Il y a très précisément cinquante ans, le 18 septembre 1964, Athènes était le cadre de l’un des plus prestigieux mariages royaux du 20eme siècle. Les soubresauts de la vie politique grecque n’allaient pas tarder à reléguer l’événement dans l’oubli. Entouré de ferveur populaire et largement couvert par les médias internationaux, il fut considéré suivant la formule consacrée, comme le  » chant du cygne » de la monarchie grecque. Trois années plus tard, le roi Constantin II prenait en effet le chemin de l’exil et en 1974, un référendum instaurait la république.

La mort subite du roi Paul Ier, le 6 mars1964, avait fait monter sur le trône de Grèce un jeune roi de vingt-quatre ans et précipité son mariage avec la princesse Anne-Marie de Danemark à laquelle il était fiancé depuis janvier 1963. Fille cadette du roi Frederik IX et sœur de l’actuelle reine Margrethe, celle-ci venait tout juste de fêter ses dix- huit ans- condition imposée par le souverain danois pour autoriser le mariage de sa fille- et la presse saluait alors les plus jeunes monarques du monde.

En épousant sa lointaine cousine, Constantin II tissait aussi un lien de plus entre son pays et le Danemark et revenait aux sources de la dynastie. En effet, le 30 mars 1863, un prince danois, Guillaume, âgé de seulement 17 ans, était élu par l’Assemblée nationale grecque « roi des Hellènes » sous le nom de Georges Ier, avec l’approbation des « Puissances protectrices » (Russie, France et Grande-Bretagne) qui dirigeaient alors la politique du jeune État. Georges 1er est considéré comme le bâtisseur de la Grèce moderne.

Le 7 septembre 1964, le roi Constantin s’envolait pour Copenhague pour y retrouver sa fiancée. L’adieu d’Anne-Marie à sa patrie fut marqué par de somptueuses réceptions: souper dansant privé au château de Fredensborg, soirée de gala au théâtre royal de Copenhague, banquet officiel à Christianborg ou furent reçus plus d’un millier d’invités, réception à l’hôtel de ville de Copenhague suivie d’une traversée en calèche dans une capitale en liesse.

Quelques jours plus tard, la princesse Anne-Marie accompagnée de ses parents et de ses sœurs, embarquait à son tour à Brindisi sur le yacht royal, le Dannebrøg, pour rejoindre le Pirée où une myriade de bateaux, sirènes et jets d’eaux l’accueillirent. Elle gagna enfin la terre de sa nouvelle patrie sur une vedette rapide, avec le roi Constantin venu en éclaireur à bord du Dannebrøg. La reine-mère Frederika, la princesse Irène sœur de Constantin, le prince Michel son cousin, le Premier Ministre Georges Papandreou, les membres du gouvernement et les plus hautes autorités de l’état en tenue d’apparat les attendaient sur le quai. La nuit était tombée quand le cortège, fendant une foule enthousiaste, arriva à Athènes.

Les festivités du mariage amenèrent dans la capitale grecque le plus grand rassemblement de têtes couronnées et de chefs d’état ou leurs représentants qu’ait connu la capitale. Pas moins de six rois, cinq reines plus de cent princes et princesses débarquèrent tour à tour à l’aéroport d’Athènes, accueillis par le roi Constantin ou son cousin le prince Michel, posant d’inextricables problèmes de protocole et de circulation automobile. Le Président de la République de Chypre Monseigneur Makarios fit le voyage, rappelant par sa présence les questions politiques brûlantes qui demeuraient.

Commença alors une série de réceptions et de bals en l’honneur des futurs époux. Plusieurs centaines de personnes venues de toute la Grece les félicitèrent au palais de Tatoï lors de trois gigantesques réceptions. Une soirée rassemblant les invites officiels fut donnée en l’honneur de la famille royale danoise à l’hôtel Grande Bretagne..En marge de leurs obligations officielles, beaucoup d’invités jouèrent les touristes, escaladant les pentes de l’Acropole ou s’éclipsant vers la plage privée d’Asteria où la famille royale avait ses habitudes.

Enfin , la veille du mariage un bal somptueux rassemblant quelque mille six cents personnes fut donné au palais royal ( actuellement résidence du président de la République grecque). Les photos officielles témoignent de la munificence de la soirée. Ce fut un éblouissement de joyaux et de décorations, d’uniformes chamarrés, de robes somptueuses…

On put voir alors que la reine mère Frederika avait d’ores et déjà transmis à la princesse Anne-Marie les attributs des reines de Grèce (ce qui est contraire au protocole), les somptueux bijoux du trésor des Romanov. Lors du bal, la princesse portait sur sa robe d’organdi la parure d’émeraudes de reine Olga. La reine Olga, épouse de Georges 1er, née Grande-Duchesse de Russie, l’avait reçue en cadeau de mariage de sa mère, la Grande-Duchesse Alexandra de Russie. La princesse Anne-Marie en avait pour l’occasion adapté les cabochons d’émeraude au collier de diamants reçue de sa mère la reine Ingrid et provenant de la Grande-Duchesse Anastasia de Mecklenbourg-Schwerin. La parure, composée d´un diadème – qui peut être également porté en collier- de boucles d’oreilles et d’une broche avec cinq cabochons- est toujours aujourd’hui dans l’écrin de la reine Anne-Marie. Tout comme la parure en rubis et diamants aux motifs d’olivier de la reine Olga, qu’Anne Marie choisit pour la réception à l’hôtel Grande Bretagne.

La cérémonie nuptiale fut bien sûr le point d’orgue des festivités. On avait choisi, dit-on, la date du 18 septembre car il n’avait jamais plu dans la capitale ce jour là.

Une foule en liesse, bravant la chaleur, avait envahit les rues d’Athenes dès l’aube. Le long cortège de voitures s’ébranla du palais royal, fermé par les calèches du roi Constantin et de la reine mère Frederika et celui enfin de la princesse Anne-Marie et du roi Frederik, tiré par six chevaux blancs.

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L’ancien couple royal revint récemment à la Métropolite avec leur plus jeune fille Théodora et évoquèrent pour elle avec émotion et amusement l’événement.. Constantin se souvient du geste charmant d’Anne Marie qui se retourna sur le parvis de la cathédrale pour saluer la foule avec son bouquet de muguet, venu dit-on, des jardins de son enfance. On découvrit alors sa robe, chef d’œuvre de simplicité et d’élégance du couturier danois favori de la famille royale, Jørgen Bender, qui devait signer les robes de mariée de ses sœurs et de nombreuse robes de la cour danoise. Son voile de dentelle irlandaise datant de 1905 et sa longue traine étaient tenus par six demoiselles d’honneur, dont les princesses Irène de Grèce, Anne d’Angleterre, Christina de Suède et Tatiana Radziwill.Le voile était retenu par le fameux diadème de diamants et de platine dit du « Khedive« , signé du bijoutier parisien Cartier. Cadeau de mariage du Khedive d’Egypte à la princesse héritière Margaret de Suède, celle-ci le transmit à sa fille, la future reine Ingrid de Danemark, laquelle le légua par testament à sa fille Anne-Marie à la condition qu’elle le prête à ses descendantes le jour de leurs noces. La tradition fut toujours respectée jusqu’à aujourd’hui.

Dans la Métropolite, décorée de dix mille glaïeuls rouges, avaient pris place quatre cents invités. Compte tenu de l’ascendance prestigieuse des époux- tous deux descendants de la reine Victoria– l’assemblée était aussi mondaine que familiale: outre les parents des époux, on reconnaissait le roi Gustave Adolphe de Suède, grand-père maternel d’Anne-Marie, Baudouin et Fabiola de Belgique, la reine Juliana des Pays Bas et le prince Bernhard, le roi Olav de Norvège, le roi Bhumibol et la reine Sirikit de Thaïlande, le roi Hussein de Jordanie et la princesse Mouna, le prince Rainier de Monaco, le grand duc et la grande duchesse de Luxembourg, les anciens rois d’Italie, de Roumanie, de Bulgarie….Grace de Monaco, qui allait donner naissance à la princesse Stéphanie, dût se contenter de regarder la cérémonie à la télévision depuis sa chambre d’hôtel!

Beaucoup dans l’assistance jouaient de l’éventail car la chaleur était encore accentuée par les mille cierges qui décoraient la nef.

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L’archevêque d’Athènes et Primat de Grece, Monseigneur Chrisostomos, entouré des plus hauts dignitaires de l’Eglise orthodoxe, conduisit la cérémonie selon le rite byzantin. Le Saint Synode avait autorisé la célébration du mariage dans la cathédrale sous réserve de la conversion prochaine d’Anne Marie, élèvée dans la foi luthérienne. La reine Frederika fut la première à tenir au dessus des époux les deux couronnes d’or du trésor de Romanov, suivie par dix princes dont plusieurs étaient appelés à régner sur les pays d’Europe: Juan Carlos d’Espagne, Harald de Norvège, Carl Gustav de Suède, Charles d’Angleterre… Les couronnes, d’une valeur inestimable, sont encore aujourd’hui propriété du roi Constantin. La reine Anne Marie reçut son alliance faite dans le métal de pièces de monnaie datant d’Alexandre le Grand. Une pluie de pétales de roses tombées de la coupole conclut la cérémonie. Une immense clameur jaillit de la foule quand le nouveau couple souverain apparut sur le parvis de la cathédrale, acclamé par une foule enthousiaste, se prêtant de bonne grâce aux demandes des photographes.

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Sous une impressionnante pluie de confettis, le cortège sillonna les rues d’Athènes, saluant inlassablement, avant de revenir au Palais Royal. Les chevaux étaient si nerveux, raconta la reine Anne-Marie, qu’elle se rassurait en pensant qu’elle pourrait toujours sauter en marche!

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Le reste de la journée échappa à la curiosité de la presse: à l’époque, les familles royales entretenaient encore un certain mystère, loin des dérives de la « presse people » d’aujourd’hui. Les journalistes parvinrent néanmoins à surprendre les nouveaux mariés au moment ou ils s’apprêtaient à s’envoler dans un petit avion piloté par le roi. Pressé de questions sur sa destination, Constantin répondit par une pirouette: « Vous ne voudriez tout de même pas que je vous le dise!  » Les spéculations allaient bon train… On sut plus tard qu’il s’agissait de la petite île privée de Spetsopoulos, propriété de l’armateur Stavros Niarchos, en face de Spetses là même où, bien plus tard, Constantin, Anne Marie et leurs enfants retrouveraient leur pays après de longues et douloureuses années d’exil. (Merci à Marine2 et Tepi pour cet article et leur collaboration)