Dans ce reportage, les noms japonais sont donnés dans l’ordre occidental : prénom et nom. Né le 20 octobre 1887 à Kyoto, le prince Yasuhikō Asaka devient altesse impériale le 10 mars 1906, lorsque l’empereur Meiji lui confère le titre Asaka-no-Miya (prince impérial Asaka), lui octroyant ainsi l’autorisation de fonder une quatrième branche impériale avec droit de succession au trône japonais. Afin de mieux saisir les enjeux de la multiplication de ces branches impériales (toutes supprimées en 1945 par l’occupation américaine), il faut recontextualiser un peu la complexité de la famille impériale à l’époque.

Le jeune Yasuhikō est en fait le 8e fils du prince Asahikō Kuni (1824-1891), héritier de la branche princière Fushimi-no-Miya, la plus ancienne des quatre maisons princières en droit de « fournir » un successeur en titre au trône du Chrysanthème, dans l’éventualité de la disparition de la branche impériale (ou si celle-ci n’était plus à même de fournir un héritier mâle).

Comme beaucoup de prince de branches collatérales, le prince Asahikō Kuni avait été élevé pour devenir prêtre bouddhiste ; afin de prévenir, autant que possible, toute velléité de rebellion contre le Bakufu – plus connu sous l’appellation Shogun dans les pays occidentaux – qui est alors le véritable dirigeant du pays, mais aussi afin d’éviter les guère de succession du trône. Cependant, la position du prince dans le cercle impérial se renforce en 1838 – il est alors âgé de 14 ans – lorsqu’il est adopté par l’empereur Ninkō, qui règne de 1817 à sa mort en 1846 (à l’âge de 45 ans) – selon une coutume assez répandue à l’époque dans les familles princières et fortunées.

Tout bascule pour le prince Kuni, lorsqu’en 1862, les forces pro-imépriales finissent par renverser le Bakufu et par restaurer l’Empereur dans ses prérogatives. Le prince Kuni était connu pour ses prises de postions ultra-conservatrices en faveur de l’Empereur, mais aussi en faveur d’une expulsion générale de tous les étrangers présents au Japon – les Américains essaient alors, sous le pavillon du commodor Perry, de forcer le pays et, si possible, d’y ancrer leur présence ; ce qu’ils n’arriveront pas à faire, en raison de la modernisation ultra-rapide qu’impulsera l’Empereur Meiji à son pays.

Le prince devient alors un proche conseiller de l’Empereur Kōmei (règne de 1846 à 1867) – pour ceux qui ont perdu le fil, l’empereur est donc le frère « de lait » du prince Kuni, lui-même père du futur prince Asaka.

Le conservatisme du prince Kuni est tel que celui-ci perpétue la tradition des concubines dans son palais ; contre la tendance qui se répand à l’époque des mariages monogames – sauf chez l’Empereur, la question de la descendance restant en ce qui le concerne essentielle. Le prince Yasuhikō est donc son 8e fils, dans une fratrie qui compte 18 enfants issus de 5 concubines différentes.

Le système de mariage au Japon est sans aucun doute plus endogamique encore que dans les autres pays, notamment lorsqu’il s’agit de mariages princiers. Le prince Yasuhikō épouse donc sa cousine la princesse Nobuko, 8e fille de l’Empereur Meiji, et issue de l’alliance de l’Empereur avec sa 5e concubine, la princesse Sachiko.

L’alliance est-elle dûe au parallèle qu’il est possible de dresser entre les deux familles ? 5 concubines pour le prince et l’Empereur, 8e enfant de chaque côté… Rien n’est moins sûr. En revanche, il est certain que la position de la famille du prince Kuni continue de se renforcer dans l’entourage impérial. L’un de ses autres fils (le 3e), le prince Kuni Kuniyoshi (1873-1929) donnera, lui, naissance à la princesse Nagako, future impératrice Kōjun, après son mariage avec l’empereur Shōwa – et donc mère de l’empereur actuel.

Le mariage du prince Yasuhikō et de la princesse Nobuko est célébré selon le rite Shinto, comme il est de coutume dans la famille impériale japonaise, le 6 mai 1909. Le couple s’installe alors dans une résidence de type japonais traditionnel. Cependant, le grand tremblement de terre du Kanto de 1923 endommage grandement la demeure princière, il est donc immédiatement envisagé de faire construire une nouvelle résidence au couple, dont la famille s’est déjà bien agrandie, puisque 4 enfants sont nés entre 1909 et 1923 :

La Princesse Kikuko  Asaka (1911-1989); mariée en 1931 au Marquis Naoyasu Nabeshima.

Le Prince Takahiko Asaka (1913-1994); marié à la 5e fille du Comte Takatsugu Todo, Todo Chikako, avec qui il eut deux filles (Fukuko and Minoko) et un garçon(Tomohiko).

Le Prince Tadahito Asaka (1914-1944), qui renonça à son titre de prince impérial en 1936 et à qui fut accordé le titre de Marquis Otowa. Il sera tué pendant la 2nde Guerre mondiale.

La Princess Kiyoko Asaka (1919-); mariée au comte Yoshiatsu Ogyu.

Pendant cette période, le prince et la princesse Asaka ont été très actifs.

En l’occurrence, en 1923, ils se trouvent à Paris, depuis 3 ans pour le prince, et quelques mois pour la princesse.

En 1920, en effet, le prince Asaka a été envoyé en France avec son demi-frère le prince Naruhiko Higashikuni (1887-1990)  et leur cousins le prince Naruhisa Kitashirakawa (1887-1923) afin de parfaire leur formation militaire à l’école Militaire de Saint-Cyr. À cette époque, le prince est lieutenant-colonel de l’armée japonaise depuis 1917.

Naruhiko Higashikuni          

  Naruhisa Kitashirakawa

C’est à cette époque que le prince entre en contact pour la première fois avec la culture occidentale, et qu’il découvre l’Art Déco alors en vogue dans toute l’Europe. Art Déco qui aura une telle importance dans la réalisation du Palais Asaka à Tokyo dans les années 30.

Malheureusement, le séjour des princes impériaux s’assombrit le 1er avril 1923, lorsque les cousins ont un grave accident de voiture à Perrier-la-Campagne (Eure) dans lequel le prince Kitashirakawa décède (à l’âge de 35 ans) et où les princes Asaka et Higashikuni sont gravement blessés et leur vie en danger. C’est suite à cet accident que la princesse Nobuko partira précipitamment en France pour rejoindre son mari, qui gardera des séquelles de l’accident toute sa vie ; notamment un problème de boitement.

Le séjour français du couple impérial se poursuivra jusqu’à fin 1925, début 1926.

Les raisons du retour du couple au Japon ne sont pas claires, cependant, le décès de l’Empereur Taishō – fils de l’Empereur Meiji, et donc cousin et beau-frère par alliance du prince Asaka – et la succession au trône de son fils l’empereur Hirohito (1901-1989, règne de 1926 à 89) n’y sont sans doute pas pour rien.

Bien que militaire de carrière – il est promu brigadier-général à son retour de France –, le prince Asaka parvient cependant à passer du temps avec sa famille dans les premières années de son retour au pays. La construction de son palais Art Déco occupe d’ailleurs grandement le couple princier, notamment la princesse Nobuko qui supervise les travaux et le détail des décors avec minutie.

Malheureusement, alors que les tensions internationales ne cessent de se durcirent et que le Japon en profite pour étendre sa colonisation des territoires asiatiques, un nouveau drame frappe la famille princière. La princesse Nobuko décède subitement au début du mois de novembre 1933, à l’âge de 42 ans. Durant cette même année 33, le prince a été promu lieutenant-général de l’armée et est devenu commandant de la garde impériale.

Les événements se précipitent au plan international. Le nationalisme et le militarisme japonais s’accroisent. En 1935, le prince est intégré au conseil suprême de guerre dirigé par son neveu l’Empereur Hirohito – Le Japon est alors en guerre coloniale avec plusieurs pays asiatiques, tels que la Corée, la Chine, le Vietnam, la Malaysie, les Philippines, etc.

Bien que les années passées en France aient apporté un savoir indéniable au prince, celui-ci devient de plus en plus nationaliste et se rapproche de la faction dite de « La Voie Impériale » qui, sous couvert, de soutenir l’Empereur, entend surtout promouvoir une faction politique militariste, totalitariste et expansionniste.

Cette position va jeter un froid sur les relations entre le prince et l’Empereur, qui écarte alors son oncle du cercle du pouvoir décisionnaire. Il n’est pas certain que ce froid en soi la cause directe, cependant, suite à celui-ci le prince Asaka est alors transféré au sein de l’armée japonaise de Chine Centrale en 1937. Et, en 1937, il devient commandant des forces d’invasion de la Chine à Nanjing (Nankin).

La responsabilité directe du prince Asaka n’a jamais été formellement établie. Les historiens aujourd’hui encore continuent de s’opposer sur le fait qu’il ait effectivement donné/signé l’ordre ou non, cependant, c’est bien sous son commandement que le massacre de Nankin est perpétré, provoquant l’extermination de plusieurs centaines (voire milliers) de civils chinois entre le 2 et le 6 décembre 1937 par l’armée d’invasion japonaise.

Cependant, dans cet événement, l’Empereur Hirohito aurait sans doute aussi une part de responsabilité non négligeable dans les prises de décisions quant au massacre.

Le prince Asaka vers 1940

Rappelé au Japon en 1938, alors que le Japon occupe Nankin, le prince Asaka retrouve sa place au sein du Conseil Suprême de guerre, où il restera jusqu’à la reddition du pays en 1945. Son activité au sein du conseil reste cependant ambiguë, puisqu’en 1944 il entreprend, avec l’aide de son demi-frère Naruhiko Higashikuni, de son neveu le prince Nobuhito Takamatsu (3e fils de l’Empereur Taishō) et de l’impératrice douairière Teimei (mère du précédent, donc) de provoquer la destitution du cabinet du premier ministre Hideki Tōjō, en raison de la défaite cuisante du Japon dans la bataille de Saipan cette année-là. Le premier ministre sera effectivement démis de ses fonctions. Ce qui ne l’empêchera pas, après la défaite, d’être condamné pour crimes de guerre par le tribunal international mis en place par les américains.

Suite à l’occupation américaine, et aux transformations imposées à la constitution japonaise, le prince Asaka et ses enfants perdent leur statut princier et leur prédicat d’altesses impériales ainsi que tous leurs privilèges. Cependant, comme le reste de la famille impériale, il ne sera jamais inquiété par le Général MacArthur pour les crimes perpétrés par l’armée japonaise pendant la guerre (notamment pour le massacre de nankin). Et il semblerait que la famille du prince ait réussi à vivre plutôt bien malgré la destitution de leur statut impérial, puisque le prince, devenu roturier passera la plupart de son temps, à la fin de sa vie, à jouer au golf et à investir dans des « Golf Course » au Japon. Avant de décéder en avril 1981, à l’âge de 93 ans, l’ancien prince aura aussi pris le parti de se convertir à la religion catholique romaine (en décembre 1950) ; fait unique dans la famille impériale japonaise. (Merci à Olivier pour cet article)