Premier article de la série consacrée aux derniers mariages politiques Habsbourg-Bourbon avec l’union de Joseph de Habsbourg-Lorraine, archiduc d’Autriche, empereur germanique, roi de Bohême et de Hongrie et Isabelle de Bourbon, princesse de Parme, Petite-Fille de France par Patrick Germain.

Joseph ( Josef Benedikt Anton Michel Adam) de Habsbourg-Lorraine est le premier souverain autrichien à porter ce nom, composé de celui de son père, François-Etienne de Lorraine et de sa mère Marie-Thérèse de Habsbourg. Il est né à Vienne le 13 mars 1741, quatrième enfant du couple impérial, après ses soeurs, Marie-Elisabeth, Marie-Anne et Marie-Caroline.

A sa naissance, sa mère se bat pour ses droits à la succession de son propre père, Charles VI, mort en 1740, contre la Prusse, la Bavière, la Saxe, la France, le Piémont-Sardaigne et l’Espagne. C’est la fameuse guerre de succession d’Autriche qui a duré huit ans. De par la Pragmatique sanction, édictée en 1713 et reconnue par la quasi totalité des Etats, elle est bien l’héritière des possessions de la Maison d’Autriche. Son père, qui a renoncé à son duché de Lorraine au profit de la France, est grand-duc de Toscane. Mais il n’est pas encore empereur.

Joseph II naquit dans une ambiance difficile car l’avenir de ses parents est loin d’être certain. La couronne impériale a échappé à la Maison de Habsbourg, à la mort de Charles VI, pour passer dans la Maison de Bavière sur la tête de Charles VII (1697-1745).

Marie-Marie-Thérèse est certes couronnée “roi de Hongrie” deux mois après la naissance de Joseph et reine de Bohême, avec de grandes difficultés.

La mort de Charles VII en 1745 permet l’élection de François-Etienne à la dignité impériale. En échange Marie-Thérèse dut céder la Silésie à Frédéric II et le duché de Parme à Philippe de Bourbon d’Espagne, gendre de Louis XV.

Joseph accéda à la dignité impériale à la mort de son père en 1765. Il n’avait que vingt-vingt-quatre ans. Il ne devint chef de la Maison d’Autriche, roi de Hongrie et de Bohême qu’en 1780 à la mort de sa mère.

Procession de Joseph II lors du couronnement à Francfort

Pendant quinze ans, ils formèrent un couple hybride, chacun étant jaloux des prérogatives de l’autre. Joseph II était certes empereur, mais Marie-Thérèse ne cédait en rien du pouvoir que lui donnaient les couronnes de Hongrie et de Bohême. Il n’était chargé que de la représentation et des affaires militaires et exclu de la politique étrangère et des décisions politiques internes de l’empire.

Les titres officiels de la Maison d’Autriche sont : Rois de Jerusalem, de Hongrie, de Bohême, de Dalmatie, de Croatie, de Slavonie, de Galicie et de Lodomérie, Archiducs d’Autriche, Ducs de Bourgogne, de Lorraine, de Styrie, de Caranthie et de Carniole, Grands-ducs de Toscane, Grands princes de Transsylvanie, Ducs de Brabant, Limbourg, Luxembourg, Gueldres, Wurtemberg, Haute et Basse Silésie, Milan, Mantoue, Parme, Plaisance, Guastalla, Auschwitz, Zator, Bar, Montferrat et Teschen, Princes de Souabe et de Charleville, Comtes princiers de Habsbourg, Flandres, Tyrol, Hannegau, Kybourg, Gorizia, Gradisca, Marquis d’Anvers, Burgau, Haute et Basse Lusace, Pont-à-Mousson, Nomeny, Moravie, Comtes de Namur, Provence, Vaudémont, Blâmont, Zutphen, Saarwerden, Salm, Falkenstein, Seigneurs de la Marche des Wendes et de Malines.

Ces titulaires ne sont pour la plupart qu’honorifiques, voire résiduelles d’un passé lointain. La réalité réside en Autriche, Hongrie, Bohême, Dalmatie, Croatie, Slavonie, Galicie, Lodomérie, Styrie, de Caranthie et de Carniole, Toscane et Transsylvanie, même s’il convient d’y ajouter quelques autres titres mineurs.

Enfant difficile, Joseph était supposé remplir les espoirs de ses parents mais ne leur donnait pas toujours la satisfaction qu’ils en attendaient. Il semble qu’il ait méprisé son père, au caractère fort peu guerrier, réussissant plus en affaires que sur les champs de bataille, jouisseur et débonnaire. Il aimait et craignait sa mère.

Joseph II fut un des modèles du monarque éclairé, accompagné par Frédéric II et Catherine II. Son éducation soignée fit de lui un souverain inspiré par les idées de son siècle. Il croyait au progrès et à la science. Il était un adepte de la Raison.

Joseph II par Anton von Marton en 1775

Son œuvre réformatrice est énorme, il publia plus de 6000 décrets et 11000 lois en 10 ans. Elle touche tous les domaines. Sitôt maître absolu, il voulut imposer ses réformes. D’abord religieuses, inspirées des Lumières, elles consistaient à soumettre l’Église à l’État : réduction du nombre de séminaires, suppression de congrégations et d’ordres contemplatifs jugés inutiles, tolérance à l’égard des chrétiens non catholiques.

Parmi les autres réformes, il faut citer sa réforme territoriale de l’administration, la création d’un statut de la fonction publique réservée aux titulaires de titres universitaires et non plus à la noblesse du royaume, une réforme totale de l’enseignement imitée de Frédéric II, l’instauration d’un mariage civil, la suppression des jurandes, l’abolition du servage et des monopoles de vente seigneuriaux, la possibilité du rachat des corvées, l’accession à la propriété des paysans en tenure.

La réforme la plus audacieuse pour l’époque fut l’institution d’un impôt de quotité (par tête) payable par tous les propriétaires, sans exception, et basé sur un cadastre général. Joseph II entreprend donc de supprimer les privilèges de la noblesse et du clergé. Ses successeurs reviendront sur beaucoup de ses réformes.

Joseph II a laissé un souvenir contrasté. Il était difficile de ne pas admirer sa volonté mais il n’agit pas l’art et la manière de faire partager ses vues.

Il était de son devoir, et de la volonté de sa mère, de se servir de sa position pour assurer la continuer la destinée de la Maison de Habsbourg-Lorraine.

La France étant devenue l’alliée de l’Autriche en 1756, il fut décidé qu’il épouserait une princesse de la Maison de Bourbon. Il ne pouvait épouser une des filles de Louis XV. On lui choisit une de ses petites-filles, Isabelle, fille de Philippe de Bourbon, duc de Parme, fils cadet du roi d’Espagne et de Marie-Louise Elisabeth, dite Madame Première ou Madame Infante, fille aînée du roi de France.

Cette union qui avait un but essentiellement politique et dynastique fut brève mais heureuse.


Isabelle de Bourbon, Infante d’Espagne, Petite-Fille de France par Nattier en 1749

Isabelle, née à Madrid le 31 décembre 1741, n’était que petite-fille de deux rois. Mais ces deux rois étaient Bourbons tous les deux. Elle reçut une éducation soignée.

Philippe de Bourbon, Infant d’Espagne, duc de Parme par Van Loo

Pour sa mère cela signifiait, en matière d’éducation, donner la priorité aux disciplines qu’une princesse idéale se devait de maîtriser : dessin, peinture, musique et sainte. Or Isabelle n’était pas de cet avis. Suffisamment intelligente pour ne pas heurter de front ses parents, elle pressentit que jouer à la bonne élève était pour elle le seul moyen de préserver sa liberté. Elle comprit surtout qu’elle avait tout à gagner de la présence de Condillac.

En plus d’’une éducation musicale avec le violon, elle bénéficia d’une éducation intellectuelle avec la philosophie, l’histoire et la théologie. On peut prendre pleinement la mesure de cette éducation dans les textes qu’Isabelle rédigea : Méditations chrétiennes, Remarques politiques et militaires, Réflexions sur l’éducation, où elle condamne l’abus d’autorité et les châtiments corporels, ou encore son Traité sur les hommes, dans lequel elle écrit « Tout blâmer dans les autres, tout approuver en eux, c’est leur coutume. En un mot, doués de raison, ils sont moins raisonnables que les animaux qui en sont privés »).

Isabelle et sa mère, Marie-Louise Elisabeth de Bourbon, Fille de France par Nattier

Sa mère, plus française que parmesane, s’était éloignée d’elle et de ses frères et soeurs. Cela explique peut-être le tempérament sombre et mélancolique, voire morbide de la jeune princesse.


Mariage de Joseph et Isabelle par Martin van Meyrtens

A dix-huit ans, le 16 octobre 1760, elle épouse l’archiduc Joseph. Elle séduit la cour et sa belle-famille et son mari par sa beauté et son intelligence. Elle est séduite par sa belle-sœur, l’archiduchesse Marie-Christine, duchesse de Teschen, à laquelle elle écrit des lettres enflammées, des lettres d’amour. Elisabeth Badinter en a publié un certain nombre dans son ouvrage “Je me meurs d’amour pour toi”. Il est cependant difficile de voir une relation lesbienne entre les deux femmes, et ce d’autant moins que l’archiduchesse était parfois excédée par l’ardeur des sentiments de sa belle-soeur.

L’archiduchesse Marie-Christine par Martin van Meyrtens

« Je vous écris encore, sœur cruelle, bien que je sois à peine partie, je ne peux supporter d’attendre de connaître mon destin, et de savoir si vous me considérez digne de votre amour, ou bien si vous voulez que je me jette dans le fleuve … Je ne réussis à penser à rien, seulement que je suis très amoureuse. »

Isabelle donna naissance à deux filles, les archiduchesses Marie-Thérèse (1762-1770) et Marie-Christine (1763-1763).


L’archiduchesse Marie-Thérèse

Epuisée par des fausses couches à répétition, Isabelle pressentait qu’elle mourrait jeune – elle ne cesse d’ailleurs de le répéter à sa belle-soeur qu’elle appelle son « Eurydice ».

Isabelle était une jeune intellectuelle assoiffée de liberté et en même temps terriblement lucide sur sa condition d’épouse attendue uniquement pour sa capacité à enfanter un héritier. Une princesse qui se savait prisonnière de son sexe. Elle meurt quelques jours après la naissance de sa fille, le 27 novembre 1763. Aucune des deux ne survécut à l’accouchement.

Isabelle de Bourbon par Nattier

Joseph II fut inconsolable. Il avait trouvé en Isabelle, une épouse et une âme soeur. Leurs intelligences se complétaient. En 1765, il se remaria avec une princesse de Bavière, Josepha.

Marie-Josèphe de Bavière par Martin van Meyrtens

Il aurait aimé épouser la soeur de sa première femme, la princesse Marie-Louise de Bourbon (1751-1819), mais celle-ci était promise au futur roi d’Espagne, Charles IV. Elle fut célèbre pour avoir été portraituré par Goya et avoir eu des faiblesses pour Godoy, selon les rumeurs

Marie-Louise de Bourbon, princesse de Parme future reine d’Espagne par Anton Raphael Mengs

L’union de Joseph et de Josepha fut malheureuse. Elle ne dura que deux ans. Il n’aima pas se seconde femme, restant attaché au souvenir d’Isabelle. Il resta veuf jusqu’à sa mort le 20 février 1790.

Grandes Armes de Joseph II