806.

Les appartements du rez-de-chaussée du palais impérial sont réservés à l’empereur, ceux du premier étage à l’impératrice Joséphine et à sa suite. Jacob-Desmalter réalise le mobilier destiné à la chambre à coucher en 1807, dont seul le lit subsiste. Les sièges, livrés par le même ébéniste en 1809, proviennent du salon de compagnie de l’impératrice. L’empereur n’utilisera jamais la chambre. Le roi Charles X l’occupera en 1829.

Le palais abrite aujourd’hui le musée des arts décoratifs et le musée des Beaux-Arts. La salle d’horlogerie abrite des œuvres allant du milieu du XIVe siècle au XVIIIe siècle. Le noyau de cette collection est constitué par des éléments originaux des deux premières horloges astronomiques déposés en 1840 lors de l’installation des nouveaux mécanismes par Schwilgué. De la première horloge, dite horloge des Trois-Rois (1352-1354), subsiste le très fameux coq. Il s’agit du plus ancien automate conservé en Occident, chef-d’œuvre de mécanique médiévale reproduit dans toute l’Europe.

Les collections de céramique Hannong constituent l’une des collections de prestige du musée. Les pièces de forme comptent parmi les pièces les plus spectaculaires avec les terrines dîtes « en baroque » et surtout les terrines en trompe-l’œil à la verve naturaliste inégalée dans toute l’Europe. Animaux de basse-cour ou gibiers, fruits ou légumes inspirent, au milieu du XVIIIe siècle, les formes des terrines.

La grande terrine en forme de hure de sanglier, dépourvue de marque de fabrique, et donc antérieure à 1754, présente une polychromie d’un naturalisme raffiné. Cette pièce se situe dans la période d’extraordinaire essor des formes de la manufacture strasbourgeoise.

Cette écuelle à bouillon, réalisée en argent doré en 1756, à riche décor rocaille naturaliste, est accompagnée d’un couvercle munie d’une prise en forme de bouton de fleur. Ce modèle, caractéristique de la production strasbourgeoise, constitue une des principales spécialités des orfèvres strasbourgeois.

La typologie Renaissance du bouillon strasbourgeois cède la place à la forme parisienne entre 1730 et 1740. Ce récipient, généralement accompagné d’un présentoir et d’un couvert, servait à consommer le bouillon à l’heure du déjeuner, terme qui désignait au XVIIIe siècle le premier repas de la journée. Il était généralement accompagné d’un écrin en maroquin doublé de chamois qui permettait de le garder à l’abri de l’oxydation et de le protéger lors d’éventuels transports. (Merci à Francky pour cet article – Copyright photos : Francky et DR)