1 Elisabeth-Marie

Elisabeth-Marie au début de son mariage

Il fallait maintenant endosser le rôle de femme d’officier. Ils s’installèrent à la Villa Groebe à Prague, qui n’était tout de même pas la résidence de chaque officier de l’armée impériale et royale, et leur vie n’était en rien semblable à celle des couples d’officiers, même bien nés et fortunés. Elisabeth-Marie restait la petite-fille préférée de François-Joseph et se comportait toujours en archiduchesse à qui on ne refuse rien. L’été 1902 se passa beaucoup plus en voyage à Karlsbad, Meran, Turin, Salzbourg, Ischl pour les 72 ans de son grand-père, le 18 août, qu’en garnison à Prague.

 

2 Villa Groebe du temps d'Elisabeth et Otto

Villa Groebe à Prague, résidence du jeune couple

A l’automne, Elisabeth-Marie était enceinte mais à la suite d’une chute en descendant du train à Nice au printemps 1903, elle fit une fausse couche, dont elle se rétablit rapidement.

L’année 1903 fut semblable dans sa mondanité à 1902. Beaucoup de voyages au sein de l’empire, à l’étranger, en couple amoureux ou en membres de l’immense réseau royal de l’époque. A l’automne, Elisabeth-Marie était à nouveau enceinte. Le 22 mars 1904, elle mit au monde son premier enfant, un garçon, prénommé François-Joseph Marie Otto.

3 Avec son fils aîné François-Joseph

Avec son premier fils

La caractère affirmé d’Erszi était toujours là et elle ne pouvait toujours pas comprendre que les autres puissent penser autrement qu’elle. Elle avait exigé son mari et l’avait obtenu. A présent, elle le voulait tout à elle, et rien qu’à elle. Elle voulait qu’il quitte l’armée, il demanda, à titre de compromis car il aimait le métier des armes, un congé d’un an.

4 Château de Reichstadt

Château de Reichstadt

Ils quittèrent Prague pour s’installer au château de Reichstadt mis à leur disposition par l’empereur. Pour faciliter leurs allers et venues avec Vienne, il leur offrit une Daimler décapotable, à l’intérieur tout de cuir et de bois précieux. En 1904, c’était une extravagance que seul un monarque ou un milliardaire pouvait s’offrir.

5 Daimler 1904Daimler 1904

Le 21 avril 1905, Elisabeth-Marie donna naissance à son second enfant, encore un garçon, prénommé Ernest-Wériand.

6 Prince Ernest

Prince Ernest

Elisabeth-Marie exerça alors une telle pression sur Otto qu’il offrit sa démission de l’armée.

7 Avec les deux aînés

Le couple avec ses deux fils aînés

Dans son rapport militaire, on peut lire : “ Connaissance des langues : allemand, anglais, français, polonais, italien. Pour les besoins du service, le tchèque et le slovène.

Caractère : caractère résolu, énergique, décidé, tempérament gai et enjoué, bonnes capacités, intelligence et compréhension rapide, connait très bien ses obligations e service, s’est bien conduit pendant les manoeuvres des troupes, juge très bien les situations tactiques et agit avec justesse, s’oriente très rapidement sur le terrain, est remarquablement zélé et actif ; met toute son ardeur à étendre ses connaissances militaires.

Est un cavalier exceptionnel, il excelle à l’escrime, à la natation, aux exercices de gymnastique, bicyclette, en tout il aspire à être le meilleur dans la cavalerie. Il a la connaissance, le goût et l’amour des armes.”

En résumé, Otto Windisch-Graetz est un officier parfait à l’avenir prometteur, et c’est de cet avenir qu’Elisabeth-Marie va le priver. Il fut promu capitaine de cavalerie de deuxième classe mais il ne l’était plus qu’au titre de la réserve.

Dans son ouvrage “L’Orpheline de Mayerling”, la princesse François-Joseph Windisch-Graetz, née Ghislaine comtesse d’Arschot-Schoonhoven, belle-fille d’Elisabeth-Marie, raconte un épisode de la vie du couple, qui semble avoir été un tournant dramatique dans les rapports entre le mari et la femme.

Elle commence par un portrait psychologique de sa belle-mère qu’elle décrit avec un “psychisme complexe qui cachait des pulsions pouvant atteindre excès et violence”. “Cependant quoiqu’elle ait laissé paraître, les profondeurs de son âme restèrent insondables et les mobiles de ses actes, souvent difficiles à déceler.” Elle continue avec un portrait plus léger de son beau-père, “ le charmeur irrésistible avait des sentiments moins profonds. Né “balance”, il était essentiellement équilibré et pondéré. Sa sensibilité envers les femmes était plutôt superficielle. Il n’attachait que peu d’importance aux flirts passagers”.

Erszi avait une jalousie qui l’a amenée à faire surveiller son mari quand ils étaient séparés. Etant seule à Vienne, elle reçut un message de son espion lui disant : “ Le prince Otto Windisch-Graetz qui, par ses visites répétées à l’opéra de Prague n’a pas caché son admiration pour la chanteuse Marie Ziegler, l’a invitée à faire une promenade en voiture puis dans le parc. Demain elle est de nouveau invitée à la Villa Groebe. Le prince la recevra à 16 heures.”

Elisabeth-Marie se sentit outragée au plus profond d’elle-même, en tant que femme amoureuse mais aussi en tant qu’archiduchesse d’Autriche, petite-fille de l’empereur, à laquelle son mari faisait subir un tel affront. Elle partit immédiatement pour Prague, armée d’un pistolet et faisant irruption dans le salon où se trouvait le couple, tira sur la femme.

Il n’y eut pas de scandale car l’affaire fut totalement étouffée mais quelques années après Marie Ziegler, qui n’avait été que légèrement blessée, raconta l’affaire alors qu’elle se produisait à New York. Elle en parla légèrement sans exagération ni rancune. Il est d’ailleurs probable que son silence fut payé à prix d’or en Autriche.

Otto tenta de se disculper, en homme du monde qui ne semblait pas avoir commis quelque faute que ce soit. Il n’était pas le seul à l’époque à avoir des aventures sans conséquences avec des actrices ou des chanteuses. On aurait même dit que le foyer de l’Opéra de Vienne ou de toute autre capitale, n’avait pas d’autre but que d’offrir des maîtresses aux hommes fortunés. Il promit, sans grande conviction, de ne pas recommencer. Elisabeth-Marie n’oublia pas.

8 A cheval

A cheval

Otto avait une vraie passion pour les chevaux et comme la grand-mère de sa femme, Elisabeth d’Autriche, ne savait pas y résister et il en acheta un grand nombre, pour la chasse, pour les concours, pour la selle, pour l’attelage. Chacune de ces merveilles coûtait des fortunes et était payée avec l’argent d’Erszi. De son côté, se faisant montrer des fourrures de grand prix, chassés pour la plupart en Sibérie, ne sachant choisir, les achetait toutes.

Le couple vivait sur un train extravagant au point que l’empereur dut parfois payer leurs dettes.

9 Château de Ploschkowitz 2

Château de Ploschkowitz

Se trouvant à l’étroit à la Villa Groebe, elle voulut une résidence plus spacieuse et l’empereur mit à sa disposition le château de Ploschkowitz, à 60 kilomètres de Prague. Il avait une des résidences de l’empereur Ferdinand Ier après son abdication en 1848. Là, il fallut compléter le réaménager en lui apportant le confort auquel elle avait droit. Mais la Bohème n’était pas sa patrie et Prague n’était pas sa ville aussi passait-elle son temps à retourner à Vienne, la Hofburg, Schönbrunn, Laxenburg étaient ses vraies maisons. Elle ignorait superbement la culture tchèque pourtant si riche, une des composantes majeures de la culture “Habsbourg”.

Durant l’hiver 1906, elle resta à Schönbrunn, laissant son mari aux prises avec les travaux de Ploschkowitz. C’est à ce moment que le peintre Laszlo fit son portait, qui finit oublié dans un coin du palais et dont elle dira “Je n’ai jamais voulu l’avoir, il me rappelle trop la tristesse dans laquelle je vivais à cette époque.”

C’était, en effet, pour le couple, une époque de flirt où les deux s’abandonnèrent facilement, elle recevant les hommages des hommes et lui prodiguant les siens aux femmes.

Malgré ce début de délabrement conjugal, elle mit au monde son troisième enfant, encore un fils, le 4 février 1907, prénommé Rodolphe.

10 Prince Rodolphe

Prince Rodolphe

Comme sa grand-mère Elisabeth, Erszi ne tenait pas en place et durant toute cette période, à peine arrivée quelque part, il lui fallait en repartir. Otto, lui, était comme François-Joseph. Il était une force de la nature, déplus il déclarait “ Je ne sais pas ce que c’est que d’être nerveux, vivre sur les nerfs ou être irritable”. Il passait sa vie en sportif. Il chassait, montait à cheval, jouait au tennis. Il aimait sortir ou recevoir. Il aimait briller en société et il y réussissait parfaitement. En homme du grand monde, il aurait aimé avoir une femme à ses côtés qui partage une vie de famille harmonieuse, le suive dans ses intérêts, et lui soit soumise. Mais ce n’était pas le caractère d’Elisabeth-Marie qui le dominait et l’exaspérait dans ses colères sans qu’il en laisse rien voir. L’eau et le feu ensemble !

11 Avec les trois aînés

Elisabeth-Marie et ses trois fils

Elisabeth-Marie avait aussi un tempérament sexuel fougueux. Et si Otto sut révéler la femme en elle, il ne sut pas combler toutes ses attentes. En amour, comme en tout, il était mesuré et ne comprenait pas les besoins sexuels de sa femme. Et il continuait à la tromper alors qu’elle espérait de lui un amour fusionnel réciproque et sans limites. Elle était déçue par lui et avait du mal à accepter cette déception. Lui, s’en arrangeait très bien car il n’était pas déçu, ayant une vie au-delà de ses espérances de jeune homme.

12 Elisabeth-Marie et sa fille StéphanieElisabeth-Marie et sa fille Stéphanie

Le 9 juillet 1909, elle mit une fille au monde, prénommée Stéphanie comme sa grand-mère.

13 Elisabeth-Marie et sa fille Stéphanie copy

Elisabeth-Marie et Stéphanie

Maternelle, elle avait ses enfants avec elle autant que sa vie errante le permettait. Mais ces naissances successives n’arrangeaient en rien la situation du couple.

François-Joseph l’aimait profondément et il la comprenait, même s’il ne l’approuvait pas toujours. Il était son refuge dans ses moments de tristesse. Il n’avait rien à reprocher à Otto qui était un mari parfait selon les normes de l’époque. Il était inquiet pour sa petite-fille et pensait qu’il lui fallait une vraie maison à elle, et non plus le seul usage de palais et châteaux impériaux. Le 18 janvier 1909, il lui fit donation de un million et demie de couronnes pour acheter le château de Schönau an der Triesting, un superbe domaine à 40 kms de Vienne avec le Simmering en toile de fond. Elle en fit une résidence magnifique.

14 Château de Schönau

Château de Schönau du temps d’Elisabeth-Marie

 

15 Schönau an der Triesting

Château de Schönau, aujourd’hui

Elisabeth-Marie était une femme moderne mariée à un homme du XIXe siècle.

Moderne, elle fut aussi dans ses toilettes. Dès qu’elle le put, elle retrouva la liberté de son corps en se libérant des corsets. Elle alla même jusque dans l’atelier de Klimt pour y commander une robe inspirée par lui. Elle allait prendre le thé chez Demmel, chose impensable pour une archiduchesse d’Autriche à l’époque. Otto et elle allaient souper au Sacher et il n’est pas impossible qu’elle ait eu l’espoir d’attirer son mari dans un des salons privés que Frau Sacher mettait à la disposition de ses clients amateurs de sensations érotiques. Mais il est peu probable que le conventionnel Otto ait songé à emmener sa femme dans des jeux où il amenait peut-être ses maîtresses.

16 Elisabeth MarieElégance parfaite

17 Robe de Klimt 2

Une robe de Klimt

18 A la mode

Elisabeth-Marie, jeune femme à la dernière mode

 

 Le couple avait une vie mondaine intense car Otto ne voulait manquer aucune fête et Elisabeth-Marie l’accompagnait à contre-coeur. Toujours jalouse, elle ne pouvait rester à la maison tenaillée par la crainte de  savoir son mari papillonnant autour des femmes les plus belles, les plus dangereuses et les plus faciles de Vienne. Elle préférait le voir papillonner sous ses yeux, quitte à lui faire une scène en rentrant. Et c’est souvent ce qui se passait. Elle-même se laissait courtiser dans l’espoir de susciter la jalousie de son mari qui lui répondait que tout ceci n’était pas sérieux, ce qui exaspérait Erszi qui aurait aimé avoir un mari qui la dompte avec son amour et non un gentleman flegmatique qui haussait les épaules.

Une nuit, à la suite d’une violente dispute, il se retira dans sa chambre et quand il dormait, elle alla le réveiller en tirant une balle de revolver à travers la porte.

Il avait des maîtresses, elle eut des amoureux, dont on ne sait pas s’ils furent transis ou non. On en connait au moins trois, du moins par leurs initiales, et par le lettres échangées entre elle et eux. L’un d’entre eux était un cousin d’Otto, le prince Vincent Windisch-Graetz. On sait que les sentiments de ces hommes, assez audacieux pour porter le regard et leurs attentions vers l’altière archiduchesse, étaient sincères et ont été bien reçus. Mais on ne sait rien de plus.

Ces correspondances révèlent l’état de délabrement de l’esprit d’Elisabeth-Marie dans la déception profonde qu’elle éprouve devant la médiocrité sympathique de son mari.

L’orgueilleuse petite-fille de l’empereur d’Autriche s’est liée, de par sa volonté, à un prince qui lui est, non seulement socialement inférieur, mais est en plus incapable de comprendre la grandeur et les élans de son âme. Il ne lui reste plus qu’à tirer les conclusions de son échec. Elle refusait d’admettre qu’elle avait peut-être aussi une responsabilité dans le délitement de son couple.  Otto ne la comprenait pas mais le comprenait-elle ? Une question s’imposait à son esprit : Pouvaient-ils encore vivre ensemble ?

19 Une bonne mère de famille

Elisabeth-Marie et ses quatre enfants

A suivre… Merci à Patrick Germain pour cette troisième partie