regolo_inuscitaEn 1997, Luciano Regolo avait écrit en italien une biographie fouillée de la reine Marie José d’Italie, fruit d’une série d’entretiens exclusifs avec la souveraine. L’auteur avait aussi étudié avec minutie les notes de la reine dans son agenda pendant les années sombres du fascisme en Italie, ses cahiers de voyage, sa correspondance ainsi que des extraits d’archives du roi Umberto.

Cette biographie fut traduite ensuite en français et publiée en 2001 aux Editions « Les Racines de l’Histoire » sous le titre de « Marie José de Savoie. La reine de mai ».

Luciano Regolo, diplômé en Sciences politiques de l’université LUISS (Libera Università degli Studi Sociali) de Rome est journaliste en Italie et spécialisé dans l’histoire des dynasties européennes.

Vient de paraître son nouvel ouvrage « Così combattevamo il Duce. L’impegno antifascista di Maria José di Savoia nell’archivio inedito dell’amica Sofia Jaccarino » qui revient sur les actions menées par la reine Marie José alors encore princesse de Piémont pendant la guerre 40-45 et sous le fascisme en Italie. Mussolini se méfiait de Marie José. On savait déjà que la fille d’Albert et Elisabeth, roi et reine des Belges, rencontrait en secret des intellectuels et d’autres dames d’influence sous le nom de code « Beppa ». L’Histoire a parfois ramené ses actions à de petites réunions entre dames que l’on appelait « la conjuration des dames ».

Dans ce livre, Luciano Regolo a pu avoir accès aux documents de Sofia Jaccarino, amie et compagne de combat de la reine Marie José. Il nous en livre un tout autre éclairage.

Pour l’occasion, Noblesse et Royautés a eu le grand plaisir de pouvoir interroger Luciano Regolo à propos de ce nouveau livre consacré à la reine Marie José mais aussi de lui poser de nombreuses questions sur celle qui restera « la reine de Mai »et dont la farouche détermination à combattre le fascisme est souvent méconnue du grand public.

Noblesse et Royautés : Ce livre « Così combattevamo il Duce. L’impegno antifascista di Maria José di Savoia nell’archivio inedito dell’amica Sofia Jaccarino » est le deuxième ouvrage que vous consacrez à la reine Marie José d’Italie, née princesse de Belgique. Quand avez-vous rencontré la reine pour la première fois et quelle fut votre première impression ?

Luciano Regolo : J’ai rencontré pour la première fois la reine Marie José en juillet 1994 à Cuernavaca (Mexique) où elle a vécu dans une petite villa près de celle de sa fille cadette, la princesse Maria Beatrice. J’ai eu dès le premier moment l’impression d’une femme fascinante et inhabituelle qui avait appris aussi à dompter la timidité avec l’ironie. Je me souviens que sa fille m’avait proposé de me présenter en tant que jeune historien (j’avais 27 ans) plutôt que comme un journaliste. J’étais gêné parce que le journalisme était alors mon occupation habituelle. Après m’avoir fait asseoir sur le divan blanc, elle m’a dit comme s’il avait deviné tout cela : «Vous savez quel est mon dernier souhait avant de mourir ? Je voudrais tirer sur un journaliste !». Mon visage est devenu pâle. Alors la reine, souriante a ajouté : “Je plaisante, après tout, vous êtes aussi un beau jeune homme ! ». Et voilà, la glace était rompue..

Noblesse et Royautés : Marie José est la fille du roi Albert I, dit le « Roi chevalier » auréolé de gloire au sortir de la Première Guerre Mondiale et d’Elisabeth, magnifique reine en temps de guerre et artiste dans l’âme. Pensez-vous que son éducation a été ensuite déterminante dans ses différentes prises de position à la Cour royale d’Italie ?

Luciano Regolo : Oui, bien sûr . Son éducation a beaucoup compté. Surtout la mentalité de son père très respectueux des institutions et parmi les premiers monarques européens à comprendre la nécessité d’une législation sociale. La reine Marie José m’a dit que lorsqu’elle est venue en Italie en 1930, Mussolini jouissait d’une certaine estime, y compris en Angleterre et dans d’autres pays démocratiques. Il semblait alors que tout allait mieux en Italie. Mais son père (NDLR : le roi Albert I) l’avait prévenue: «Je ne fais pas confiance à ceux qui ne respectent pas le Parlement. »

Marie José n’avait pas non plus oublié les souffrances subies par la Belgique et par sa famille à cause de l’occupation allemande pendant la Première Guerre mondiale et qu’enfant, elle dessinait dans ses carnets des soldats belges courageux représentés par des lions et des lapins portant l’uniforme allemand…

C’est pour cela, qu’elle n’a jamais toléré l’alliance entre le fascisme et le nazisme car elle était certaine d’une nouvelle invasion de son pays. Elle a dit à Galeazzo Ciano, beau fils du “Duce”, qui relève cette phrase, heureux, dans son propre journal: «Les Allemands sont des porcs !».

umbertmariejoseNoblesse et Royautés : Comment la princesse Marie José était perçue lors de ses premières années de mariage à la cour royale d’Italie et en Italie ?

Luciano Regolo : Les aristocrates piémontais voulaient une princesse plus attentive aux traditions anciennes. Et à Turin où Marie José a vécu la première période de son mariage, elle a subi des critiques mais aussi des contrôles fastidieux par la police fasciste parce qu’avec sa spontanéité, elle rencontrait aussi des gens qui n’étaient pas les bienvenus aux yeux de dictature, comme l’éclectique Riccardo Gualino. Pour cette raison, Umberto a choisi de mettre à côté de sa femme Sofia Jaccarino, qui était une de ses plus chères amies depuis 1919. Fille d’ Hélène de Rochefort de la Rochelle, la meilleure amie de la reine Elena d’Italie. Les choses ont changé en 1932 lorsque les principes du Piémont ont déménagé à Naples où Marie José a été très aimée.

Noblesse et Royautés : On sait que le roi Umberto était sous l’influence résignée de son père, ce qui hypothéqua probablement aussi son propre destin royal. Victor Emmanuel qui se montra complaisant avec Mussolini, appelait sa belle-fille Marie José « la Belge ». Quels étaient leurs rapports ?

Luciano Regolo : Très souvent, Marie José ne comprenait pas les choix de son beau-père et elle était gênée parce que le roi Vittorio Emanuele III était tellement peu extraverti même en famille. Mais quand la princesse a décidé de devenir une sorte de « pont vivant » entre la Couronne et l’opposition anti-fasciste et de maintenir en vie les contacts avec les pays démocratiques, elle a toujours mis au courant son beau-père de ce qu’elle avait découvert. Elle a toujours été honnête avec lui et la dynastie de Savoie. Mais le roi et son entourage n’aimaient pas qu’une femme s’occupe de politique, donc en août 1943 lorsque le fascisme est tombé, Vittorio Emanuele III a envoyé Marie José loin de Rome entre Sant’Anna di Valdieri et d’Aoste où la princesse et ses enfants furent surpris par l’armistice avec les Alliés tandis que les autres Savoie quittaient Rome pour le Sud.

Noblesse et Royautés : Comment définiriez-vous Marie José de Savoie au niveau de sa personnalité pendant ses années à la Cour royale d’Italie ?

Luciano Regolo : Une femme intelligente, drôle, curieuse de la vie, un esprit libre, aimante et respectueuse de la culture, qui détestait les préjugés et les abus de la dictature, bien à contre-courant à cette époque en Italie.

Noblesse et Royautés : Quels étaient les amis et les relais de Marie José de Savoie pendant la période sombre du fascisme ?

Luciano Regolo : Il y avait des amis et il y avait des personnes de confiance ou plutôt des interlocuteurs pour les questions politiques. Parmi les premiers, je dirais Sofia Jaccarino et Umberto Zanotti Bianco, le futur président de la Croix-Rouge italienne, un grand philanthrope et passionné d’archéologie. Egalement, le juriste Carlo Antoni, le philosophe Benedetto Croce, le sous-secrétaire d’Etat du Vatican, Mgr Montini, futur pape Paul VI, mais aussi le chef de la police Carmine Senise ou le chef d’état-major Vittorio Ambrosio. Maria José a souvent vu aussi Badoglio, de nombreux diplomates étrangers accrédités auprès du Saint-Siège et elle a souvent échangé des informations avec Galeazzo Ciano et le pape Pie XII. Mais même dans les moments les plus dramatiques, elle n’a pas cessé de vouloir rencontrer de grandes personnalités de la culture et de l’art, et elle a été parmi les premiers admirateurs de Benedetti Michelangeli

Noblesse et Royautés : Pouvez-vous nous parler de son amie Sofia Jaccarino ? Comment décririez-vous leur travail pour faire triompher la démocratie ?

Luciano Regolo : Sofia était une femme très intelligente et discrète. Elle a été parmi les premières femmes italiennes à obtenir un diplôme en chimie pure, mais pour sa passion pour l’archéologie elle s’était consacré à la restauration des bronzes antiques. C’est dans le laboratoire de Sofia aux “Fori Imperiali” de Rome qu’avaient lieu les réunions clandestines de la princesse Maria José avec des anti-fascistes et des diplomates étrangers. Le Quirinal était espionné, il y avait des  » petits microphones  » partout. Sofia a fait rencontrer à Marie José en 1932, Benedetto Croce entre les ruines de Pompéi, avec le philosophe déguisé, avec des cylindres sous le bras comme s’il s’agissait d’un archéologue . L’action politique de Maria José, assistée par Sofia, était d’encourager le roi à rejeter Mussolini dès que possible, réunissant tous les dissidents en une seule cible, même ceux qui avaient perdu toute confiance dans la Maison royale. Parfois la princesse se confrontait directement avec le “duce” et lui posait des questions pour réaliser à quel point les choses étaient vraiment au-delà de ce qu’il proclamait publiquement. Plusieurs fois, l’ armée et la police ont « couvert » Marie José, par exemple lorsqu’un message codé envoyé par un diplomate portugais Pacheco avait été intercepté.

Noblesse et Royautés : Avec le recul des années, comment définiriez-vous la place de Marie José dans la « résistance » à l’ère Mussolini ?

Luciano Regolo : La résistance de Marie José sous l’ère de Mussolini a été courageuse, presque téméraire à certains égards mais aussi généreuse envers l’Italie. Son adhésion à la lutte était une sorte d’ “encouragement” dans les moments les plus difficiles, lorsque personne n’espérait plus que le roi trouverait la force de mettre fin à la dictature. Elle a favorisé également l’échange des renseignements: avec les politiciens opposés au “duce” , avec les militaires, avec la police, avec le ministre de la maison royale qui la a également critiquée, avec des personnages du fascisme comme Grandi et Ciano qui voulaient la fin immédiate de l’alliance avec les Allemands et qui ont réussi à faire révoquer la confiance au dictateur dans la nuit du Grand Conseil le 25 Juillet 1943. Marie José avec sa mère et des personnalités comme Montini, a également fait beaucoup, au cours des années de haine raciale, pour sauver des familles juives qui vivaient ou passaient en Italie contraints de fuir leur pays à cause de la violence du nazisme. Elle est allée à Lucerne pour assister au concert de Toscanini qui avait été mis à la frontière pour avoir défini au téléphone les lois raciales « trucs du Moyen âge”.

Noblesse et Royautés : Au cours de la rédaction de ce nouvel ouvrage, avez-vous découvert des actions, des facettes de la reine Marie José, qui vous étaient alors totalement inconnues ?

Luciano Regolo : Oui, par exemple, j’ai trouvé dans les journaux de Sofia, qu’en 1934 , Maria José, en Ligurie, s’est fait lire la main par la comtesse Sottocasa, une aristocratique chiromancienne qui avait prédit une mauvaise fin à Mussolini. J’ai aussi découvert que l’avocat de Milan , Carlo Aphel, vieil ami de Sofia, avait collaboré avec la princesse, Umberto de Savoie et Badoglio à projeter un coup d’Etat pour renverser la dictature en 1938, avait également contribué à la rédaction d’une proclamation pour les femmes d’Italie que Marie José aurait dû lire au premier jour en tant que reine. Mais le texte a été censuré par la Cour qui estima que ce n’était pas convenable. J’ai lu avec surprise aussi les comptes rendus de nombreuses réunions de Marie José en 1946 avec des démocrates chrétiens et des membres du clergé pour essayer de rassembler les voix des croyants envers la monarchie au référendum institutionnel. Et j’ai été étonné qu’à la veille du départ pour l’exil, Marie José ait confié à Sofia son énorme collection de livres.

4

Noblesse et Royautés : Après le référendum qui les a contraints à l’exil, Umberto et Marie José se sont installés au Portugal. Pour des raisons de santé dans un premier temps, Marie José est devenue s’établir en Suisse. Comme elle vous le confiait lors de vos entretiens, il n’y eut jamais de dispute entre les époux. Elle interpréta le silence du roi à une volonté de s’isoler dans la douleur de l’exil, vie dans laquelle elle pensait qu’elle n’avait plus de place. En définitive, on se trouve face à deux êtres qui ne communiquèrent pas leurs sentiments profonds face à cette nouvelle vie et qui par la force des choses s’éloignèrent. Le couple royale se retrouvait toutefois pour les grands événements comme le mariage du roi Baudouin et la reine Fabiola en décembre 1960. Jusqu’à sa mort, la reine Marie José défendit la mémoire de son époux, n’est-ce pas ?

Luciano Regolo : Ce qui les a séparés, étaient indépendant de leur volonté. Dans mes livres, après avoir lu de nombreux écrits de l’un et de l’autre, j’ai surtout essayé de faire comprendre que ce n’était pas vrai qu’ils avaient deux mentalités opposées ou qu’ils étaient si incompatibles comme de nombreux biographes inattentifs l’ont écrit . Par exemple, il est important de souligner que l’action politique de Marie José a eu lieu avec la pleine participation de Umberto qui lui, ne pouvait pas comparaître en première personne, pas seulement par l’obéissance à l’égard de son père, mais aussi parce que le “duce” a gardé un dossier sur lui avec le quel le régime fasciste a fait du chantage sur la Couronne. J’ai été frappé par les lettres que les deux ont continué à s’échanger jusqu’à la mort d’Umberto , il y en a une très belle où ils partagent la douleur pour la tragédie du Vajont, d’autres dans les quelles ils essayent de réfléchir ensemble sur le comportement des enfants … Quand en 1962 Umberto était en train de mourir de septicémie, elle a effectué un rapide aller-retour de Paris à Londres où elle avait réussi à obtenir un médicament, encore expérimental via des médecins amis. Elle lui a ainsi sauvé la vie. Je me rappelle les mots que la reine répétait souvent à Cuernavaca : « Umberto aurait été un grand roi».

Noblesse et Royautés : Comment a-t-elle vécu cet exil ? On sait qu’elle voyagea beaucoup notamment avec sa mère la reine Elisabeth.

Luciano Regolo : Marie José a réagi à l’exil avec sa curiosité pour la vie. Elle a voyagé partout dans le monde. Elle et sa mère (NDLR : la reine Elisabeth) ont été les premières reines qui sont entrées dans le Kremlin pendant la Guerre froide, puis elles ont visité la Chine de Mao. Des monarchistes italiens lui ont également écrit des lettres d’insultes pour cette raison. Elle me les a montrées en riant mais elle en avait souffert…

Elle n’était pas «communiste», elle voulait juste connaître la réalité par elle-même, comme elle l’avait toujours fait et comme elle l’avait appris de ses parents. Marie José s’est rendue en Terre Sainte, en Amérique du Sud, en Inde, … Elle a continué à rencontrer de grandes personnalités, de Rostropovitch à Noureev, de Krisnamurthi au medium Gustavo Rol. Suivant les traces de sa mère, Marie José a fondé un prix international de composition musicale pour aider les jeunes talents. Puis, passionnée d’histoire, elle a écrit trois livres sur le passé le plus glorieux de la Maison de Savoie, sur le comte Rosso et le Comte Verde Amédée VI et VII , puis sur Amédée VIII, l’antipape, dont l’introduction a été signé par deux grands esprits de la culture mondiale que sont Daniel Rops et Benedetto Croce.

Dans les années 90, elle a publié la biographie d’ Emanuele Filiberto qui avait vaincu les Français et qui comprit le premier le destin italien de sa famille. Elle a aussi écrit un livre très beau sur ses parents. Marie José a été une reine, pendant une longue période  » mal comprise  » mais surtout une femme indomptable.

Noblesse et Royautés : Comment a-t-elle vécu son retour en Italie alors que son fils et son petit-fils étaient toujours interdits de fouler le sol italien ?

Luciano Regolo : Elle est allée au Château de Sarre, elle a revu Turin, Florence et tous les endroits qu’elle avait tant aimés. À Turin, un journaliste lui a demandé si elle croyait encore en la monarchie en Italie et elle a dit ironiquement: «Je suis une reine pas une monarchiste ». Elle m’a dit qu’elle était très triste de voir la campagne toscane moins vert et belle que dans son souvenir. En ce qui concerne le fait que le fils et petit-fils ne pouvaient même pas traverser la frontière, elle a écrit ironiquement dans son journal: «Je suis seulement une veuve et donc je ne compte plus rien!”. Pour faire revoir l’Italie à Umberto, peu de temps avant sa mort, elle avait écrit au président de la République, Sandro Pertini

Noblesse et Royautés : Marie José a vécu plusieurs années auprès de sa fille la princesse Marie Béatrice au Mexique. Comment était la vie de la reine pendant ces années-là ?

Luciano Regolo : Elle était très amusée de sa nouvelle vie, heureuse du bon climat, de la nature. Elle avait toujours voulu visiter les pyramides aztèques et s’intéressait aux civilisations précolombiennes.

Elle avait également été à Oaxaca, où a été tué l’empereur Maximilien, né archiduc d’Autriche, le mari de sa grand-tante Charlotte de Belgique qu’elle avait rencontré lorsque avait 12 ou 13 ans.

Elle m’a dit que Charlotte était beaucoup plus “saine de tête” que ce qui se racontait. Un jour, Charlotte avait dit : «Si les gens vous embêtent avec des souvenirs tristes et sombres, il faut faire semblant d’être fou, personne ne vous dérangera plus ». Marie José disait qu’au Mexique, elle et Alaska, son vieux chien, avaient rajeunis. Souvent elle ouvrait sa maison où elle avait amené son piano bien-aimé pour des concerts. Elle a reçu des visites de Belgique avec Baudouin et Fabiola, puis également Albert et Paola. Chaque après-midi, la reine offrait le thé à une vieille comtesse de Toscane qui habitait non loin de chez elle. La comtesse détestait le grand tableau de Zapata que Marie José gardait dans son salon: « Une reine”, disait la comtesse, “ne devrait pas garder l’image d’un révolutionnaire. » Alors, Marie José, amusée, répondait: « Mais il a fait mieux que beaucoup de rois. »

int_titreNoblesse et Royautés : La reine a vécu ses dernières années en Suisse. Pouvez-vous nous en parler ?

Luciano Regolo : Elle a séjourné chez son fils Vittorio Emanuele puis chez sa fille Maria Gabriella. A Vezenaz, chez Vittorio, en 1996, ont étés célébrés ses 90 ans. Je me souviens que sont arrivés aussi Siméon de Bulgarie avec sa femme, Fabiola et nombreuses personnes qui ont été chères à Marie José, comme son ancienne secrétaire de Merlinge. A cette époque, elle m’a dit qu’elle aurait rêvé d’aller avec son frère Charles (NDLR : prince Charles de Belgique, ancien régent du royaume) sur la lune et qu’elle aurait vraiment aimé le faire. Souvent, Chenoux, le chien de Vittorio et de sa femme Marina Doria, montait dans sa chambre. Et la reine m’expliquait: «C’est parce que je lui donne de bonnes choses à manger, les chiens sont plus honnêtes que les hommes et ils révélent toujours leurs véritables intentions ». Maria Gabriella a tout fait pour sa mère passe de la manière la plus sereine et confortable possible ses dernières années. Aujourd’hui, la princesse elle-même cultive la mémoire de sa mère, avec la Fondation qu’elle a créé à Genève et qui porte le nom de ses parents, “Umberto II et Marie José”.

Noblesse et Royautés : Quel est aujourd’hui, selon vous, la perception de la monarchie en Italie ? Le petit-fils de Marie José, le prince de Venise est devenu un personnage télévisé très connu.

Luciano Regolo : La monarchie s’est achevée avant même le référendum du 2 juin 1946 à cause de l’étreinte mortelle entre la Couronne et le fascisme ainsi que les désastres de la guerre. Umberto et Marie José auraient réussi à gagner beaucoup dans le consensus populaire mais le public aurait quand même été très divisé : trop de souffrances, trop de sang versé. Umberto, pendant 37 ans, a ensuite réussi à être un point de référence valable pour tous ceux qui croyaient encore à l’idée de la monarchie et n’a pas cessé de se soucier de l’Italie et ce sans jamais interférer dans la politique de son pays. Avec sa mort, la dynastie s’est vraiment terminée. Lui-même était conscient de cela, et selon sa volonté, dans son testament, il a laissé les archives familiales aux Archives d’Etat de Turin , le Saint Suaire au Saint-Siège et il avait aussi laissé les “Collari dell’Annunziata” au Vittoriano de Rome, où cependant ils n’ont jamais été remis. Toujours selon ses dernières volontés, même la chevalière, l’anneau symbole de la continuité de la dynastie, a été enterrée avec lui dans la tombe à Hautecombe où il repose à côté de ses ancêtres et de Marie José. Je suis sûr que Emanuele Filiberto (NDLR : le prince de Venise) n’a pas l’espoir d’un retour à la monarchie, sinon il ne se serait pas consacré à la télévision.

Noblesse et Royautés : Pensez-vous que la reine Marie José a marqué l’Histoire de la monarchie italienne ? Comment est-elle perçue par l’opinion publique en particulier auprès des personnes qui ont connu la Deuxième Guerre Mondiale ?

Luciano Regolo : Malheureusement, Maria José n’avait pas le pouvoir, ni même son mari quand il était prince héritier. Je dis malheureusement parce que beaucoup de ses contemporains, comme Elio Vittorini, mais aussi libéraux comme Carandini ont dit qu’elle était le «vrai homme» de la Maison de Savoie. Le poète Trilussa lui a dédié un poème pour sa contribution à la lutte pour la liberté. Elle a été admirée pour son courage et son intelligence même des chefs militaires qui dirigeaient le plan pour renverser le fascisme. Beaucoup, comme Benedetto Croce, en 1945, souhaitait Marie José régente de son fils à la place de son mari.

Si elle avait été entendue par son beau-père, elle aurait laissé une trace dans l’histoire de la monarchie et, peut-être, elle aurait même pu sauver la Maison de Savoie. Elle avait prédit, avec quatre ou cinq ans d’avance, tout ce qui s’est passé ensuite à cause de l’alliance avec l’Allemagne. Pendant longtemps, au niveau historiographique, Marie José n’a pas été comprise parce on en faisait une histoire très idéologisée. Les gauchistes disaient qu’elle avait été progressiste comme une certaine forme de snobisme, les royalistes la jugeaient dotée d’un caractère hostile à son mari et même à la Maison de Savoie. Mais grâce à une recherche historique plus attentive “la Reine de mai” a été très réévaluée au cours des 15 dernières années. Quand elle est décédée, tant de grandes personnalités lui ont rendu hommage : d’anciens partisans, entrepreneurs, intellectuels, le pape Jean-Paul II, …

Noblesse et Royautés : Votre livre sera-t-il publié dans le futur en français ?

Luciano Regolo : Je l’espère, en particulier pour la Belgique, la patrie de Marie José, où mon premier livre sur la reine a déjà été publié.

Pour en savoir plus : Così combattevamo il Duce. L’impegno antifascista di Maria José di Savoia nell’archivio inedito dell’amica Sofia Jaccarino, Luciano Regolo, Kogoi Edizioni, 2013, 260 p. & « Marie José de Savoie. La reine de mai », Luciano Regolo, Les Racines de l’Histoire, 2001, 389 p. (Un grand merci à Alberto pour son entremise)