Noblesse et Royautés : Quels sont vos premiers contacts avec les autorités de l’Etat géorgien fraîchement indépendant de l’ex-URSS depuis 1991 ?

Princesse Véronique Murat : En 1991 au moment de l’indépendance de la Géorgie, c’est par l’intermédiaire de la grande-duchesse Léonida de Russie (épouse du grand-duc Vladimir), née princesse Bagration (Géorgie) que nous faisons la connaissance du nouvel ambassadeur de Géorgie en France. C’est ainsi que le premier contact est établi avec les nouvelles autorités. 

 

Noblesse et Royautés : Vous avez donc pris des cours de géorgien ?

Princesse Véronique Murat : Nous sommes conviés par les autorités à venir en Géorgie en 1996. Au cours de l’été 1996, nous décidons de prendre des cours intensifs de géorgien. Un jeune homme, fils de la nouvelle ministre de l’éducation nous est envoyé en France. En échange, nous devons l’initier à l’agriculture. Le brave garçon, très citadin, a vite compris qu’il n’était absolument pas fait pour le monde agricole !

Prince Alain Murat : Nous ne parlons pas couramment comme notre fille le géorgien et le dialecte de Mingrélie. Au début, nous devions avoir un interprète.

Noblesse et Royautés : Comment se passe votre première visite en Géorgie en 1996 ?

Princesse Véronique Murat : En novembre 1996, nous voilà donc en Géorgie. Notre fille Mathilde s’y plait immédiatement. Elle fraternise tout de suite avec les enfants.

Nous sommes conviés avec tout le décorum imaginable à des banquets qui se succèdent sans relâche. A Zougdidi (ancienne capitale de la Mingrélie), la ferveur de la population est inimaginable, je croule sous les bouquets de fleurs.

Mathilde est conquise. A notre retour en France, elle ne cesse de nous dire que notre terre est en Géorgie. Nous retournons pour les fêtes de fin d’année mais cette fois-ci plus sobrement rien qu’en famille.

Noblesse et Royautés : Qu’est-ce qui vous décide en 1997 à franchir le pas avec votre fille la princesse Mathilde de venir vous établir en Géorgie ?

Princesse Véronique Murat : Nouveau voyage à Pâques 1997, moment où nous achetons une maison à Zougdidi. Professionnellement, c’était aussi le bon moment pour nous. J’avais la possibilité de prendre une semi-retraite après 20 ans en tant que professeur d’université.

Prince Alain Murat : Je travaillais alors pour un quotidien à Arras. Mathilde s’est très rapidement acclimatée, parlant à la perfection le géorgien en quelques mois.

Princesse Véronique Murat : Mathilde s’est totalement épanouie en Géorgie où elle a trouvé sa place. En France, elle n’avait pas connu ce bonheur jusque là. A l’école, les autres jeunes n’étaient pas tendres avec elle, on se moquait d’elle car elle était princesse.

Noblesse et Royautés : En 2000, votre maison est victime d’un incendie, vous perdez tous vos biens. Pouvez-vous nous raconter ?

Princesse Véronique Murat : En 2000, notre maison de Zougdidi est ravagée par un incendie intentionnel. Nous perdons tous nos biens.

Prince Alain Murat : Nous perdons tous nos objets de valeur, historiques, familiaux et nous y échappons de peu. On ne cessait alors dans les jours suivants de nous dire « alors quand est-ce que vous rentrez en France ? ». Comme il y avait le contentieux de la restitution des biens de mes ancêtres, les autorités voulaient clairement notre départ mais nous étions fermement décidés à rester.

Princesse Véronique Murat : Nous avons pu compter sur l’aide de mon père. Nous avons perdu des objets inestimables comme un Turner, un Watteau,…

Prince Alain Murat : Ou encore cette magnifique pendule hollandaise.

Princesse Véronique Murat : Nous conservions à l’abri des regards une boîte contenant des jouets du roi de Rome. Nous ne les montrions jamais à personne. Quelques jours avant l’incendie, une cousine est venue avec une académicienne et a insisté pour que je lui montre cette boîte. L’incendie a eu lieu quelques jours plus tard…

Prince Alain Murat : Nous sommes alors partis à Tbilissi où nous avons acheté un appartement. Nous avions décidé que pour les études supérieures de Mathilde, ce serait mieux à la capitale.

Noblesse et Royautés : Qu’en est-il à ce jour du patrimoine, héritage de la dernière reine de Mingrélie ?

Princesse Véronique Murat : Il n’existe pas de trace d’acte de confiscation des biens du prince Lucien Murat contraint à l’exil en 1921. L’Etat géorgien ne sait pas non plus le prouver. Il y a outre des propriétés, des biens meubles importants.

Lorsque le prince Achille Murat et la princesse Salomé Dadiani sont venus s’installer en Géorgie, ils avaient dans leurs bagages tout leur trésor. Il faut savoir que Caroline Bonaparte, épouse de Joachim Murat, avait décoré le Palais de l’Elysée où le couple a habité. Au moment de partir pour le royaume de Naples, elle a pu obtenir de son frère Napoléon de prendre la moitié des objets. A la chute de l’Empire, les biens ont été confisqués mais pas ceux qui se trouvaient au palais à Naples.

Prince Alain Murat : J’ai vu ces objets qui avaient été inventoriés avec minutie par mon père lors d’une exposition au musée national à Tbilissi. Il y avait toute une série de miniatures de Joachim et Caroline Murat, un vase de Canova, un tableau de Napoléon par Gérard, un sabre offert par Napoléon à Joachim Murat. Je l’ai vu pour la dernière fois il y a 20 ans au musée. Grâce à la famille Murat, la Géorgie possède cette importante collection…

Princesse Véronique Murat : Au moment de notre retour en Géorgie, les autorités nous avaient fait miroiter la restitution des biens confisqués mais les années passent et toujours rien. C’est pourquoi nous décidons en 2004 après l’élection de Mikheil Saakachvili en tant que président  de procéder autrement : en faisant un procès. Nous avons très bien connu celui qui est devenu président de 2004 à 2007 puis de 2008 à 2013. Nous habitions la même rue et son épouse néerlandaise était un peu nous une expatriée.

Nous constituons un dossier en béton avec le testament, la preuve des impôts payés en Géorgie jusqu’en 1921, les actes de renonciation à l’héritage des frères et sœurs du prince Alain, le tout traduit en géorgien.

Plusieurs biens sont en jeu : un hôtel particulier à Tbilissi, un ancien relais de chasse à Chkadouache, un palais à Zougdidi, un château et des vignobles à Salkhino,…

Tous ces biens étaient gérés jusqu’alors par l’Académie des Sciences. Le président Saakachvili décide de transférer la gestion au ministère de l’économie avec l’intention finale de les mettre en vente, c’est ce qui nous a également motivés dans notre démarche d’ester en justice.

En première instance, on nous reconnaît comme les héritiers mais l’église orthodoxe géorgienne qui occupe les lieux fait appel et remporte cet appel, de même que devant la Cour de Cassation. Notre dossier se perd comme par magie à Strasbourg…Notre avocat n’a même pas pu plaider, seul celui de l’Etat géorgien a pu le faire.

Nous avons été voir le patriarche que nous connaissions mais rien. Quand je pense à tous ces prêtres que nous avons tant aidés et qui nous ont ensuite fait face.

Noblesse et Royautés : Avez-vous la nationalité géorgienne ?

Prince Alain Murat : Oui, nous avons la double nationalité française et géorgienne comme l’actuelle présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, ancienne diplomate française. (à suivre…)