Quand Nicolas II quite Tsarkoie Selo le 7 mars 1917 pour se rendre à la Stavka, il est loin de se douter que ses jours en tant que souverain sont comptés. A y regarder de près son analyse n’est pas entièrement fausse. Le peuple le considère certes comme un souverain malchanceux, mais ne le hait pas. C’est l’impératrice qui cristallise toutes les haines. Quant à la ville de Petrograd (nouveau nom de Saint-Pétersbourg, capitale de la Russie à l’époque), elle est certes agitée mais les mouvements sont désorganisés et leurs chefs potentiels encore en exil. Ce sont les apprentis sorciers monarchistes qui vont pousser Nicolas II à l’abdication pour espérer accroitre leur pouvoir.

Le Ministre de l’intérieur Protopopov a assuré au Tsar que la situation dans la capitale est sous contrôle, ce qui est vrai au 7 mars. Une garnison de près de 100 000 hommes protège la ville. Le Quartier Général est situé à Moguilev (aujourd’hui en Biélorussie), à quelques 600 km de Petrograd. Cet éloignement du Tsar de sa capitale va peser très lourd dans la suite des événements. Ci-dessus, le tsar à Moguilev en août 1915.

Jusqu’alors, le QG de l’armée russe étai situé à Baranavitchy (Biélorussie) mais fut déplacé à Moguilev, toujours en Biélorussie mais 330 km plus à l’est, en aout 1915 en raison de l’avancée des troupes allemandes. Précaution utile car ville tombera au main des Allemands le 25 juillet 1916.

A la Douma par contre, les députés s’agitent et des discours hostiles à la monarchie, demandant son renversement, s’élèvent dans l’enceinte.

L’impératrice de son côté, analyse justement la situation : les émeutes sont avant tout provoquées par les problèmes de ravitaillement et la hausse des prix. Elle tente de remédier à la situation, en proposant de réquisitionner les boulangeries militaires pour faire du pain, ou en accordant la priorité aux convois de vivres sur tous les autres trains. L’hiver rigoureux cette année là complique la situation : la neige bloque les camions de ravitaillement.

Bien que disposant de forces de répression importante, le pouvoir hésite à les mettre en oeuvre de peur de transformer l’émeute en révolution. L’Impératrice en particulier insiste sur le fait qu’il ne faut en aucun cas tirer sur la foule.

Cependant, les émeutes continuent. Les forces ordre sont dépassées, leurs commandements incompétents et quant aux réservistes de la garde ce sont essentiellement paysans, dont la formation militaire est rudimentaire et qui surtout, manquent de motivation. La première chose qu’ils vont faire, c’est de fraterniser avec les grévistes.

Le 10 mars, Nicolas II, depuis son QG de Moguilev, ordonne au général Kabalov de rétablir l’ordre, en autorisant l’usage de la force. “je vous ordonne de rétablir l’ordre dans la capitale. Ces désordres sont inacceptables à l’heure d’une guerre difficile contre l’Allemagne et l’Autriche”.

Kabalov fait placarder un manifeste dans les rues de Petrograd, qui interdit tout rassemblement et informe les éventuels contrevenants que l’armée ouvrira le feu. Malgré cette interdiction, la foule retourne plus nombreuse dans les rues et l’armée ouvre le feu sur la Perspektive Nevsky.

Serguei Kabalov (1858-1924). Chef du district militaire de Petrograd.

Le 11 mars au soir, les soldats de la 4e compagnie réserviste du régiment Pavlovski se mutinent et fraternisent avec les ouvriers en grève. Rodzianko télégraphie au Tsar “La situation est grave. La capitale est en proie à l’anarchie. Le gouvernement est paralysé. Le transport de la nourriture et du carburant sont complètement désorganisés. Une partie des troupes tirent l’autre. Vous devez immédiatement confier la formation d’un nouveau gouvernement à une personne qui jouit de la confiance de peuple. Toute procrastination serait fatale »

A 600 kilomètres de là, Nicolas II ne se rend pas compte de la gravité de la situation. Quant il le reçoit, il pense que son ministre exagère et s’exclame « encore des bêtises du gros Rodzianko ! ».

A Petrograd, la situation se dégrade d’heure en heure avec les réservistes du régiment Volinsky qui se soulèvent, rejoints par d’autres unités et même par les réservistes du légendaire régiment Preobrajenski.

Télégramme de Rodzianko daté du 26 février (11 mars) adressé à Nicolas II, pour l’informer des événements en cours dans la ville de Petrograd.

Malheureusement pour le Tsar, les télégraphistes qui lui transmettaient les dépêches dans son train étaient passés du côté des révoltés, qui reçurent ainsi, des informations de première main sur la situation dans la capitale.

12 mars 1917 : les émeutiers brûlent les symboles monarchistes

La foule, sans chef, converge vers la Douma qu’elle considère comme le pouvoir légitime. Les députes, qui ont reçu du Tsar l’ordre de dissoudre l’assemblée, refusent de s’y plier. Cependant, leur rébellion ne va pas jusqu’à la prise du pouvoir. Mais face à la foule qui a envahi l’hémicycle, Rodzianko cède et fait élire un comité provisoire qui comprend, outre lui-même, Choulguine, le Prince Lvov, Kerensky. Pour ajouter à la confusion, un deuxième organe de pouvoir est créé… au même endroit, un soviet d’ouvriers et de soldats; Kerensky dira “ deux Russie s’installèrent côte à côte, celle des classes dirigeantes qui avaient déjà perdu la partie mais n’en savait rien, et le Russie du travail qui avançait vers le pouvoir mais ne le soupçonnait pas”. Au soir du 13 mars, il existe en Russie un souverain, deux pouvoirs, mais personne ne sait encore d’où va surgir le prochain gouvernement. (Merci à la baronne Manno pour ce récit)

13 mars 1917 : la foule envahit la Douma. Selon des témoignages d’époque, les députés se demandaient si la foule allait les lyncher, ou leur demander de collaborer avec eux.