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Joseph Fouché

Prévenu par Fouché qu’il serait bientôt sur la liste des suspects, Tallien part pour Paris afin de justifier son zèle révolutionnaire auprès de Robespierre.

Ce dernier a reçu un message envoyé par Marc-Antoine Jullien (1775-1848),  son espion à Bordeaux : “Bordeaux est un labyrinthe d’intrigues et de gaspillage. La justice révolutionnaire y est moins avide de sang que d’argent. Une femme attache à son char les autorités et la ville entière. Cette favorite a pour nom Dona Thérésia Cabarrús. C’est elle qui retient le bras de la justice. C’est elle qui a exigé la destitution du Comité de surveillance pour donner libre cours à ses détournements. Je dénonce l’union libre de Tallien avec cette étrangère. J’accuse Tallien de faiblesse et de modérantisme…”

Tallien réussit à se justifier auprès de la Convention, dont il est élu président grâce aux “Indulgents” dont Danton est le président. Il ne peut toutefois empêcher l’arrestation de ce dernier dont il est plus proche que de Robespierre et de ses amis, dont Camille Desmoulins le 30 mars 1794. Ils seront guillotinés le 5 avril.

Thérésia est seule à Bordeaux, sans protecteur, alors que la Terreur y fait rage. Il semble qu’elle ait tenté et réussit à séduire Julien le nouveau maître de la ville. Jullien écrit à Robespierre : “ Elle m’offre tout simplement de m’embarquer en sa compagnie pour l’Amérique septentrionale afin de fuir Tallien qui l’a compromise, et de partager avec moi sa fortune qui, selon elle, serait bien suffisante pour nous deux.

Le 16 avril 1794, une loi du Comité de Salut Public interdit aux ci-devant nobles de séjourner dans des ports ou des villes frontalières. Thérésia ne peut donc plus rester à Bordeaux. Partir mais où ? Paris s’impose à son esprit, Tallien n’est-il pas un des maîtres à nouveau ?

Sur le passeport qui lui est délivré, elle est ainsi décrite : “ Taille cinq pieds six pouces, visage blanc et joli, front bien fait, sourcils clairs, yeux bruns, nez bien fait, bouche petite, menton rond”. C’est assez vague mais cela devait suffire à l’époque pour reconnaître quelqu’un…

On y lit aussi “ Délivré à la citoyenne Cabarrús Thérèse, épouse divorcée Fontenay, âgée de vingt ans, ayant joui ci-devant des privilèges de la noblesse, native de Madrid. En France depuis sept ans, domiciliée à Bordeaux, cours de Tourny, laquelle nous a déclaré aller dans la commune d’Orléans, où elle affirme vouloir se retirer conformément à la loi des 27 et 28 germinal dernier.”

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 Un passeport sous la Révolution

 En effet, on ne l’a pas autorisée de rentrer à Paris, mais Orléans est plus proche que Bordeaux, Tallien, son protecteur, également. En route, près de Blois, à la chaussée Saint-Victor, elle croise un jeune homme qui vient se présenter à elle : Joseph de Caraman”, fils du marquis de Caraman. Il est jeune, 23 ans, et il est beau.

Mais il lui faut atteindre Orléans où elle a la surprise de se voir offrir un passeport pour Paris. Tallien et elle partis de Bordeaux, la guillotine y fonctionne à nouveau à plein régime. Pour le seul mois de juillet 1794, 126 exécutions.

C’est dans sa demeure de Fontenay qu’elle s’installe. Elle est accompagnée de sa femme de chambre et de Jean Guéry, fils  d’un ami de son père, mais aussi son jeune amant du moment. Mais Fontenay n’est plus sûr. Elle y est très connue et sa réputation de putain révolutionnaire désormais suspecte l’y a précédée. On y dénonce facilement. Mais point n’est besoin de dénonciation pour que l’Incorruptible, son véritable ennemi, sache où elle est. C’est lui qui a permis son approche de Paris. Il semble qu’il lui ait tendu un piège. Cette femme lui fait horreur. Elle représente tout ce qui le terrorise et qu’il déteste, le plaisir.

C’est à une lutte entre le Vice et la Vertu qu’il l’a conviée, persuadée que la Vertu, du moins la sienne, triomphera. L’Incorruptible tient la catin dans ses mains et à travers elle, Tallien. Il sait que les amants se sont vus à Paris et qu’il est venu la rejoindre, sous un déguisement, à Fontenay dès son arrivée. Il lui confie : “ Je suis allé voir Fouché et Barras. Ils sont terrifiés par la tournure que prennent les évènements. Robespierre devient de plus en plus exigeant. Il menace de mort tous ceux qui en le considèrent pas comme le chef de la Révolution. Où s’arrêteront son ambition et ses fureurs de sang. Tu ne dois pas rester ici Thérésia. Chaque jour tu dois changer de résidence. Robespierre n’a pas caché son sentiment à ton égard; il te hait, te rend responsable des acquittements à Bordeaux, il va tout mettre en oeuvre pour et faire arrêter.”

Désormais Thérésia souhaite gagner l’Espagne pour rejoindre sa famille mais elle n’avait pas les documents qui lui permettent de quitter Paris et comme à chaque étape du voyage elle doit montrer des papiers elle est prisonnière dans la ville et ses alentours.

Pendant une dizaine de jours, elle se cache et change de domicile tous les soirs. Les agents de Robespierre la traquent. L’ordre de son arrestation a été signée par Robespierre, Billaud-Varenne, Barère, Collot d’Herbois et Prieur, le 3 prairial de l’an XI (22 mai 1794). Elle est arrêtée par le bras armé de Robespierre, le général Boulanger (1755-1794) à Versailles, dans la nuit du 11 au 12 prairial (30 au 31 mai 1794).

Elle est enfermée à la prison de La Force où elle fut accueillie en prison par “Qu’on la foute à la souricière”, puis mise au secret dans un cachot obscur et humide, infesté par les rats, avec un morceau de pain rassis pour toute nourriture.

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La prison de La Force

Elle fut ensuite transférée à la prison des Carmes. La légende veut qu’elle y ait rencontrée Joséphine de Beauharnais. Rien ne le prouve mais la légende a sous doute pris racine dans la grande amitié qui lia les deux femmes quelques mois plus tard

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L’appel à la prison des Carmes sous la Terreur

Voici comment est décrite la vie dans les prisons sous la Terreur : “Il ne paraît pas qu’en général la surveillance fût très active dans les prisons de la Révolution, si l’on en juge par la nature des ruses qu’on employait, et avec plein succès. Voulait-on faire tenir un journal aux prisonniers, on n’avait qu’à le faire servir à envelopper du beurre ou des oeufs. Voulait-on faire franchir le guichet à une lettre d’amour, il suffisait de la cacher dans une botte d’asperges ou de la coudre dans un ourlet. Pendant longtemps, un prisonnier correspondit avec sa femme en employant pour messager un chien dont le collier servait de boîte aux lettres. La boîte aux lettres, à la Force, c’était le bec d’un pigeon. La différence qu’on remarque entre le régime adopté dans telle prison et le régime suivi dans telle autre dit assez qu’à l’égard des prisonniers il n’existait rien qui ressemblât à une politique. Le Comité de salut public n’avait jamais été chargé, ni de l’administration des prisons, ni de leur surveillance. La loi confiait ce soin aux municipalités; et, à Paris, c’était la police municipale qui, sous le contrôle du Comité de sûreté générale, s’occupait de ce qui concernait les prisons et c’était du caractère, tantôt humain, tantôt cruel, de ses agents, que le sort des détenus dépendait.

Même remarque à faire concernant les administrateurs de police: il y en eut de très durs, et il y en eut de très humains, il y en eut qui, comme Marino, firent redouter leurs visites, et d’autres qui, comme Grandpré, mettaient de l’affabilité à recevoir les plaintes qu’on leur adressait, de l’empressement à y faire droit.

Dès le 27 floréal (16 mai 1794) , un arrêté de police était affiché dans les corridors de la maison Lazare, portant «que le défaut de surveillance dans les prisons y avait introduit un luxe immodéré; que les tables y étaient servies avec une profusion indécente; que les sommes que les détenus s’étaient procurées pouvaient y devenir dangereuses; que désormais il serait établi un réfectoire, auquel tous indifféremment seraient obligés d’aller manger; que jusqu’alors il serait payé à chacun d’eux trois livres par jour, sous la déduction de dix sous pour les frais de garde; qu’enfin, il serait établi dans la maison une boîte dans laquelle les lettres, les paquets et le linge seraient mis pour être ensuite portés à leur adresse par des commissionnaires.»

En conséquence de cet arrê, chaque prisonnier toucha cinquante sous par jour, à partir du 20 prairial (8 juin); et, le 24 messidor (12 juillet), le réfectoire annoncé fut établi, au grand désespoir de ceux des détenus à qui leur position de fortune avait assuré jusqu’alors toutes les jouissances de table que la fortune permet.” ( Le Soir, Edition du 17 novembre 1789)

Le sort de la belle Thérésia semble scellé. C’est la guillotine qui l’attend, à peine 20 ans. Elle le sait mais ne s’avoue pas encore vaincue. Pour être libérée, on lui demande de signer un document contre Tallien, elle refuse, sachant ce que vaut la parole des bourreaux. Elle comparait devant le Tribunal Révolutionnaire qui la condamne à mort le 7 Thermidor (25 juillet 1794). Elle réussit à faire passer un billet à Tallien ; “L’administrateur de la police sort d’ici. Il vient de m’annoncer que demain je monterai à l’échafaud. Cela ressemble bien peu au rêve que j’ai fait cette nuit. Robespierre n’existait plus et les prisons étaient ouvertes. Mais grâce à votre lâcheté, il ne se trouvera bientôt plus personne en France pour le réaliser.”

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Thérésia en prison

Tallien reçut le billet le jour même. Il comprit sa signification et obtint que l’exécution de Thérésia fut différée de deux jours, le 10 thermidor au lieu du 8. Deux jours qui ont permis de changer le cours de l’Histoire.

Ce 8 thermidor, à la tribune de la Convention, Robespierre dénonce, sans les nommer, ceux qu’il considère comme ses ennemis et par conséquent les ennemis de la République : Barras, Fouché, Fouquier-Tinville, Billaud-Varenne, Barère, Carnot, Cambon et bien sûr Tallien. Il propose alors d’ épurer le Comité de salut public lui-même, constituer l’unité du gouvernement sous l’autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre et le juge.” L’impression de ce discours est demandée mais la quasi-unanimité des membres de la Convention s’y oppose, se rendant aux arguments suivants Quand on se vante d’avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la liberté. Nommez ceux que vous accusez.” Il ne faut pas qu’un homme se mette à la place de tous. S’il a quelques reproches à faire, qu’il les articule. “

Aux Jacobins, le soir même Robespierre répète son discours : Frères et amis, c’est mon testament de mort que vous venez d’entendre. Mes ennemis, ou plutôt ceux de la République sont tellement puissants et tellement nombreux que je ne puis me flatter d’échapper longtemps à leurs coups…”

Il est applaudi par les Jacobins qui demandent l’exclusion des membres du club qui ont voté contre Robespierre, parmi lesquels Tallien.  On entend “A la guillotine”.

Dans la nuit à Paris, les opposants à Robespierre sont prêts à agir.  Barras, Fouché, Tallien, Lebon et Carrier, directement menacés par Robespierre, savent “qu’ils ont l’honneur d’être inscrits sur ses tablettes à la colonne des morts.” (Fouché) Ils se battent pour sauver leur vie. Tallien se bat aussi pour sauver Thérésia. Ils se cherchent des alliés en promettant la fin de la Terreur. Carnot et Barrère se joignent à eux. La présence de ces derniers va emporter la volonté de la majorité de la Convention de se débarrasser de Robespierre. Les conventionnels n’étaient pas tous des sanguinaires. Beaucoup étaient lâches devant la tyrannie. La perspective de la liberté les séduisait.

Le 9 thermidor,  la séance est ouverte à 11 heures du matin par Collot d’Herbois.

 

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Séance à la Convention le 9 Thermidor

Saint-Just, élégamment vêtu d’un habit chamois et d’un gilet blanc, monte à la tribune et déclare : “Je ne suis d’aucune faction, je les combattrai toutes…On a voulu répandre que le gouvernement était divisé : il ne l’est pas ; une altération politique, que je vais vous rendre, a seulement eu lieu.”

Tallien l’interrompt :“Hier un membre du gouvernement s’en est isolé et a prononcé un discours en son nom particulier ; aujourd’hui, un autre fait la même choseJe demande que le rideau soit entièrement déchiré !Sa déclaration est suivie d’un grand tumulte.

Billaud-Varenne, à peine arrivé en séance avec les membres du Comité de Salut Public, escalade la tribune et interrompt Tallien :Je m’étonne de voir Saint-Just à la tribune après ce qui s’est passé. Il avait promis aux deux comités de leur soumettre son discours avant de le lire à la Convention.

Ni Robespierre, ni Saint-Just ne répondent. Billaud-Varenne attaque directement Robespierre avec vigueur et lorsque celui-ci veut lui répondre, les cris de “A bas le tyran !” couvrent sa voix. Déconcerté, il hésite à continuer.Saint-Juste ne dit plus un mot, il se contente de regarder.

Tallien reprend la parole à nouveau à la tribune, suivi par Billaud-Varenne. Dans le vacarme et la confusion, il demande l’arrestation du général Hanriot (1759-1794), le bras armé de Robespierre, et de son état-major, ainsi que de Dumas (1753-1794), président du Tribunal révolutionnaire, surnommé Dumas le rouge, qui a à son actif les morts de Madame Elisabeth, soeur de Louis XVI et des Carmélites de Compiègne, entre autres.

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Les Carmélites de Compiègne, guillotinées Place de la Nation le 17 juillet 1794

Robespierre veut absolument prendre la parole. Il monte à la tribune. “A bas le tyran !” l’en empêche à nouveau. Le président donne la parole à Barère qui fait voter un décret ôtant à Hanriot le commandement de la garde nationale. Vadier lui succède à la tribune et fait rire la Convention aux dépens de Robespierre en évoquant l’affaire Théot, une prophétesse qui disait que la mission de Robespierre était écrite dans Ezechiel.

Afin d’en finir, Tallien demande qu’on ramène la discussion à son vrai point”, c’est à dire la mise en accusation de Robespierre. Ce dernier s’écrie : “Je saurai bien la rappeler à…” De nouveaux cris couvrent sa voix.

Tallien reprend son réquisitoire. Robespierre veut avoir la parole ; on s’y oppose. “Pour la dernière fois, président d’assassins, je te demande la parole- Tu nauras la parole qu’à ton tour” répond Thuriot qui a remplacé Collot à la présidence.

Louchet, député de l’Aveyron, montagnard et pour Danton, ose demander le premier un décret d’arrestation contre Robespierre. Robespierre essaie de parler. Sa voix est couverte par la clameur. Le président met la motion aux voix et la déclare aussitôt votée à l’unanimité. Toute la Convention est debout, criant “Vive la République !”. Louvet demande d’étendre la motion à Couthon, Saint-Just et Augustin de Robespierre.

Barère monte à nouveau à la tribune avec un décret proposé par le Comité de salut public : il comporte l’arrestation des deux Robespierre, Saint-Just, Couthon, Le Bas, ainsi que de Dumas, Hanriot, Boulanger, Lavalette, Dufresse, Daubigny et Sijas. Vers quatre heures de l’après-midi, les députés arrêtés sont conduits au Comité de sûreté générale.

La Commune de Paris prend alors fait et cause pour Robespierre qu’elle réussit à faire libérer. Puis c’est au tour des autres d’être libérés. C’est l’insurrection de la Commune contre la Convention. Barère fait prendre un décret par la Convention qui n’a cessé de siéger de mettre hors la loi les députés et les insurgés. C’est en soi une condamnation à mort.

Toute la nuit l’indécision règne entre les divers membres de la Commune qui souhaiteraient une prise en mains des événements par Robespierre et par Saint-Just. Il est enfin décidé de procéder à l’arrestation de Collot d’Herbois, Amar, Bourdon, Fréron, Tallien, Panis, Carnot, Dubois-Crancé, Vadier, Javogues, Dubarran, Fouché, Granet, Moyse Bayle. Barre semble oublié. “Tous ceux qui n’obéiront pas à cet ordre suprême, dit larrê, seront traités comme ennemis du peuple” est-il écrit. Mais les sans-culottes, soutien de Robespierre, ne bougent pas pour arrêter lesdits ennemis du peuple.

Robespierre et ses amis sont à l’Hôtel de Ville de Paris, siège de la Commune. Deux colonnes d’hommes armés de la Convention, dont l’une est menée par Barras investissent la commune. On ne sait si Robespierre a tenté de se suicider ou si sa mâchoire  a été blessée dans l’échauffourée. Saint-Just se rend sans avoir été blessé.

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Arrestation de Robespierre

Robespierre et ses partisans, au nombre de vingt et un, furent guillotinés en fin d’après-midi le 10 thermidor.

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Mort de Robespierre

Thérésia avait gagné. C’est en prison qu’elle l’apprit. Elle devait y rester encore trois jours, impatiente de sortir de l’infect cachot dans lequel elle croupissait mais tranquille sur son sort. D’après Elisabeth de Chimay, elle accueillit son amant plutôt fraîchement quand celui-ci, paré des plus beaux atours, plumes au chapeau comprises, vint la chercher. D’après d’autres récits, c’est Dulac, l’homme de confiance de Tallien, qui vint la chercher. Ce dernier n’avait pas un instant à lui.

Quoiqu’il en soit, la sortie de Thérésia est triomphale. Une ovation l’attendait à sa sortie de prison. Elle fut alors appeléeNotre-Dame de Thermidor. Le peuple savait le rôle joué par Tallien dans la chute de Robespierre. Il savait aussi que s’il avait sauvé sa tête et celles de sas amis et de milliers de gens, en mettant fin à la tyrannie, il l’avait aussi fait par amour de belle maîtresse.

Robespierre s’est perdu le jour où il s’est attaqué à Thérésia. La guillotine continua de fonctionner un peu mais c’était pour débarrasser la France des derniers soutiens de Robespierre.A suivre…  (Merci à Patrick Germain pour cette 3ème partie)