71CSNd6UvOL._SL1500_

L’historienne Anne Morelli a publié ce livre « Fabiola, un pion sur l’échiquier de Franco« . On connaît les convictions laïques et républicaines clairement affichées par l’auteure, aussi on se retrouve face à la lecture d’un livre sans réelles nuances. Voici la critique du livre parue sur le blog consacré à la famille royale belge.

« Après une présentation du régime franquiste au pouvoir en Espagne depuis la fin de la guerre civile en 1939, Anne Morelli présente la famille royale belge. Ses interprétations personnelles, sans aucune nuance, démontrent son parti pris et ses convictions républicaines et laïques, et font douter de l’objectivité de son livre. Voici quatre exemples de la page 32 :

– « Toute sa vie, Baudouin vivra une religiosité exacerbée qui peut être comprise comme une foi infantile témoignant de sa fragilité psychologique ».
– « Lilian Baels, issue d’une famille de collaborateurs ».
– « En Belgique, le roi Léopold III est alors largement considéré comme « collaborateur » du régime nazi ».
– « Après le débarquement de Normandie, la famille royale est protégée par les Allemands en retraite, déplacée en Bavière, puis en Autriche ».

Suite à la victoire des républicains en 1931, la famille royale espagnole et les Mora y Aragon partent en exil. Gonzalo (le frère de Fabiola) fera ensuite partie des troupes de Franco de la province basque de Guipúzcoa. Occupé par les républicains, le palais de Mora y Aragon à Madrid est restitué à la famille après la victoire de Franco.

A la page 46, l’auteur lance cette accusation :   « La famille de Fabiola pardonnera à Franco de ne pas avoir rendu le pouvoir au Roi et se ralliera à son régime dont elle tirera de nombreux avantages pendant près de 40 ans ».  De quels avantages veut-elle parler concrètement? Quelles sont ses sources? Anne Morelli n’en dit rien et n’explique pas son accusation, ce qui ne fait guère sérieux…

L’auteur dénonce la « Fabiolamania » de 1960 de la presse espagnole liée au régime franquiste. Mais n’a-t-on pas connu les mêmes articles élogieux pour Astrid en Suède en 1926, pour Joséphine-Charlotte en Belgique en 1953 ou pour Paola en Italie en 1959?  N’importe quel pays serait fier d’avoir une compatriote devenir reine, et les médias et la presse en font parfois beaucoup pour vendre, tout simplement. Faut-il y voir un but politique?

Si le régime franquiste a son lot de victimes, l’isolement diplomatique de l’Espagne était rompu depuis les années 50 :   installation de bases militaires américaines à partir de 1951, entrée de l’Espagne à l’ONU en 1955 et au Fonds Monétaire International en 1958, présence à l’Expo 1958 de Bruxelles, visite du président Eisenhower en 1959.  Ces événements ont pesé bien plus que le mariage royal de 1960.

Après ses fiançailles, que Fabiola soit reçue à l’hôtel de ville de Madrid et par Franco qui lui offre un diadème et la Grande Croix de l’Ordre d’Isabelle la Catholique, fait partie des obligations diplomatiques de la nouvelle reine. Qui va représenter l’Espagne au mariage?  Franco propose différents responsables de son régime mais le ministre belge des Affaires étrangères refuse plusieurs noms sous la pression des journaux de gauche qui rappellent leurs méfaits et menacent de manifester s’ils viennent à Bruxelles. Ce seront finalement la fille et le gendre de Franco, trop jeunes pour être liés à la guerre civile. Le Palais invite aussi le comte de Barcelone, héritier des rois d’Espagne que Franco n’apprécie guère. La Belgique a donc tenu tête à Franco en 1960, et rien ne montre que Baudouin et Fabiola se soient mêlés de ces discussions diplomatiques.

Le chapitre 11 est, selon moi, le plus important du livre :  les liens entre Franco et les souverains belges de 1960 à son décès en 1975 (échanges de courrier lors de différentes fêtes, déjeuner en 1961 sur le yacht de Franco, séjour en 1967 dans un pavillon de chasse appartenant à l’Etat). Cela pose deux questions auxquelles l’auteur ne répond pas :   1° Est-ce que le Roi envoyait des courriers à d’autres chefs d’Etat pour les fêtes et, si oui, utilisait-il le même ton amical?   2° Le gouvernement belge était-il au courant et était-il pour ou contre un renforcement des relations entre les deux pays? On sait juste qu’il a dissuadé le couple royal d’assister aux funérailles de Franco en 1975. A la décharge d’Anne Morelli, le Palais ne lui a pas donné accès aux archives du roi Baudouin.

Signalons aussi que la reine mère Elisabeth a protesté contre l’exécution de l’opposant Julian Grimou en 1963, et que le roi Baudouin a écrit à Franco en 1970 pour que les peines de mort du procès de Burgos soient commuées. La famille royale belge a-t-elle tenté de convaincre l’Espagne franquiste de délivrer le leader rexiste Léon Degrelle à la Belgique? Encore une question sans réponse.

A la page 146, sans donner d’explication et sans citer ses sources (elle n’a pas eu accès aux archives du Palais), Anne Morelli écrit :   « Baudouin a donc incité ses ministres des Affaires étrangères successifs (Paul-Henri Spaak puis Pierre Harmel) à promouvoir un accord préférentiel entre la CEE et l’Espagne franquiste ».   D’où sort-elle cette affirmation? On l’ignore.

Il est tout à fait légitime de se demander si amoureux de l’Espagne où ils passaient toutes leurs vacances, le roi Baudouin et la reine Fabiola ont-ils manqué de réserve et d’objectivité à l’égard du régime franquiste?  Ou ont-ils agi de concert avec le gouvernement (l’auteur fait d’ailleurs remarquer que « les autorités belges, politiques comme diplomatiques, se sont prêtées bien volontiers au jeu de cette normalisation, et se sont, à l’occasion du mariage royal, ostensiblement commises avec les dignitaires de l’Espagne franquiste ») ? Mais cet ouvrage n’y répond pas, d’autant qu’aucun responsable politique belge de l’époque n’est interrogé.

Il est tout aussi légitime de se demander pourquoi le Palais n’a pas donné accès aux archives du début du règne du roi Baudouin à l’auteur, et si la républicaine et laïque Anne Morelli avait le recul et l’objectivité nécessaires pour mener une telle enquête. Sans doute aurait-elle dû travailler avec d’autres historiens afin d’avoir d’autres points de vue.

Fabiola : un pion sur l’échiquier de Franco?  Tant qu’on ne pourra confronter les archives du roi Baudouin et des responsables politiques belges de l’époque, la question restera sans réponse objective, crédible et définitive.  Affaire à suivre… »