Le 11 janvier 1968, l’impératrice Zita est de retour à Madère : c’est la première fois depuis 1922. Elle se rend en pèlerinage à la Quinta do Monte avec l’archiduc Otto, son épouse Régina et l’archiduchesse Adélaïde. La famille impériale y est reçue par Luís Rocha Machado qui possède toujours la villa où s’est éteint l’empereur. Ce n’est pas sans émotion que Zita et son fils parcourent les lieux où ils ont connu des jours si difficiles: revoir la maison, le parc, 46 ans après leur séjour !

Le prince héritier s’est confié, plus tard, sur ces semaines passées à la quinta do Monte: « j’avais neuf ans lorsque mon père mourut. Dès mon plus jeune âge, j’avais un lien très profond avec lui, et justement, dans ces dernières semaines, à Madère, il m’avait beaucoup parlé. Je pus, dans mon esprit d’enfant, me faire une idée de ce qu’avait été sa vie: elle avait été pleine de revers et de déceptions, comme peu de vies le sont. On pouvait, humainement parlant, la considérer comme un échec. Il avait voulu la paix et dû faire la guerre. Il avait recherché l’unité et dû, à son poste de responsable, assister à la destruction de l’Empire multinational. De nombreux amis lui avaient tourné le dos et l’avaient, parfois même, trahi. Les trois heures passées dans la chambre mortuaire de la quinta do Monte, m’ont montré que la vie de mon père n’avait pas été malheureuse. Lorsque je le vis à son dernier jour, je sus que sa vie avait été fructueuse. Lorsque l’on va à la rencontre de son Créateur, seuls comptent l’accomplissement du devoir et la bonne volonté. Dieu ne demande pas aux hommes de lui rapporter des victoires. C’est lui qui accorde le succès. Il nous demande seulement de faire de notre mieux. Cet enseignement est demeuré, comme mon père le souhaitait, l’expérience la plus précieuse pour la suite de mon existence. Sa mort m’a montré que nous ne connaissons pas de véritable échec tant que nous avons la conscience tranquille ».

Luís Rocha Machado resta le propriétaire de la quinta jusqu’à sa mort, en 1973. Ses deux filles en héritent alors, mais en 1982, elles vendent le domaine qui devient la propriété du Gouvernement régional de Madère. Mais rien de concret n’est aménagé en ces lieux qui se détériorent très vite, au vu l’humidité qui règne une bonne partie de l’année à Monte. La maison est aujourd’hui dans un triste état de délabrement : les portes et fenêtres sont toutes murées, la mousse et les herbes folles envahissent les toitures, et les crépis se dégradent…

En 2002, par voie d’offre publique, le gouvernement attribue la concession de gestion de la quinta au groupe Camacho qui planifie la restauration des jardins, du lac, des ruisseaux et de la roseraie. Ils ont aujourd’hui retrouvé leur splendeur passée et leur état des années 20. Ils peuvent même être loués pour des réceptions ou des mariages. Le concessionnaire actuel, Madeiquintas, a pour objectif la réhabilitation de la quinta et l’aménagement d’un musée pour retracer tous les évènements qui se sont déroulés en ces lieux.

En hommage à Charles Ier d’Autriche, le domaine est baptisé « quinta do Imperador ». Le nom de la quinta do Monte a été attribué à une maison de maître entourée d’un jardin tropical, reconvertie en hôtel de charme, juste à côté de l’église de Monte.

En ce 11 janvier 1968, si l’impératrice Zita revient à Madère, c’est pour assister à la bénédiction du nouveau mausolée de l’empereur qui a été aménagé dans une chapelle de l’église. Jusque là, il avait reposé dans la chapelle de l’Immaculée Conception. Une assistance nombreuse s’est groupée dans la petite église pour honorer la dernière impératrice, et lui manifester l’attachement qu’elle lui a toujours porté.

L’évêque de Funchal préside la cérémonie et procède à la bénédiction du sarcophage, installé dans une chapelle qui lui est entièrement consacrée. Ici, à l’abri des regards des nombreux fidèles, Zita peut se recueillir un moment, aux côtés de son fils aîné, Otto, de son épouse, Régina, et de sa fille Adélaïde.

Désormais, la dépouille de l’empereur est veillée par un Christ en croix, sculpté au Tyrol, dans du bois. Il incline sa tête vers le sarcophage.

Un tableau offert par la famille occupe un des murs de la chapelle. Il représente l’empereur en manteau de cour, portant le grand collier de l’ordre de la Toison d’Or et toutes les décorations inhérentes à sa fonction.

De nombreuses couronnes sont déposées, régulièrement, par des fidèles de la famille impériale: d’Autriche et de Hongrie, bien sûr, mais aussi du Canada. Il ne faut pas oublier que Zita et les siens ont séjourné au Québec durant la guerre et l’après-guerre, et ont suscité un vif attachement des Québécois envers les Habsbourg. Le prie-dieu utilisé par Zita lors de ses visites à Monte y est toujours conservé.

L’ensemble est surmonté par des drapeaux en provenance de toutes les régions de la double-monarchie. L’emblème impérial d’Autriche, sculpté dans le fer forgé, sert de clôture à l’enceinte sacrée. Ainsi repose, à 3200 kilomètres de Vienne, dans cette alcôve entièrement vouée au culte impérial, la dépouille du dernier empereur d’Autriche et roi de Hongrie.

Le 1er avril 1972, pour le cinquantième anniversaire de la mort de Charles, Zita revient à nouveau à Madère, avec plusieurs de ses enfants et petits-enfants. Un service religieux anniversaire est célébré dans le sanctuaire en présence de la famille impériale, dont c’est le plus important rassemblement auprès du tombeau de Charles. On reconnaît au premier rang, le prince héritier Otto, son épouse Régina, et trois de ses filles; derrière, sont assis les archiducs Rodolphe et Robert avec leurs épouses.

Dans le cadre de la procédure de béatification de l’empereur qui a été ouverte en 1949, une identification des restes est nécessaire. Robert et Charles-Louis redescendent à Funchal avec leur mère. Seuls Otto et Rodolphe assistent à l’ouverture du cercueil, avec l’émotion que l’on devine…

A plusieurs reprises, les Habsbourg feront le pèlerinage à Monte, pour se recueillir: l’empereur Charles reste pour ses enfants et ses petits-enfants qui ne l’ont pas connu, l’exemple chrétien par excellence. L’archiduc Rodolphe y revient avec sa seconde épouse, la princesse Anne Gabrielle de Wrede, et est accueilli, à cette occasion, par l’évêque de Madère.

Le 3 octobre 2004, au terme d’une longue procédure d’investigation, le pape Jean-Paul II prononce solennellement, au cours d’une cérémonie place Saint-Pierre de Rome qui réunit toute la famille impériale, la béatification de Charles Ier d’Autriche. Jean-Paul II était très attaché à l’empereur dont il porte le prénom de baptême: Karol. Son père était officier dans l’armée austro-hongroise, à l’époque où la Galicie était partie intégrante de l’Empire des Habsbourg, et avait servi l’empereur avec fidélité et attachement.

Depuis cette date, une statue de l’empereur a été érigée sur le parvis de l’église de Monte, d’après la toile qui se trouve dans la chapelle funéraire. Charles Ier d’Autriche y est sculpté dans le bronze, revêtu de son long manteau de cour, portant le grand collier de l’ordre de la Toison d’or. Lui, le grand chercheur de paix tend la main à son prochain, signe de sa grande humanité. Sur le socle, une colombe de la paix, tenant dans son bec un rameau d’olivier, prend son envol.

La statue de Charles est, à ma connaissance, la seule statue publique érigée en mémoire de l’empereur. Non en Autriche, en Hongrie, ou même en Europe, mais à Madère, sur cette terre qui lui a ouvert ses bras et son cœur. En reconnaissance pour son hospitalité et sa générosité, l’archiduc Otto a décidé avant son décès, de laisser reposer son père sur cette terre de quiétude et de paix, qui ne connut pas tous les déchirements de l’Europe du XXe siècle.

Désormais, depuis les hauteurs de Monte, l’image de l’empereur domine l’île de Madère. Naguère, l’église du village fut la première à être aperçue par Charles en arrivant par bateau. Aujourd’hui, sa statue, flottant entre ciel et mer, semble bénir ceux qui vont accoster sur ses rivages.

Aujourd’hui, à Vienne, comme à Madère, les tombeaux des Habsbourg sont quotidiennement fleuris, témoignages anonymes de la vénération et de l’attachement que leur portent encore des générations entières. Nulle autre dynastie, que ce soit en France, en Italie, en Allemagne, en Russie, en Grèce ou au Portugal, ne peut se prévaloir d’un tel attachement par delà les siècles.

Austiae Erit In Orbe Ultima… « L’Autriche sera la dernière au Monde » disait la devise des Habsbourg… Elle fut le dernier Empire d’Europe, et ses empereurs sont les derniers à être autant vénérés. (Un grand merci à Francky pour le dernier volet de ces articles consacrés à l’empereur Charles. Photos: Francky, Perestrellos photographos et Collections photographiques du Musée Vicentes (Funchal), et DR.; Bibliographie: Michel Dugast Rouillé, Charles de Habsbourg, Le dernier empereur (1887-1922), Editions Duculot, Paris, 1991- Erich Feigl, Zita de Habsbourg, Mémoires d’un empire disparu, Criterion, Paris, 1991 – Jean Sévilla, Zita, Impératrice courage, Perrin, Paris, 1997- Erik Cordfunke, Zita, La dernière impératrice, 1892-1989, Editions  -Duculot, Paris, 1990.)