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Blason des princes de Chimay

François Joseph Philippe de Riquet de Caraman-Chimay était né le 20 novembre 1771. Il était l’arrière-arrière-petit-fils du constructeur du Canal du Midi, Pierre-Paul Riquet (1609-1680). L’ascension sociale de sa famille est exemplaire.

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François-Joseph de Riquet de Caraman, prince de Chimay

Victor Maurice de Riquet, marquis de Caraman (1727-1807) avait épousé le 26 octobre 1750 à Lunéville, Marie Anne Gabrielle Josèphe Françoise Xavière d’Alsace de Hénin-Liétard, fille du 12 ème prince de Chimay et du Saint-Empire. C’est de ce mariage qu’est issu François Joseph. Si son père était le marquis de Caraman, il était lui le 16ème prince de Chimay depuis le 28 juillet 1804.  En effet à la mort sans enfant du frère de sa mère, Philippe Gabriel Maurice Joseph d’Hénin-Liétard, 15ème prince de Chimay, François-Joseph avait hérité de la principauté et de la fortune des Chimay.

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Pierre Paul Riquet, comte de Caraman, constructeur du Canal du Midi

Le fils de Pierre-Paul Riquet (1609-1680), titré comte de Caraman en 1670 par Louis XIV,  Jean Matias de Riquet (1638-1714) comte de Caraman avait épousé en 1696, Marie-Madeleine de Broglie (1675-1699) fille du maréchal Victor de Broglie. C’était déjà un beau mariage.

Le fils du couple Riquet de Caraman-Broglie, François 3ème comte de Caraman (1698-1760) avait épousé Louise Portail (1701-1784) fille d’Antoine Portail (1675-1724), Premier Président au Parlement de Paris et membre de l’académie française, probablement fort riche.

C’est leur fils Victor Maurice, Lieutenant général des armées du roi, ambassadeur de France; premier gentilhomme de la Chambre du roi Stanislas de Pologne, maréchal de camp, inspecteur général de la cavalerie en 1767 qui épouse la princesse de Chimay. Né en 1727, il mourut en 1807. Il avait été proche de Marie-Antoinette à laquelle il inspira le Petit Trianon

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Victor Maurice de Riquet, marquis de Caraman

Si l’ascendance de François-Joseph tient au Saint-Empire, à la noblesse française d’épée et de robe, celle de Thérésia ne tient qu’au grand négoce international, fût-il anobli par le roi d’Espagne. Elle s’est mariée dans la noblesse de robe mais depuis ce mariage, elle a connu bien des amants qu’aucune famille bien née eût accepté de recevoir.

A leur seconde et vraie rencontre, en 1805, il a 34 ans, elle en a 32. Ils sont beaux tous les deux. Epanouie, elle a déjà eu huit enfants, dont sept vivants.

Le frère aîné de François-Joseph est Victor (1762-1839). Il sera marquis puis duc de Caraman. Le second garçon de la fratrie est Maurice (1765-1835) il sera baron d’Empire, et comte de Caraman.  Les deux frères de François-Joseph eurent une brillante carrière au service de la France impériale ou royale.

Le prince de Caraman-Chimay devait être très amoureux de la belle Thérésia. La réputation de celle que l’on appelle encore Madame Tallien, si elle l’éloignait de la Cour impériale, risquait aussi de lui aliéner la famille de quiconque la demanderait en mariage. Et pourtant, cela n’empêcha pas François-Joseph de le faire. A peine quelques mois de cour, dont on ne sait si elle fut platonique, mais on peut en douter, il la demanda en mariage. Thérésia avant d’accepter lui dit tout de sa vie, dont il avait déjà, une grande connaissance. Quand elle lui parla de ses enfants, il lui répondit “Vos enfants, Madame, seront les miens.

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Portrait présumé de Thérésia et de sa fille Rose-Thermidor Tallien

Il lui était difficile de résister à tant de noblesse de coeur et à tant de noblesse, tout court. Mais elle savait que l’opposition viendrait immédiatement de la part de sa famille. Le mariage avec Tallien n’était aux yeux des Catholiques qu’un chiffon de papier. Mais vingt ans auparavant Thérésia avait convolé avec le marquis de Fontenay et il n’était pas question pour le prince de Chimay de ne pas se marier à l’Eglise. Quant au clan Caraman-Chimay, il n’était pas question de mariage du tout.

Elle dut donc entreprendre la démarche d’une demande en annulation. Ce n’était certes pas simple mais Thérésia avait encore quelques relations, et le 12 février 1805, le cardinal de Belloy, archevêque de Paris “…Après avoir fait entendre plusieurs témoins probes et qui ont une connaissance parfaite des circonstances du prétendu mariage, dont il s’agit, a tout mûrement considéré, déclare ledit mariage non valable, non contracté, nul et abusif…” 

Thérésia, mère de Théodore, n’avait donc jamais été marquise de Fontenay pour l’Eglise, mère de Rose-Thermidor, elle n’avait pas non plus été la femme de Tallien, et elle n’avait jamais épousé Ouvrard, le père de quatre autres de ses enfants. Fontenay ne mourut qu’en 1817 mais la belle était libre.

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Teresia Cabarrùs par Gérard

Il fallait maintenant convaincre la très catholique et très royaliste famille de son fiancée. Une femme de petite vertu, même avec un grand coeur et une grande fortune, n’était jamais bienvenue dans certaines familles, mais une républicaine affichée comme l’avait été Thérésia ne pouvait en aucun cas être acceptée.

Elle écrivit au marquis de Caraman, qui soutenu par sa belle-soeur Laure de Fitz-James, épouse du 14ème prince de Chimay, dont François-Joseph avait hérité le titre et les biens, refusa de la recevoir.

Le 19 août 1805, à Saint-François-Xavier, le couple se mariait dans une église vide. Aucune des deux familles n’était présente. François-Joseph aimait et respectait son père et sa tante, il adorait ses frères et soeurs mais son amour fut plus fort. Il ne lui sacrifiait ni carrière ni fortune car il était maître de ses biens et de son destin, mais il lui sacrifiait une harmonie familiale. Il ne revit plus son père.

Le mari partit immédiatement pour Chimay pour y préparer la réception de la nouvelle souveraine. Et ce fut bien ainsi qu’elle fut traitée dans sa nouvelle principauté, qui ne comprenait pas moins de dix-sept villages. Piquets de cavalerie, jeunes filles vêtues en blanc, enfants portant des corbeilles de fleurs, canon tiré, rien ne fut oublié dans cette cérémonie de réception.

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La princesse de Chimay en 1806, par Duvivier

D’une simple seigneurie, au Moyen-Age, en 1473 Charles Téméraire, sur les terres duquel elle se trouvait en fit un comté au profit des Croÿ, ses propriétaire. L’empereur Maximilien en fit une principauté en 1486, le jour de son couronnement à Aix-la-Chapelle. L’acte constitutif stipulait la primogéniture mâle pour la dévolution de la principauté mais à défaut une fille pouvait devenir princesse de Chimay de son chef, transmettant ainsi le titre et la terre à son mari et à sa famille.

 

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âteau de Chimay à l’époque

 Mais le château était en ruines ou presque. Le nouveau prince et la nouvelle princesse prirent à coeur de restaurer la vieille forteresse, qui avait déjà brûlé sept fois au cours de son histoire. Elle ne ressemblait dans son austérité de granit gris et d’ardoises bleutées à aucune des demeures précédentes de Thérésia, ni en Espagne, ni en France, que ce soit en ville ou à la campagne. Elevée dans le raffinement de la société de la fin du XVIIIe siècle, elle devait affronter la rudesse des Ardennes. Elle ne laissa rien paraître de son désappointement tant son mari était heureux de la voir fêtée ainsi.

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Château de Chimay ( Province du Hainaut)

Etait-elle amoureuse de lui ? Probablement. Mais il est certain que Thérésia qui avait été une des reines de Paris et qui savait que ce rôle désormais lui était interdit car Paris avait une impératrice, son amie, était assez sage pour apprécier ce que signifiait d’être devenue princesse de Chimay et du Saint-Empire.

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Chimay, façade sur le village

Mais à peine arrivés, à peine quelques projets échafaudés, le couple partit pour la Toscane où François-Joseph avait des terres et passa par Paris. Ce voyage avait aussi un autre but, obtenir la bénédiction du pape afin de faire taire les mauvaises langues sur la validité religieuse du mariage. Leur première grande étape fut l’Etrurie, le nouveau royaume créé en 1801 par les Traité de Lunéville et d’Aranjuez sur en partie sur le Grand-duché de Toscane et en partie sur les principauté de Lucques et Piombino. La reine-régente en était Marie-Louise de Bourbon, fille de Charles IV roi d’Espagne, et veuve de Ferdinand Ier de Parme, pour le compte de son fils Louis Ier.

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Marie-Louise de Bourbon, reine d’Etrurie (1782-1824)

En Espagne, la reine avait connu François Cabarrús et Goya, elle fit un accueil charmant au couple en les invitant à dîner. Thérésia superbement habillée et parée de ses plus beaux saphirs, cadeau de son époux, séduisit la souveraine. Puis ce fut Rome où le prince et la princesse de Chimay furent reçus par Pie VII qui non seulement les retint une heure de façon familière, mais leur donna sa bénédiction.

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Pie VII (1742-1823)

Puis ils furent reçus par le cardinal Fesch, le frère de l’empereur des Français, qui leur fit les honneurs de ses salons en les présentant à la fine fleur de l’aristocratie romaine présente ce soir là. Le frère de Madame Mère savait recevoir et se montrait plus grand seigneur en l’occasion que Napoléon. Il faut dire que contrairement à la légende qui fait des Bonaparte presque des gens de rien, le clan Bonaparte en Corse, à Paris ou ailleurs a brillé par son éducation et ses manières.

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Cardinal Fesch (1763-1839) Primat des Gaules

Le retour à Paris leur fit découvrir les manigances de la princesse de Chimay qui avait essayé en vain de leur fermer les portes de Rome et l’accès au Saint-Père.

Le 20 août 1808 naquit le premier enfant, Joseph, futur prince de Chimay. Et si le couple passait une partie de l’hiver à Paris, dans l’hôtel de la rue de Babylone, c’est à Chimay qu’il passait ses étés. Tous les enfants de Thérésia, à l’exception de Théodore, qui était officier dans l’armée en campagne au Portugal en 1808, vivaient avec eux.

Le couple n’était pas reçu aux Tuileries mais la société du prince et de la princesse de Chimay était essentiellement artistique. Cherubini et Auber figuraient parmi leurs  commensaux habituels et plus tard Maria Malibran.

En 1810, naissait Alphonse, leur second fils, puis en 1812, Marie-Louise, nommée ainsi en honneur de la nouvelle impératrice, qui mourut à un an, et enfin Louise en 1815.

 

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La princesse de Chimay en 1810 par David

1815 fut l’année du changement pour l’Europe avec la fin de l’épopée napoléonienne. Son ennemi, après avoir été brièvement roi de l’Ile d’Elbe, n’était plus rien, envoyé puis abandonné en plein Océan Atlantique, Joséphine, sa seule véritable amie, n’était plus et elle, Thérésia,  était toujours princesse de Chimay.

Le retour de l’Ile d’Elbe avait semé la panique à Paris et partout en Europe, mais pour Thérésia, le plus douloureux fut de perdre son fils Théodore, qui colonel et officier de la Légion d’Honneur, était mort le 10 février 1815, chez ses grands-parents Fontenay, qui l’avaient élevé.

Si son mari était bien prince de Chimay et propriétaire de tous les biens, sur le plan juridique, la situation était confuse car le Saint-Empire n’existait plus, Chimay avait été intégré à la France, et le restait encore en 1815.

Sous Louis XVI, il avait été officier au Royal Dragons, puis colonel de cavalerie dans l’armée Condé, Chevalier de l’Ordre royal & militaire de Saint-Louis, et de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et lieutenant de louveterie. Louis XVIII accueillerait bien volontiers le prince de Chimay au sein du pouvoir monarchique qui se reconstitue, mais François-Joseph ne se fit élire à la Chambre pour y défendre les intérêts de sa principauté. Battu à l’élection suivante, c’est vers la Hollande qu’il se tournera car la Hollande s’est vue attribuer la Belgique au Congrès de Vienne. C’est lui qui confirmera en 1824 les droits de la principauté de Chimay et lui attribuera la fonction de Chambellan de la Cour.

La mort du marquis de Fontenay obéra la fortune de Thérésia car elle abandonna ses droits dotaux, soit 695 000 francs, qui bénéficièrent à son ancien beau-père pour lequel elle avait gardé beaucoup d’estime et qui avait élevé son fils. Elle se dit ruinée mais elle l’était probablement à sa façon. Elle dut vendre son hôtel de la rue de Babylone. Dès lors Chimay fut sa résidence. Elle y éleva ses enfants.

La Cour de Hollande ne fut pas plus aimable à son égard que ne le fut celle des Tuileries. Le roi refusait qu’elle y paraisse et son mari se rendait seul aux bals ou aux réceptions des ambassades.

Elle était heureuse à Chimay. Notre Dame de Thermidor était devenue Notre-Dame des Pauvres, en s’occupant des déshérités vivant dans sur le territoire de la principauté. Elle était aimée de tous ceux qui l’approchaient, et comme du temps de sa gloire, de tous ceux qu’elle secourait. Celui qui l’aimait sans doute un peu moins était son mari. La belle Thérésia était empâtée. Le beau François-Joseph n’était pas souvent là, pris entre tous ses devoirs.

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Thérésia, princesse de Chimay

Ses enfants lui étaient d’un grand réconfort, tant par leur présence, que par l’amour qu’ils avaient pour elle.  Leur réussite était une fierté pour elle.

Joséphine Tallien était comtesse de Narbonne-Pelet, son mari n’avait pas une belle situation financière et Thérésia dut aider le couple bien souvent. Mais il avait un nom, un titre, une situation. Tout cela suffisait. Le couple eût une belle descendance.

Clémence  Isaure Thérésia Tallien de Cabarrús était mariée au colonel Legrand de Vaux. Née en 1800, elle mourut en 1884.

Jules Adolphe Edouard Tallien de Cabarrús, médecin de renom. Il épousa le 3 mai 1821 Adélaïde Marie de Lesseps, soeur de Ferdinand et cousine de l’Impératrice Eugénie. Le couple eut deux fils qui changeront leur nom en Tallien de Cabarrús en 1866. Il fut le médecin de Napoléon III. Leur descendance porte toujours le nom de Cabarrús, avec le titre de comte. Né en 1801, il mourut en 1870.

Clarisse Gabrielle Thérésia avait épousé le baron Achille Ferdinand Brunetière, mousquetaire de la Garde du roi Louis XVIII, lieutenant de louveterie, directeur des haras sous le Second Empire. Née en 1802, elle mourut en 1877.

Augustine Stéphanie Coralie Thérésia Tallien de Cabarrús était baronne Amédée Ferdinand de Vaux, banquier. Née en 1803, elle mourut en 1884.

Les deux fils d’Edouard prirent officiellement le nom de Cabarrús. Ils furent titrés comtes, probablement à la suite de leur arrière-grand-père, François. La descendance d’Edouard existe toujours.

Joseph de Riquet de Caraman-Chimay  diplomate distingué – il mena entre autres les négociations entre la Hollande et la Belgique au moment de la partition – épousa Emilie de Pellapra, d’une riche famille lyonnaise veuve du comte de Brigode. Née en 1808, il mourut en 1886. Son descendance dans la primogéniture est actuellement le prince Philippe de Chimay. Une des arrière-petites-filles de Thérésia fut Elisabeth de Caraman-Chimay, comtesse Greffulhe, déjà célèbre en son temps mais passée à la postérité grâce à Marcel Proust, sous les traits d’Oriane duchesse de Guermantes. Mais il eut aussi une descendance chez les Bauffremont.

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Elisabeth de Caraman-Chimay, comtesse Greffulhe (1860-1952)

Alphonse de Riquet de Caraman-Chimay fut officier de cavalerie dans l’armée hollandaise. Il avait épousé sa cousine Rosalie de Riquet de Caraman. Né en 1810, il mourut en 1865. Il eut une descendance.

Louise de Riquet de Caraman-Chimay épousa Georges de Hallay, marquis de Cetquën, officier de cavalerie. Née en 1815, elle mourut en 1876. Elle eut aussi une descendance.

La descendance de Thérésia Cabarrús, princesse de Chimay, est nombreuse et on la retrouve parmi tous les grands noms de France.

La fin de la vie de Thérésia ne fut en rien comparable à ses débuts. Venue au monde dans une période d’insouciance et de libertinage, elle connut son apogée dans la licence de la Révolution et du Directoire et mourut dans la dévotion. Il est  vraie que la société de la Restauration ne fut pas la société de l’Ancien Régime en Thérésia s’adapta à ses nouvelles conditions de vie.

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Le prince et la princesse de Chimay de nos jours

Elle mourut à Chimay le 15 janvier 1835. Son mari lui survécut jusqu’au 2 mars 1843.

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Madame Tallien dans un film muet de 1916

Tallien avait dit d’elle de façon un peu féroce “ Elle aura beau être princesse de Chimay, elle sera toujours la princesse des Chimères”. C’était injuste et faux car jamais Thérésia ne fut dans la chimère, personne ne fut plus réaliste, voire opportuniste, qu’elle. Mais ce sens des réalités et de ses intérêts n’a jamais pu faire oublier combien elle est profondément bonne et attentive aux autres. Trente ans princesse de Chimay, elle reste, là aussi de façon injuste, Madame Tallien pour l’Histoire, alors qu’elle ne le fut que fort peu de temps et dans des circonstances que l’on peut lui pardonner.

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Les Trois Grâces par Antonio Canova : Thérésia Cabarrùs, Joséphine de Beauharnais, Juliette Récamier

Un grand merci à Patrick Germain pour cette saga en cinq épisodes. Retrouvez ses autres articles historiques sur son blog http://blogpatrickgermain.blogspot.be/