Voici un entretien de la princesse Sophie de Hohenberg (en bleu sur cette photo d’archives prise par Netty Leistra), réalisé par Christophe Vachaudez, auteur notamment du célèbre ouvrage de référence « Les bijoux des reines et princesses de Belgique ». Resituons rapidement la famille de Hohenberg. Après le décès de l’archiduc héritier Rodolphe d’Autriche, le successeur de l’empereur François Joseph devient son neveu l’archiduc François Ferdinand (1863-1914). L’archiduc a contracté une union morganatique avec la comtesse Sophie Chotek en 1900. La comtesse qui ne sera jamais archiduchesse ni même un jour impératrice est titrée princesse de Hohenberg. Le couple a trois enfants : Sophie (1901-1990), Maximilian (1902-1962) et Ernst (1904-1954). L’archiduc François Ferdinand et son épouse sont assassinés le 28 juin 1914 à Sarajevo. Leur fils aîné le prince Maximilian épouse en 1926 la comtesse Elisabetha Bona von Waldburg zu Wolfegg und Waldsee. De cette union, naîtront 6 enfants. L’aîné de ceux-ci le prince Franz Ferdinand, duc de Hohenberg (1927-1977) épouse en 1956 la princesse Elisabeth de Luxembourg (1922-2011), sœur du grand-duc Jean de Luxembourg. Le prince Franz Ferdinand et la princesse Elisabeth ont eu deux filles : Anna (dite Anita) et Sophie. C’est la princesse Sophie qui a accordé cet entretien à Christophe Vachaudez afin d’évoquer son combat pour récupérer le château de Konopiste en Tchéquie, héritage de son arrière-grand-père l’archiduc François Ferdinand, dont son grand-père a été abusivement privé au lendemain de la Première Guerre Mondiale. (Un grand merci à Christophe Vachaudez pour cet entretien et sa collaboration au site Noblesse et Royautés – Copyright photos : site de Netty Leistra & DR)

Le 16 avril 1919, les orphelins de l’archiduc François-Ferdinand font l’objet d’une confiscation abusive orchestrée par les autorités tchèques. Ils sont tout bonnement expulsés du château familial de Konopiste, sans autre forme de procès. Depuis 2007, la princesse Sophie de Hohenberg a rouvert ce dossier qui suscite toujours le débat. Fille cadette de la princesse Elisabeth de Luxembourg et duc Franz de Hohenberg, lui-même petit-fils de l’archiduc François-Ferdinand, la princesse Sophie, aux côtés de son époux, Monsieur Jean-Louis de Potesta, s’est engagée avec conviction dans ce combat visant à faire reconnaître officiellement l’injustice criante dont ont a été victime sa famille.

Madame, pour cerner ce cas très particulier, il faut je pense remonter à l’aube du XXe siècle ?

En effet, c’est en 1900 que l’empereur François-Joseph autorise mon arrière-grand-père, qui est alors l’héritier du trône, à épouser la comtesse tchèque Sophie Chotek de Chotkowa et Wognin à la condition expresse que l’union soit morganatique et que la descendance à naître soit exclue de la ligne successorale. Une autre condition sine qua non établit clairement que la future épouse et ses enfants ne pourront en aucun cas être considérés comme membres de la famille impériale et royale et qu’ils n’auront pas droit aux noms, titres et privilèges d’ordinaire consentis aux archiducs. Souvent, on a traité mon arrière-grand-mère avec un certain dédain et je voudrais préciser que si elle porte le simple titre de comtesse, elle dispose des seize quartiers de noblesse réglementaires pour intégrer l’Ordre prestigieux des Dames de la Croix étoilée. Sa famille était très ancienne et respectée et nombre de ses membres ont servi fidèlement les Habsbourg. Enfin, sa mère est issue de l’illustre famille Kinsky. Mais l’empereur a voulu respecter la loi familiale à la lettre et l’archiduc s’est plié aux volontés de son oncle, avalisant l’acte de renonciation qui sera finalement lu devant le Reichsrat. Le 28 juin 1914, mes arrière-grands-parents sont assassinés à Sarajevo, un événement tragique qui entraînera l’Europe dans la Première Guerre mondiale. Maximilien, leur fils aîné, a 14 ans quand, la succession une fois terminée, il hérite du domaine de Konopiste, soit le 28 octobre 1916. Il est le propriétaire de droit du château et de ses 5758 hectares. Son frère cadet, Ernst reçoit, quant à lui, la propriété de Chlumetz près de Trebon.

L’interprétation que fait la Tchécoslovaquie du Traité de Saint-Germain va pourtant changer la situation du tout au tout ?

En fait, il faut attendre près de dix mois après la signature de l’Armistice pour que le traité de Saint-Germain soit ratifié par l’Autriche, la Tchécoslovaquie et les autres pays concernés le 10 septembre 1919. L’article 208 stipule que les états auxquels un territoire de l’ancienne monarchie austro-hongroise a été transféré ou qui sont nés du démembrement de cette monarchie acquerront tous biens et propriétés appartenant au gouvernement autrichien, ancien ou actuel, situés sur leur territoire respectif…ainsi que toutes les propriétés de la couronne, et que les biens privés de l’ancienne famille souveraine d’Autriche-Hongrie. Le 12 août 1921, le parlement tchécoslovaque fait voter une loi légalisant rétroactivement la confiscation arbitraire des biens des enfants de l’archiduc François-Ferdinand en le mentionnant comme propriétaire des biens plus de sept ans après sa mort, un subterfuge qui permet au gouvernement de s’emparer de Konopiste et de Chlumetz, domaines déjà expropriés le 16 avril 1919, avant même la signature du traité.

Vous mentionnez sur votre site l’intervention du duc de Portland, un ami de l’archiduc François-Ferdinand, qui s’inquiète de cette spoliation auprès de Lord Curzon, Ministre britannique des Affaires étrangères.

Oui, tout-à-fait, Lord Curzon va même contacter le président de la République Tchécoslovaque Tomás Masaryk. Ce dernier va réagir en précisant que les orphelins ont été mis à l’abri et que dès que la situation serait rentrée dans l’ordre, ils auraient le droit de rester en possession de la maison et de son contenu, mais avec les 500 hectares autorisés par la Loi.

A-t-on essayé à l’époque d’intenter un procès à l’État tchécoslovaque ?

Bien entendu, le prince Jaroslav de Thun et Hohenstein, tuteur légal et oncle de Maximilien, de Sophie et d’Ernst, dépose une plainte contre cette décision, arguant que les enfants de l’archiduc François-Ferdinand ne font pas partie de la famille impériale et donc, ne sont pas concernés par l’article 208, ce qui a été respecté en Autriche où ils ont pu conserver la pleine jouissance du château d’Arstetten. Une autre plainte a été introduite à La Haye auprès de la commission des réparations mais cette dernière s’est dite incompétente pour statuer sur le sujet. Depuis lors, l’affaire était demeurée en l’état et attendait d’être rouverte, voici qui est chose faite.

Madame, votre enfance a été bercée par l’histoire du château de Konopiste. Vous l’avez visité il y a peu mais pourquoi avez-vous avez finalement décidé de reprendre le combat ?

Ma première visite à Konopiste fut déterminante. Mon père avait promis de m’y emmener et il est décédé avant de concrétiser ce projet qui lui tenait à coeur. J’ai donc hésité longtemps avant d’entreprendre ce voyage sans lui mais mon époux a su me convaincre. Moi qui ai d’ordinaire les deux pieds sur terre et qui ne suis pas trop rêveuse, j’ai été assaillie, sur place, par des émotions auxquelles je ne m’attendais pas. J’avais l’étrange impression que les pierres me parlaient et, pourtant, je n’avais jamais mis les pieds dans ce lieu. J’ai grandi au Grand-Duché avec l’idée que la maison dans laquelle nous habitions n’était pas vraiment la nôtre, je ne ressentais pas d’attachement particulier et, puis soudainement, j’ai eu l’impression que je me sentais chez moi à Konopiste. Quand j’ai quitté le château, le vague à l’âme m’a envahie et, pourtant, je suis issue de la troisième génération. Avec son frère et sa sœur, mon grand-père fut la dernière personne à vivre au château. Lors de ma deuxième visite, j’ai vraiment décidé que je devais tenter quelque chose.

Comment a réagi Madame votre Mère, votre époux et vos enfants ?

Ma mère a consenti à nous transmettre ses droits sur le domaine, ce qui était essentiel pour entamer une procédure. Toutefois, elle craignait que je ne sois confrontée à de trop grandes difficultés et que je n’expérimente la frustration qu’avait connue mon père. Mon époux m’a toujours encouragée et c’est lui qui a vraiment insisté pour que je me rende sur place. Enfin, mes enfants m’ont donné le feu vert car, chacun à leur façon, ils étaient persuadé qu’il fallait faire quelque chose pour réparer cette injustice criante. Tout pouvait donc commencer mais nous devions d’abord trouver un avocat tchèque qui accepte de se charger du dossier et donc, en quelque sorte, d’attaquer en justice son propre pays, une chose plutôt délicate. En fait, j’ai coutume de dire que notre cas est extrêmement simple tout en étant très compliqué. Dans les grandes lignes, il s’agit d’un bien qui a été confisqué et qui n’aurait pas dû l’être.

La procédure en justice a donc pu débuter. Quelle fut la réaction en Tchéquie ?

Certaines personnes se sont demandées pourquoi, après tout ce temps. En fait, mon père avait été pieds et poings liés car il était impossible d’établir un contact avec les communistes. Il a fallu attendre la chute du rideau de fer pour pouvoir reprendre ce combat, en ayant en face de moi un État démocratique et de droit. Au début, notre avocat s’est fait traiter de fou par ses collègues mais cela ne l’a pas découragé. Un historien a estimé que même si la confiscation avait été abusive, maintenant que cela avait été fait, peu importait. Un seul journaliste a assisté à la première audience du tribunal. La presse, dans son ensemble, a réagi de façon très positive, dans le sens où elle semblait ouverte à la discussion. En fait, j’en ai même été touchée et cela m’a donné de l’espoir pour la suite. Je crois aussi que les tchèques voulaient en savoir plus car ils ont vécu dans le mensonge pendant si longtemps. D’ailleurs, les journalistes vinrent en nombre à la deuxième audience et puis, soudain, nous avons eu la nette impression de se heurter à un mur. Notre cas a été rejeté par toutes les instances qui ont prétexté des vices de forme et se sont bien gardées de juger sur le fond. Toutefois, les juges ont tout de même confirmé que le bien appartenait à mon grand-père au moment de la confiscation et non à mon arrière-grand-père, un léger pas en avant ! Je considère que nous n’avons pas eu de procès équitable et c’est pour cette raison que je me suis tournée vers la cour de Strasbourg.

Á l’heure actuelle, y a-t-il eu une avancée ?

La cour de Strasbourg est en train d’étudier le dossier et j’espère de tout cœur qu’elle va aboutir à une décision qui sera pour nous tous une solution juste, une solution que la République tchèque ainsi que notre famille puissent accepter.