1 Elisabeth-Marie par Laszlo

Elisabeth-Marie peinte par Laszlo en 1905

Il est toujours difficile d’analyser les causes d’un échec matrimonial. Les deux époux avaient des caractères diamétralement opposés et des aspirations différentes. Née sur les marches du trône, Elisabeth-Marie en tirait une fierté naturelle, bien qu’exagérée, mais ses aspirations, comme celles de sa grand-mère, Elisabeth, ou de son père, étaient de l’ordre du romantisme compulsif. Rien ne devait résister à sa soif d’un amour absolu dans sa plénitude. Otto avait consenti à se marier, de façon pragmatique, et était satisfait de sa situation. Son mariage remplissait la totalité de ses aspirations sociales et financières, quant à ses aspirations amoureuses, elles étaient limitées.

2 Elisabeth-Marie Photo

Elisabeth-Marie

Mais au-delà de cette dissonance intellectuelle, il semble qu’il y ait eu une dissonance sexuelle. Elisabeth-Marie écrira plus tard : “ ce sont, sans aucun doute, les excès commis durant sa jeunesse qui sont à l’origine de sa perte de vitalité. Au moment du mariage, sa virilité était très défaillante. Comme j’étais ignorante de ces choses, il me fallut tout endurer, mais lorsque les tendances perverses de mon époux me firent tomber malade, je dus m’en ouvrir à des médecins. Ce sont eux qui me conseillèrent de renoncer à toute relation intime avec lui car je mettais ma santé morale en danger.”

3 Otto

Otto

Cette déclaration laisse perplexe. Pas un instant Elisabeth-Marie ne se pose la question de savoir si le manque de vitalité de la part d’Otto n’est tout simplement pas un manque d’amour de la part d’un homme qu’elle a obligé à l’épouser. Otto remplissait probablement ses devoirs conjugaux, en officier conscient d’obéir à son empereur, mais certainement pas en amoureux.

Elle lui écrivit : “ Je ne t’apprendrai rien en te disant qu’au cours des années nos relations conjugales sont devenues extrêmement pénibles. A la lumière de certains faits, j’en suis venue à me dire qu’il me serait préjudiciable de poursuivre la vie commune dans de telles conditions. Tu m’as reproché, il y a peu, ma froideur, laquelle, de ton point de vue, serait responsable de ta perte de virilité. As-tu seulement réfléchi à ton comportement avec moi ? Ta façon de me traiter est indigne, profondément dégradante. N’importe quelle femme serait de cet avis. Tu sais parfaitement que les torts sont exclusivement de ton côté et que je n’ai rien à me reprocher…Il est hors de question pour moi d’envisager le devoir conjugal avec un homme à la virilité défaillante, c’est-à-dire dans les conditions qui foulent aux pieds la féminité et la maternité et n’ont rien à voir avec la finalité du mariage.”

Une fois de plus Elisabeth-Marie fait porter à Otto tout l’échec de leur mariage. On ne sait rien sur leurs pratiques sexuelles mais à la lire on a l’impression qu’il est un pervers l’obligeant à des pratiques dégradantes. Or de ce que l’on sait de lui, il était volage et avait des maîtresses choisies dans le demi-monde, comme la plupart des aristocrates de son époque. Il n’y eut jamais de scandale attaché à son nom, à la différence de ce qui s’était passé avec l’archiduc Otto, père de l’empereur Charles, qui défrayait la chronique par sa vie dissolue. Elisabeth-Marie semble tout simplement vouloir cesser toute relation sexuelle avec son mari. Elle n’est plus amoureuse du bel officier qui l’a déçue par l’étroitesse de son esprit et qui ne l’a pas comblée sexuellement. Il semble même qu’elle ait commencé à chercher ailleurs.

4 La baie de Pula

La baie de Pula en Istrie

C’est du moins ce qu’affirme Otto, en réponse à ses accusations : “Après la naissance de notre deuxième fils, je dus me rendre à l’évidence : ma femme avait coutume de s’entourer d’une cour de jeunes messieurs dont les divertissements étaient de nature plutôt blâmable…je me vis plusieurs fois dans l’obligation de la rappeler à un minimum de bienséance…mon épouse eut de moins en moins à coeur de préserver les apparences et se compromit gravement en public. En 1914, nous séjournions à Brioni et il y eut une scène extrêmement pénible dans un bar de Pula ( en Croatie ) avec des officiers étrangers…j’envisageais d’en référer à son grand-père, l’empereur. J’appris après coup qu’il y avait déjà un certain temps qu’elle se comportait ainsi avec de jeunes officiers – surtout des officiers de marine – à Brioni, Miramar ou ailleurs. Sa façon d’être avec tous ces hommes ne laissait subsister le moindre doute quant à la nature de ses relations avec eux et était profondément choquante…il était de notoriété publique que depuis le milieu de l’année 1913 elle entretenait une relation adultère avec un lieutenant de vaisseau, Egon Lerch…”

 

5 Egon Lerch

Egon Lerch

Il la trompait, elle le trompait. Il est probable que les choses auraient pu rester à ce stade dans un couple “normal” de la haute société mais Elisabeth-Marie était trop entière pour accepter une vie de façade.

La séparation de fait s’imposait. Un premier problème surgissait : l’argent. Otto avait dilapidé une grande partie de la fortune de sa femme, pour lui-même mais aussi pour satisfaire ses caprices à elle. Les dettes étaient considérables et il fallait apurer la situation. Et encore François-Joseph n’avait pas cessé de les aider financièrement en payant une grande partie du train de vie personnelle d’Erszi. Sans compter l’achat du château de Schönau, un million et demie de couronnes et les frais de restauration, six cent mille couronnes, soit au total un équivalent de trente millions d’euros.

Il fallait enlever à Otto la gestion de la fortune et limiter ses dépenses à une allocation annuelle. Le 22 janvier 1913, Otto dut remettre les pleins pouvoirs sur la fortune de sa femme, reçus lors du contrat de mariage. Elle gèrerait sa fortune et lui verserait une rente de soixante dix mille couronnes pour ses dépenses personnelles. Il semble que lors des tractations pour arriver à cette décision, elle ait réalisé qu’Otto l’avait épousée pour son argent. Il lui avait fallu douze ans pour comprendre que son mariage, du moins de la part d’Otto, ne reposait en rien sur l’amour. L’aveuglement d’Elisabeth-Marie avait été aussi grand que son orgueil. Elle s’était achetée un mari.

Elle prévint l’empereur de la mésentente du couple et de leur séparation de fait. Ils ne pouvaient plus vivre ensemble certes mais ils ne pouvaient divorcer, telle était la position de François-Joseph, conforme à la législation autrichienne de l’époque et aux usages de la famille impériale. L’empereur essayait de comprendre, tout en espérant que ce serait passager.

Elle passa de plus en plus de temps sur la Côte Dalmate, à Brioni où elle loua une maison , la Villa Punta Naso, pour s’y installer avec ses enfants. Elle semblait heureuse dans ce climat méditerranéen, loin de la Bohème qu’elle n’aimait pas et relativement près de Vienne où elle pouvait retourner quand elle voulait, ayant toujours un appartement à sa disposition à la Hofburg ou à Schönbrunn.

6 Villa Punta Naso à Brioni

Villa Punta Naso à Brioni

Mais la vie à Brioni cachait à peine d’autres choses. Ce qu’avait dit Otto était vrai, Elisabeth Marie aimait à s’entourer de beaux officiers de marine et lors d’une fête à Pula, durant l’hiver 1913, lui fut présenté Egon Lerch. Elle fut immédiatement séduite par le beau lieutenant de vaisseau. Il avait 27 ans, donc trois ans de moins qu’elle. Grand, athlétique, charmeur, il était physiquement assez proche d’Otto. Il était aussi un homme à femmes. Intelligent, il avait fait de brillantes études et avait entamé une belle carrière. Son père était également officier de marine mais n’appartenait pas à la noblesse.

7 Egon Lerch

Egon Lerch

Il tomba amoureux d’elle et le couple vécut une passion comme Erszi aurait aimé la vivre avec son mari. Tout à leur amour le couple ne se cacha pas et alors que, jusque là, on en était à lui prête des amants, sans aucune certitude, cette fois la princesse Otto Windisch-Graetz fut officiellement la maîtresse du lieutenant Egon Lerch. Aucune honte, aucune retenue n’habitait Elisabeth-Marie. Elle se moquait des conventions. Sa seule crainte était que l’empereur l’apprenne mais elle ne faisait rien pour qu’il ne l’apprenne pas. Quant à Otto, elle s’en moquait.

On comprend mieux dans ce contexte la lettre qu’elle écrivit le 28 février 1913, à son fils aîné, pour n’être lu qu’à ses dix-huit ans : “…Choisis une profession, remplis ta tache entièrement et ne la lâche pas si difficile puisse-t-elle être. N’oublie jamais que vivre veut dire travailler. Le nom, le rang, le titre ne sont rien, tout au plus un bagage inutile. La valeur intérieure personnelle, ce que l’on est devenu par soi-même et ce qu’on a accompli, comptent seuls devant Dieu et l’homme véritable…”

Seule la rencontre avec Egon peut expliquer une telle déclaration de mépris envers titre et rang et en faveur du travail et de la valeur personnelle. Comment osait-elle parler ainsi, elle si orgueilleuse de sa naissance, si capricieuse dans ses choix, qui n’avait jamais travaillé et ne travaillerait jamais ? Une fois de plus elle se montrait inconséquente.

8 Egon LerchEgon Lerch

Otto connaissait la liaison de sa femme, il était difficile de ne pas la connaître, mais avec son respect des valeurs traditionnelles, il voulait éviter le scandale. Dans sa déposition contre elle, il détailla tous les voyages du couple, les lieux où ils se rencontraient et ce avec force détails qui prouvaient qu’il savait tout depuis le début. Elle lui reprocha d’avoir fermé les yeux pour ne pas perdre sa rente annuelle.

Elisabeth-Marie et Egon voyageaient ensemble, partageant le même sleeping-car. Il avait ses entrées dans la chambre d’Elisabeth-Marie et devait pour la retrouver traverser la chambre de ses fils.

Leur vie n’était qu’une folle passion qui unissait sexe et sentiment. Otto l’avait épousée contrant et forcé et il ne réussit pas à être l’amant fougueux qu’elle souhaitait. Egon en avait fait sa maîtresse et lui prouvait son désir à longueur de nuits. Erszi était heureuse, son amant aussi.

Elle s’éloignait de sa famille. Ses aînés étaient en pension et s’il lui arrivait d’aller voir son grand-père à Vienne, c’était avec une gêne réciproque. Mis au courant le vieil empereur désapprouvait bien entendu mais préférait ne parler de rien avec elle. Il l’aimait trop pour pouvoir la perdre. Il est probable qu’un mot désagréable de sa part aurait fait fuir Erszi pour ne plus revenir.

1914 était là et tout à son amour, la tension internationale lui échappait. Comme tous, elle fut surprise et bouleversée par l’attentat de Sarajevo et Egon lui ouvrit les yeux sur le risque et l’imminence du conflit.

Le 28 juillet, l’Autriche déclarait la guerre à la Serbie et l’Europe basculait dans une horreur dont elle n’avait pas encore conscience. Là aussi, ce fut Egon qui le lui annonça. Elle comprit immédiatement les conséquences de la situation.

Egon fut nommé commandant d’un sous-marin U12. Otto fut attaché à l’état-major de la deuxième armée.

9 U12 dans le port de Pula

U12 dans le port de Pula

La guerre était terrible et Otto se comportait en véritable officier qu’il avait toujours été, ayant interrompu sa carrière pour faire plaisir à Elisabeth-Marie. Il conquit pas moins de quinze médailles sur les champs de bataille.

Egon n’était pas moins valeureux. Il toucha un bâtiment français, le “Jean Bart”, avec une torpille. Il souhaitait devenir un héros afin que l’empereur consente au divorce d’Elisabeth-Marie et lui permette à lui de l’épouser. Pour arriver à l’héroïsme, le jeune officier fut imprudent.

10 L'équipage du U12 avec Egon Lerch après l'attaque du Jean Bart le 7 décembre 1914

L’équipage du U12 avec Egon Lerch après l’attaque du Jean Bart le 7 décembre 1914

Le château de Schönau était enfin prêt à recevoir sa propriétaire et avec elle, son amant. Elisabeth-Marie y était quand le  8 août 1915, elle apprit que l’U12 d’Egon ne rentrerait pas. Le bateau et son équipage avaient été coulés. Elle partit immédiatement pour Trieste dans l’espoir d’y retrouver Egon recueilli, comme par miracle. Le 13 août une lettre du supérieur d’Egon, le baron Franz Thierry, lui confirmait que le sous-marin avait été torpillé par un sous-marin italien. “Lerch avait la stature d’un héros”, écrivait-il. Quelque mois plus tard, le sous-marin fut remonté à la surface mais il était impossible d’identifier le corps d’Egon ou de ses marins, tant l’explosion avait été violente.

11 U12 récupéré par la marine italienne

U12 récupéré par la marine italienne

On sut plus tard qu’Egon était mort pour avoir désobéi aux ordres de son supérieur, en allant bien au-delà des capacités de son sous-marin.

Elisabeth-Marie s’enferma dans son désespoir et porta le deuil de son amant. La seule vision d’Otto lui fit dire “ Il revenait du front des morts et il était vivant ! C’est lui qui aurait du mourir.” Elle se mit à détester le père de ses enfants et demanda à son grand-père l’autorisation de s’en séparer définitivement. Elle lui avoua son amour pour Egon dont le souvenir lui interdisait désormais de voir Otto.

François-Joseph essaya de remédier à la situation avec l’aide du père d’Otto. Le prince Montenuovo, grand maître de la cour de l’empereur, essaye de son côté de rapprocher le couple. Rien n’y fit. Chaque fois qu’ils étaient en présence, ce n’étaient que scènes effroyables dont les enfants étaient témoins. Elisabeth-Marie savait toutefois que s’il y avait procès entre eux, la garde des enfants lui serait retirée en raison du scandale public de sa vie avec Egon. Si elle avait été mauvaise épouse, elle était bonne mère et prodiguait à ses enfants tous les soins dont ils avaient besoin. Ils pouvaient aller voir leur père de temps en temps, qui habitait une garçonnière au rez-de-chaussée du palais familial. Elisabeth de son côté habitait Schönau et s’occuper du domaine la distrayait de son chagrin.

Le 22 mai 1916, Elisabeth-Marie proposa à Otto de “faire la paix et te suggère que nous tentions de cohabiter. Il me semble que ce devrait être du domaine du possible si tu as, comme moi, le désir sincère d’éviter toute manifestation de haine ou d’aigreur, de faire preuve de politesse et de tact lorsque nous nous croiserons et te laisser guider en toute chose par l’intérêt des enfants…Je résiderai à Schönau et tu disposeras du palais de Vienne. Chacun gérera ses biens…”

Otto répondit de façon favorable à sa demande, en lui rappelant : “ La loi et la tradition chrétienne de notre pays me conférant l’autorité de chef de famille, je suis responsable de l’éducation des enfants, dont l’avenir et le bonheur me tiennent autant à coeur qu’à toi. Cesse de t’imaginer, je te prie, que je cherche avant tout de te séparer d’eux.”

Il est vrai que la haine et les reproches étaient beaucoup plus du côté d’Elisabeth-Marie que de son côté à lui. Si le scandale était arrivé, c’était par sa faute à elle, qui avait voulu afficher son amour pour Egon aux yeux du monde.

Le 26 juin 1916, alors que l’Europe était à feu et à sang, le prince et la princesse Otto Windisch-Graetz signèrent un armistice familial. Elle gérerait ses biens, il aurait le palais de Vienne, elle le château de Schönau. L’empereur s’engageait à verser une pension de cinquante mille couronnes à Otto, à reverser sur la tête de ses enfants, toute procédure ultérieure aurait pour effet de mettre fin à la pension. La princesse subviendrait aux besoins des enfants et à leur éducation. L’empire touchant à sa fin, tout ceci ne serait bientôt que lettre morte.

Le 21 novembre 1916, François-Joseph mourait après soixante-huit ans de règne. Sa petite-fille adorée assista à l’ensemble des funérailles. Mais un nouvel empereur était sur le trône, bien loin d’Erszi et de ses préoccupations.

12 François-Joseph

François-Joseph

Le testament de l’Empereur partageait ses biens en trois, un tiers pour Gisèle, un tiers pour Marie-Valérie et un tiers pour Elisabeth-Marie. Elle reçut quatorze millions de couronnes en valeurs mobilières accompagnés de meubles et tableaux, qui firent d’elle la propriétaire d’une des plus belles collections de maitres autrichiens et de portraits de famille. Pour l’Autriche, pour Erszi, comme pour l’Europe, la mort de François-Joseph signifiait la fin d’un monde, celui que Stefan Zweig appela “Le Monde d’Hier”.

13 Elisabeth Marie

Elisabeth-Marie

A suivre… Merci à Patrick Germain pour cette quatrième partie.