Voici la carte postale d’Olivier d’Abington du Bowes Museum – Barnard Castle dans le comté de Durham en Angleterre. « Le Bowes Museum, dans le comté de Durham en Angleterre est fascinant à plus d’un titre ! Tout d’abord, il s’agit d’un château français, construit au XIXe siècle, sur un modèle classique dit « à la Mansart ».Au milieu de la campagne Anglaise, cela surprend quelque peu. Mais, c’est sans doute l’histoire de ses commanditaires qui mérite davantage l’attention.

Tout commence en 1811, lorsque Mary Millner, maîtresse de Sir John Lyon-Bowes – célibataire (1769-1820) –, 10e comte of Strathmore and Kinghorne, donne naissance à leur fils unique John Bowes (1811-1885). Bien que son père se soit finalement décidé à épouser Mary en 1820 – alors qu’il est en train de mourir – John Bowes sera toute sa vie considéré comme un enfant illégitime par le droit anglais.

Dès lors, bien qu’il ait hérité la plus grande part de la fortune de son père, le titre de comte en revanche passe à son oncle, le plus jeune frère de son père, Thomas (1773-1846). Le titre est, depuis, resté dans cette branche de la famille – John Bowes n’ayant jamais eu d’héritier. Thomas Bowes-Lyon est ainsi l’arrière grand-père de la reine mère Elizabeth (épouse du roi George VI, tous deux parents, donc, de la reine Elizabeth II).

Armoiries de John Bowes

Il s’agit de ce qu’on appelle des armoiries « parlantes » (bows signifiants arcs). C’est ce statut d’enfant illégitime qui décide du destin et de la vie de John.

Il se lance en politique en 1832, en se faisant élire au parlement avec le parti libéral (réformateur de gauche), pour la circonscription de Durham Sud, jusqu’en 1847. Il devient même High Sheriff de Durham en 1852 (Attention, en anglais britannique, un High Sheriff est un officier de cérémonies – position prestigieuse qui fait de lui la personne la plus importante du comté –, et non un policier).

Hélas, il semble que son statut d’illégitime lui ait fermé plusieurs portes dans son pays, il décide donc de partir voyager sur le continent et s’installe à Paris en 1847.

Artiste dans l’âme, il commence à collectionner les œuvres d’arts dès 1830. Cette aspiration artistique, et sa fortune, l’incitent alors à acquérir le Théâtre des Variétés qui existe toujours aujourd’hui sur le Boulevard Montmartre. Malheureusement, les événements de la révolution de 1848 viennent contrecarrer ses plans et entrainent le déclin du théâtre, jusqu’à sa revente à perte en 1858.

Théâtre des variétés au XIXe siècle

Pourtant, cette aventure théâtrale s’avère une réussite pour John, du moins sur le plan personnel. C’est effectivement au Théâtre des variétés qu’il rencontre sa futur femme : Joséphine Benoîte Coffin-Chevallier (1825-1874), alors connue sous son nom de scène, Melle Delorme – nom emprunté au personnage d’une pièce de Victor Hugo.

Joséphine Benoîte Coffin-Chevallier

Il semblerait que Joséphine n’ait pas été une excellente actrice, mais elle-même passionnée d’art, elle occupait régulièrement les rôles principaux des pièces données aux Variétés. On verra plus tard, qu’elle s’avère être une bien meilleure peintre – et même une peintre de grand talent.

Joséphine devient donc la maîtresse de John Bowes. Mais ils ne tardent pas à se marier (1852) ; Joséphine s’étant retiré de la scène depuis 1851. Elle reste cependant la commanditaire des pièces de théâtre pour les Variétés, qu’elle dirige avec son époux. En cadeau de mariage, John lui offre alors le château du Barry – Louveciennes (oui, oui, le fameux château offert par Louis XV à Mme du Barry, lorsque celle-ci devint sa maîtresse en titre !).

Le Château du Barry, peint par Joséphine Bowes (à ce jour cette toile est considérée comme la 1ère toile connue de l’artiste)

Un autre coup du sort est porté aux époux Bowes, lorsqu’ils découvrent qu’ils ne peuvent pas avoir d’enfants. La raison probable de cette stérilité serait une infection vénérienne contractée par John avant sa rencontre avec Joséphine. Cas très fréquent à l’époque.

Certains pensent que c’est cette incapacité à avoir une descendance qui aurait incité le couple à donner corps à leur passion commune pour l’art à travers la création d’un musée unique en son genre en Angleterre. Joséphine semble avoir été l’initiatrice de ce projet, mais les deux époux s’y sont consacrés avec autant de passion l’un que l’autre.

En 1862, Joséphine décide de se séparer du château du Barry afin d’avoir l’apport nécessaire à la fondation du musée à Barnard Castle, toute petite ville du nord de l’Angleterre. L’architecte en est Jules Pellechet, dont le père, Auguste, avait contribué à transformer le château du Barry pour le couple. Pellechet travaille de conserve avec un architecte de Newcastle-upon-Tyne : John Edward Watson ; ainsi qu’avec un constructeur local : Joseph Kyle.

Inspiré en partie par le château des Tuileries (détruit en 1871) ainsi que la mairie du Havre, Pechellet aurait aussi tiré quelques idées de l’architecture de l’Alte Pinakothek gallery de Munich, où les Bowes se sont rendus pour un voyage en 1868.

Le Bowes Museum aujourd’hui

Les Bowes continuent de vivre en France pendant la quasi-totalité des travaux. En effet, Joséphine semble avoir eu le bateau en horreur. Elle ne traversa donc la Manche que ponctuellement, afin de lancer les travaux, par exemple – c’est elle qui pose la 1ère pierre – où pour en voir l’avancée bien plus tard.

En 1868 toujours, John achète le titre de comtesse de Montablo dans la pairie de San Marin. La petite République a alors parfaitement compris que ces titres de noblesse étaient une manne financière inestimable afin d’asseoir l’indépendance du pays (les titres de noblesse de San Marin sont aujourd’hui encore parfaitement légitimes). D’ailleurs, il est bon de rappeler qu’un titre de noblesse – quel que soit le pays – lorsqu’il était « octroyé » par le roi, impliquait d’avoir les moyens d’acheter les « charges » qui allaient avec le titre. Souvent excessivement élevées, ces charges, n’étaient ni plus ni moins qu’une manière détournée de faire payer lesdits titres.

 

Vue depuis le 2nd étage du musée (jardin d’hiver)

Mais, revenons au couple Bowes. C’est en 1869 que Joséphine pose la première pierre sur un terrain de 20 acres (8ha), acheté en lots successifs aux habitants et paysans locaux à des prix prohibitifs (selon John). Situé sur la commune de Barnard Castle (Durham County), cet emplacement se situe en réalité non loin des ruines d’un ancien château fort datant du XIIe siècle et construit pour le seigneur de l’époque : Bernard de Balliol (d’où le nom de la ville qui lui a survécu). Cet ancienne bâtisse passe ensuite dans les mains de la puissante famille Beauchamp, avant de devenir l’une des propriétés du roi Richard III.

Ruines de Barnard Castle

Mais, pour revenir aux Bowes, en fait, en 1869, il semblerait que Joséphine ait été déjà gravement malade (il n’a pas été possible de trouver de quelle maladie il s’agissait). Elle n’aurait donc pas vraiment posé la première pierre, mais simplement touché celle-ci d’une truelle en argent et ivoire.

Joséphine n’a cependant jamais abandonné l’art pictural et, fortement inspirée par Courbet, a privilégié la peinture de paysage. Bien entendu, plusieurs de ses toiles sont exposées au Bowes Museum. Joséphine a sans doute été la première surprise, mais non moins ravie, d’avoir été acceptée quatre années de suite comme exposant au Salon – l’exposition annuelle organisée depuis le XVIIIe siècle par l’Académie des Beaux-Arts de Paris. Il s’agit du fameux salon qui refuse d’exposer, quasiment à la même époque, les artistes impressionnistes.

Esquisse d’une côté rocheuse, Joséphine Bowes

Dunes de sable à Boulogne-sur-Mer, Joséphine Bowes

Hélas, épuisée par ses voyages et son activité fébrile afin de constituer la collection du musée tant désiré, Joséphine s’éteint à Paris des suites de sa maladie en 1874.

Durant toutes ces années, les goûts très sûrs de Joséphine en matière de mode, d’art et de bijoux en on fait une figure incontournable du Second Empire. Elle s’habille d’ailleurs chez le même fournisseur que l’impératrice Eugénie : Charles Frederick Worth. Et la Revue Critique, publication non moins incontournable des sphères mondaines de l’époque, qualifie même le salon que Joséphine tient à Paris, comme « l’un des plus brillants » de la cité.

Lui-même déjà assez malade, John cependant poursuit le rêve du couple. Il se remarie quelques années plus tard (1877) avec Alphonsine Marie Saint-Amand, divorcée du comte de Courten. Malheureusement, le mariage ne sera pas heureux et John tentera, sans succès, de divorcer de sa seconde épouse. Il en sera cependant officiellement séparé de biens en mai 1885, quelques mois seulement avant son propre décès (octobre de la même année).

Portraits de John et Joséphine Bowes

Le musée renferme aujourd’hui des pièces de maîtres dans tous les domaines des arts, qui s’agisse des Beaux-Arts (peintures, sculptures, dessins, etc.) que des arts appliqués (vêtements, tentures, meubles, porcelaines, argenteries, etc.).

Ce cygne automate en argent articulé constitue l’une des pièces maîtresses du musée.

Le caractère unique du musée repose non seulement sur son style architectural français, mais aussi dans le fait que celui-ci a été construit et pensé dès le départ pour devenir un musée, et non une demeure familiale. Les Bowes pensaient continuer à vivre à Paris autant que possible, tandis que leur château de Barnard Castle serait ouvert au public dès l’achèvement des travaux.

Après le décès de John, les travaux continuent sans relâche et le musée est finalement ouvert au public le 10 juin 1892. Aujourd’hui encore, le musée continue d’acquérir des œuvres d’art, afin de les présenter au public. Il organise même des expositions temporaires dans certaines salles, ainsi que des concerts de musique classique dans l’une des salles d’exposition du second étage, où la sonorisation est excellente pour ce genre de festivités.

Répétition d’un concert de musique classique espagnole

Reconstitution de la salle à manger

Pour plus d’informations et les visites : http://thebowesmuseum.org.uk