En février 1917, le tsar est sur le front quand il reçoit la nouvelle de l’insurrection qui secoue la capitale, Petrograd. Une série d’événements improbables va conduire le souverain désemparé à se déposséder de sa couronne. (NB : pour des raisons de facilité de lecture, les dates sont traduites en calendrier occidental.)

Au commencement de 1917, recevant en audience Mikhaïl Rodzianko, président de la Douma, le tsar Nicolas II lui fait cet incroyable aveu de faiblesse : « Je me suis efforcé pendant vingt-deux ans de faire pour le mieux ; me serais-je tout le temps trompé ? » Le fait est que son règne, commencé en 1894, a connu bien des déboires, dont la désastreuse guerre de 1905 contre le Japon et la révolution consécutive, alors noyée dans le sang.

Comble de malheur : le seul fils du couple impérial, le Tsarévitch Alexis, est atteint d’hémophilie. C’est pour tenter de résister à cette malédiction que le Tsar et, plus encore, son épouse ont fait entrer dans leur intimité le mage Raspoutine, dont les pouvoirs de guérisseur soulagent le Tsarévitch, mais dont l’influence politique grandissante, voire envahissante, dégrade l’image de la monarchie.

Mikhail V. Rodzianko (1859-1924, Président de la Douma).

Ses relations avec le couple impérial furent difficiles : il commandita une enquête sur les agissements de Raspoutine et s’opposa à toute intervention de la tsarine dans les affaires politiques de l’Etat. Il proposa de l’envoyer en exil en Crimée jusqu’à la fin de la guerre. Il désapprouva également la décision de Nicolas II de prendre le commandement de l’armée, et critique certains Ministres qu’il jugeait incompétents.

Le 21 août 1915, Nicolas II prend une décision lourde de conséquences : il démet son oncle le Grand-Duc Nicolas Nicolaevitch du commandement suprême de l’armée, qu’il assumera à sa place.

Grand-Duc Nicolas Nikolaievitch (1856-1929).

Après avoir été écarté du commandement suprême de l’armée, il prit le commandement de l’armée du Caucase. Respecté par ses hommes, aussi bien que par les personnalités politiques occidentales, il fut pressenti pour succéder à Nicolas II en tant que Tsar. Il refusa, estimant qu’en acceptant, il violerait son serment de fidélité au Tsar.

En agissant ainsi, Nicolas II commet une double erreur. La première, c’est que les défaites de son armée lui seront directement imputées. Même si sous son commandement, l’armée russe remporte des succès, tels l’offensive Brussilov en juin 1916, la population exsangue, et lassée par cette guerre dont on ne voit pas la fin, va rendre son Tsar responsable de la situation. Nicolas est réputé avoir le mauvais oeil, élément non négligeable chez un people superstitieux. La seconde, en effectuant ce qu’il pensait être son devoir le plus sacré, à savoir partager la vie de ceux qui se battaient et mourraient pour la patrie, le Tsar s’est retire du jeu politique au moment où le bloc progressiste de la Douma, présidé par Rodzianko proposait une transition vers un système monarchique constitutionnel qui aurait pu sauver la monarchie russe.

Nicolas II, parti au front, laisse la politique intérieure entre les mains d’Alexandra. Cette mère tremblant pour la vie de son fils hémophile (maladie qui à l’époque équivalait à une condamnation à mort, avec une espérance de vie d’environ 20 années), est sous l’influence de Raspoutine. La Tsarine est impopulaire, en raison tout à la fois de ses origines allemandes (et pourtant, en tant que petite-fille de Victoria, elle se considère bien plus anglaise que germanique), de sa timidité qui la fait paraître compassée, voire rigide en public, et de l’influence que Raspoutine avait sur elle.

Entre septembre 1915 et février 1917, sous la régence d’Alexandra, la Russie eut 4 premiers Ministres, 5 ministres de l’intérieur, 3 ministres des Affaires étrangères, de la guerre, du transport et 4 de l’agriculture. La politique incessante de nomination et de renvois des Ministres et des cadres de l’administration désorganise le pays. Le people a l’impression de n’être plus gouverné que par un couple “infernal” Alexandra/Raspoutine.

Caricature de l’influence de Raspoutine sur le couple impérial, 1916

Et pourtant, à y regarder de près, la situation de la Russie n’est pas aussi catastrophique qu’il y parait en 1916: l’armée remporte des victoires, le front est stabilisé, l’opposition est désorganisée, Lénine est encore un illustre inconnu, et le peuple soutient encore majoritairement Nicolas II.

En décembre 1916, l’assassinat de Raspoutine choque profondément les convictions religieuses de Nicolas II, pour qui tout meurtre est moralement inacceptable. Le fait que des membres de la famille impériale y soient mêlés le navre encore plus. Quand il décide de punir les coupables, le Grand Duc Dimitri et le Prince Félix Youssoupov, son neveu par alliance, il se heurte à une fronde familiale, qui lui enjoint de n’en rien faire. Confronté à une perte de son autorité politique, contesté y compris au sein de sa propre famille, Nicolas II se sent trahi et sombre dans un état proche de la dépression.

Prince Felix Youssoupov (1887-1967)

Et de fait, dans la famille impériale, les complots se multiplient, pour certains en collaboration avec la Douma : abdication du Tsar sous la régence du Grand-Duc Dimitri, a qui son rôle dans l’assassinat de Raspoutine a valu une soudaine popularité au Grand-Duc Michel frère du Tsar, exil d’Alexandra en Crimée dans un couvent. A ce stade, personne n’envisage la proclamation de la république.

Le Grand-Duc Dimitri (1891-1941)

Par ailleurs Nicolas II affirme à plusieurs Ministres, dont son premier Ministre le Prince Galitsine, qu’il va aller à la Douma avant de repartir pour son Quartier Général la « Stavka » , pour annoncer la formation d’un gouvernement responsable devant elle. C’est une mesure que les députés réclament depuis longtemps. En d’autres termes, ce serait la fin de l’autocratie. (merci à la Baronne Manno pour ce récit)