Tout au long de la tumultueuse Néva, s’étend majestueusement sur près de 200 m de long la majestueuse façade peinte en vert rehaussé de colonnes blanches aux chapiteaux jaune ocre et couronnée de 176 statues du palais d’hiver des tsars de Russie.

C’est l’impératrice Elisabeth 1ere (1709-1762), fille de Pierre le Grand, qui confia en 1754 à l’architecte italien Rastrelli le soin de bâtir l’actuel Palais d’Hiver. La construction, qui s’étala sur plus de 8 ans, fut exécutée dans le plus pur style baroque russe qui triomphait alors et ne fut achevée que peu de temps avant la mort d’Elisabeth.

Le palais est bâti à la démesure de l’empire de Russie : affectant la forme d’un vaste rectangle de 170m de long par 120m de large, il comporte 1050 pièces, 1945 fenêtres et 117 escaliers. La balustrade qui couronne l’ensemble de l’édifice mesure près de 2 km de long.

A l’intérieur, un grand escalier d’honneur à double volée en marbre de Carrare et dont le plafond est soutenu par 10 colonnes monolithes de granit gris, ouvre sur deux grandes enfilades aux innombrables salons de réception dont les boiseries ruisselantes de stucs dorés et les parquets en marqueterie de bois éblouissent tous les ambassadeurs.

A la mort d’Elisabeth, Catherine II (1729-1796) confie à l’architecte Quarenghi le soin de redécorer les grands salons de réception dans le style classique qui triomphe alors. La salle du trône est ainsi transformée dans le goût à la grecque qu’affectionne la nouvelle impératrice.

C’est également Catherine II qui fait construire en 1764 par l’architecte français Vallin de Lamothe sur les conseils de son ami Jean Jacques Rousseau le premier Ermitage afin d’y exposer la collection personnelle de tableaux et objets d’art qu’avaient acquis pour elle les ambassadeurs qu’elle avait envoyé aux quatre coins de l’Europe.

En 1787, elle fait aussi construire par le même Quarenghi le théâtre de l’Ermitage aménagé en forme d’amphithéâtre antique afin d’y faire jouer au milieu d’une société intime et choisie les pièces notamment de ses amis philosophes Denis Diderot et Friedrich Grimm. Catherine II entend ainsi affirmer à la face du monde que la Russie se situe désormais dans le concert des monarchies éclairées ouvertes aux idées des lumières.

Mais c’est sous le règne de son petit-fils, l’empereur Nicolas 1er (1796-1855) que le palais connaitra une importante transformation radicale de ses décors. En effet, le 17 décembre 1837, un drame survient : alors que la température extérieure dépasse les -30°, les poêles surchauffés mettent le feu aux boiseries de la salle Pierre 1er et se propagent rapidement à l’ensemble de l’édifice.

L’incendie mettra près de 3 jours avant d’être maîtrisé malgré le secours de 6000 pompiers et grenadiers de la Garde impériale qui viennent pomper l’eau de la Néva. Par bonheur, l’essentiel des collections de tableaux, de meubles et d’objets d’art échappe au brasier en étant promptement déposé et parfois même jeté par les fenêtres dans la neige.

Le vaste palais de l’impératrice Elisabeth n’est plus qu’une vaste ruine aux façades calcinées. Mais Nicolas 1er décide aussitôt d’attaquer la restauration de l’édifice et en confie l’énorme charge à l’architecte Vassili Stassov. Ce dernier ne va pas lésiner sur les moyens à mettre en œuvre. Plus de 6000 ouvriers vont alors travailler par des froids de 25 à 30° dans des salles chauffées à 30 degrés afin de faciliter le séchage des plâtres, peintures et des stucs.

Et en 18 mois après, le 26 mars 1839, à l’occasion du grand bal célébrant la fête de Pâques, c’est un palais d’hiver flambant neuf qui est inauguré avec des façades repeintes en jaune ocre. Si l’extérieur a été restauré rigoureusement à l’identique, à l’intérieur, de l’exubérante décoration baroque voulue par l’impératrice Elisabeth ne subsistent que l’escalier d’honneur et la chapelle du palais. Tout le reste des grands appartements a été intégralement reconstruit dans le goût néoclassique de l’époque avec et des salons d’apparat richement ornés de dorures et de marbres, décorés de pilastres, colonnes, trophées militaires et statues, le tout rehaussé par la splendeur des parquets en marqueterie réunissant jusqu’à seize essences de bois différentes.

La première enfilade de pièces d’apparat donnant sur la Néva est dominée par l’immense salle Nicolas, ainsi nommée en raison du grand portrait en pied de Nicolas 1er qui est accroché en son centre. C’est la plus vaste du palais : ouvrant par 16 fenêtres, elle mesure 1103m².  Ses murs scandés par un ensemble de colonnes de marbre à chapiteaux corinthiens, ses plafonds ornés de 11 lustres monumentaux en bronze doré, elle présente au fond dressée sur des buffets l’exceptionnelle vaisselle d’or et d’argent de Catherine II.

La salle Nicolas sert aux fastueux bals de la cour qui ont lieu pour le Nouvel An, Pâques et Noël ainsi que pour les réceptions des souverains étrangers ou les fêtes anniversaires de la famille impériale et qui peuvent rassembler jusqu’à 3000 invités. Le soir, l’immense façade du palais, dont les fenêtres sont éclairées par les milliers de bougies installées sur les nombreux lustres, girandoles et candélabres des salons, prend un aspect féerique en venant se refléter sur les eaux de la Néva. La cour des empereurs de Russie est au XIXe siècle la plus brillante des cours d’Europe.

Par la magnificence des palais, par l’immensité des salons, par le ruissellement des joyaux des femmes, par tout l’apparat du faste et du cérémonial, elle éclipse toutes les monarchies du vieux continent. Les habits chamarrés des chambellans, maîtres des cérémonies, maréchaux de la Cour et autres gentilhommes de la Chambre côtoient les somptueux uniformes constellés de décorations des officiers de la Garde impériale ou les livrées vert bronze rehaussées de galons aux aigles bicéphales des valets de pied.

Depuis l’empereur Nicolas 1er, ardent patriote, les dames de la Maison de l’impératrice sont tenues de porter la robe de cour inspirée des robes russes traditionnelles : serrée à la taille, dégageant les épaules tandis que les manches longues sont ouvertes sur le devant, elle comporte une traîne de velours dont la couleur, la longueur et les broderies indiquent le rang de la personne. Toutes les femmes de la cour doivent également porter un diadème s’inspirant des « kokochniks », anciennes coiffes russes traditionnelles de forme semi-circulaire. Là encore, selon le rang de la personne, le kokochnik est simplement de velours, de soie ou bien rehaussé de diamants ou pierres précieuses. (Un grand merci à Neoclassique pour ce premier volet de ce sujet)