L’Honorable Desmond Guiness et son épouse Marie-Gabrielle « Mariga », princesse d’Urach fondèrent en 1958 l’Irish Georgian Society avec pour but la préservation du patrimoine architectural de l’Irlande du XVIIIème siècleDesmond Guinness, fils cadet de Lord Moyne et de lady Diana Mosley, née The Honorable Diana Mitford, eut une petite enfance heureuse dans une des plus riche familles du Royaume-Uni avec des parents intelligents, riches et admirés. Puis vinrent les années difficiles. Sa mère tomba amoureuse du leader fasciste Sir Oswald Mosley et quitta le foyer familial. La guerre la vit en prison car considérés elle et son nouveau mari comme dangereux en raison de leurs sympathies nazies. Desmond élève à Eton vint la visiter en prison à diverses reprises. Après la guerre, Oxford s’imposa dans son cursus conforme à celui de tout aristocrate anglais.

Marie-Gabrielle « Mariga », princesse d’Urach, comtesse de Wurtemberg, venait d’un autre horizon. Sa grand-mère était Amélie de Wittelsbach, duchesse en Bavière (1865-1912), ses grand-tantes étaient l’impératrice Elisabeth d’Autriche et Elisabeth, reine des Belges. Son arrière-grand-mère était la princesse Florestine de Monaco (Mariga aurait dû également être princesse de Monaco si la France n’en avait pas décidé autrement). Son grand-père, le prince Guillaume d’Urach a été brièvement roi de Lituanie sous le nom de Mindaugas II.  Il serait fastidieux de continuer la liste de la parenté royale de Mariga d’Urach car elle cousinait aussi avec l’impératrice Zita d’Autriche, la grande-duchesse Charlotte de Luxembourg et bien d’autres princes et princesses européens.

Desmond et Mariga se rencontrèrent à Oxford et se marièrent en 1954. Ils décidèrent peu après de s’installer en Irlande, berceau de la fortune des Guinness. Après avoir loué Carton House, ancienne résidence des ducs de Leinster (voir les deux photos ci-dessous) aujourd’hui un hôtel de luxe, ils achetèrent Leixlip Castle.

Loin des préoccupations politiques de leurs familles, artistes et esthètes tous les deux, ils se mirent à restaurer, truelle et pinceau à la main, cette demeure d’origine médiévale aux intérieurs décorés au XVIIIème siècle mais tombant en ruine. Naquit alors chez eux, amoureux d’Art et d’architecture, l’idée de créer une organisation qui permettrait de sauver toutes ces belles demeures georgiennes, joyaux du patrimoine irlandais, en bien piteux état.

L’Irlande avait connu au XVIIème siècle une période faste et la plupart des grands propriétaires, d’origine anglaise, installés depuis le XVIeme siècle, avaient bâti des demeures somptueuses au milieu d’immenses domaines. Puis était venue la Grande Famine (1845-1852), point d’orgue d’une situation coloniale qui aboutit à l’indépendance de l’Irlande du Nord en 1922, non sans avoir causé des millions de morts, une émigration en masse vers les Eatts-Unis et le départ des familles aristocratiques anglo-irlandaises dont l’attitude avait été pour certaines outrageusement cynique face à la misère des populations.

Ces propriétaires fonciers dont certains comme les comtes de Lucan et de Cork y ayant possédé jusqu’à plus de 200.000 hectaires, abandonnèrent leurs demeures. Dans les années 50, beaucoup d’entre elles menaçaient ruine, beaucoup avaient été détruites du fait de leur abandon ou de la guerre d’indépendance. Symboles aux yeux de certains ministres catholiques de l’occupation anglaise, le Parlement irlandais proposa de les détruire toutes. Il y avait donc urgence à sauver un patrimoine exceptionnel.

Les Guinness étaient le centre d’un cercle où se côtoyaient aristocrates anglais, princes allemands, Américains fortunés, artistes –Mick Jagger fut un de leurs grands amis– tous prêts à les aider dans cette aventure. Desmond, étant le cadet de  famille, ne devait compter que sur lui-même pour faire vivre sa famille. Il fallait donc lever des fonds pour permettre à l’Irish Georgian Society d’exister et de poursuivre son but.

L’attachement des Américains d’origine irlandaise à leur île ancestrale est bien connu. C’est là que Desmond et Mariga décidèrent d’oeuvrer principalement, l’Europe se relevant à peine de la guerre, l’Angleterre étant dans une profonde dépression économique, les anciens propriétaires peu enclins à faire quoi que ce soit et l’Irlande ayant bien d’autres problèmes à résoudre.

Ce fut le début d’une belle et fructueuse aventure. Grâce aux fonds récoltés par l’Irish Georgian Society des douzaines d’immeubles furent restaurés. Il y eut des demeures palladiennes, des maisons de ville, des cottages, des bâtiments publics,…

Un exemple de restauration : Casteltown, une des plus anciennes et plus vastes demeures palladiennes en Irlande, construite entre 1722 et 1729, avec 60 hectares de terre devait être livrée aux mains des promoteurs. Desmond Guiness l’acheta en 1967 pour 93.000 £ (1.300.000 aujourd’hui) pour la restaurer et l’ouvrir au public.

En 1979, l’oeuvre commencée grâce à de généreux donateurs, la maison fut donnée à la Casteltown Foundation (à but non lucratif) en vue de continuer la restauration puis enfin en 1994 à l’Etat irlandais qui a la charge de l’entretien des bâtiments aujourd’hui restaurés, le mobilier étant la propriété de la fondation. Sir Paul Getty et Lord Rossmore entre autres, furent parmi les donateurs (www.casteltownhouse.ie)

Les Guiness divorcèrent en 1981. Mariga d’Urach mourut en 1989. Desmond continua son oeuvre jusqu’en 2008. Au cinquantième anniversaire de l’Irish Georgian Society, il passa la main au Knight of Glen. En 2006, Desmond Guinness reçut des mains de la reine Sophie d’Espagne le prix « Europa Nostra » pour l’ensemble de son oeuvre accomplie au service de patrimoine européen. Il a également publié un certain nombre d’ouvrages consacrés au sujet.

Par sa mère, Desmond Guinness est le cousin germain de l’actuel duc de Devonshire, qui possède lui-même une splendide demeure en Irlande, Lismore Castle. Les Devonshire ont été parmi les propriétaires anglais qui se sont préoccupés du sort de leurs fermiers lors de la Grande Famine et y jouissent de ce fait d’une grande réputation. Desmond est aussi le grand-père du mannequin Jasmine Guinness.

L’Irish Georgian Society a de très beaux jours devant elle car il reste encore beaucoup à accomplir et le nombre de ses membres et généreux donateurs, américains, irlandais et anglais, est fort important. Ces dernières années, plus d’un million de dollars fut levé seulement aux Etats-Unis. A la différence du National Trust en Angleterre qui intervient sur les demeures dont il est propriétaire, l’Irish Georgian Society oeuvre sur tout ce qui nécessite son intervention en fonction de ses moyens.

Par leur action, Desmond et Mariga Guinness ont inventé une nouvelle forme de mécénat qui consiste à mettre au service d’une cause non une fortune qu’ils n’avaient pas mais intelligence, créativité et réseau social. Pour en savoir plus sur l’action passée et le fonctionnement actuel de l’Irish Georgian Society, cliquez www.igs.ie. (Un grand merci à Cosmo pour ses recherches, ses contacts et le texte – Copyright photos : Patrick Germain, The Esoteric Curiosa and Nash Rambler & Getty images)