Avec le prince Baudouin, fils du comte de Flandre et frère du roi Albert I, le prince Charles de Belgique est certainement le prince le plus méconnu de la famille royale belge. A l’occasion des 75 ans du début de sa régence, réédition de la biographie qui lui avait été consacrée par Vincent Leroy, passionné d’histoire belge contemporaine et auteur de différents ouvrages sur les membres de la famille royale.

Cette biographie au ton neutre et agréable, se lit avec un très réel plaisir et permet au lecteur de découvrir de la naissance à sa mort en 1983 le destin princier de Charles de Belgique, premier « souverain » constitutionnel qui permit très certainement de maintenir la monarchie en Belgique. Lui-même se plaisant à dire : « J’ai sauvé le brol » (expression belge).

Deuxième fils d’Albert I et d’Elisabeth de Belgique, Charles est né le 10 octobre 1903 à Bruxelles. Il est prénommé Charles Theodore Henri Antoine Meinrad. Il porte le prénom de son grand-père maternel le duc Carl Theodor en Bavière, célèbre ophtalmologue et filleul de l’impératrice Sissi.

Tout jeune enfant, Charles a déjà un caractère vif. Dans son échange de correspondance avec son épouse, Albert I (alors prince héritier) indique que l’enfant a été désobéissant et qu’il a dû lui « donner une raclée ». (expression belge signifiant fessée)

Charles est très proche de sa sœur Marie José qui deviendra reine d’Italie. En 1920, ils accompagnent leurs parents lors d’un séjour à Paris. Le couple royal fait halte à l’hôtel des Réservoirs à Versailles. Ils ont prévu de sortir pour le dîner. Charles et Marie José, comme le raconte cette dernière dans son livre « Albert et Elisabeth : mes parents », décident de passer commande pour un bon festin. Ils choisissent le plus cher à la carte : caviar, huitres, asperges à la sauce hollandaise et glace au chocolat, le tout arrosé de champagne. Alors qu’ils se préparent à déguster ces mets raffinés, le roi et la reine sont de retour. Sans un mot, ils s’attablent et mangent les plats servis sous le regard médusé de Charles et Marie José

La princesse Clémentine de Belgique, cousine du roi Albert I, avait beaucoup de tendresse pour le prince Charles qu’elle décrivait ainsi : « Il possède l’intelligence et l’humour caustique des Saxe-Cobourg, mêlé à la sensibilité des Wittelsbach, mais il se montre plus fantaisiste et moins raisonnable que Léopold (NDLR futur roi Léopold III) »

Pendant la Première Guerre Mondiale, Charles est en Angleterre. De nature sensible, il aurait ma vécu la rigueur d’une gouvernante, selon son frère Léopold III.

Début des années 1920, il séjourne à plusieurs reprises chez sa tante la princesse Henriette de Belgique, duchesse de Vendôme en son château de Tourronde à Evian. Henriette qui est sa marraine, parvient à lui arracher quelques confidences. Charles se sent négligé par les siens, surtout par sa mère. Il a le sentiment que tout le monde s’occupe de son frère aîné Léopold. Son éducation culturelle laisse aussi à désirer. Il se rend compte que le duc de Nemours, fils d’Henriette, est quant à lui très érudit.

Diplômé du Royal Naval Militaire College de Greenwich en 1926, il mène ensuite une vie assez douce avec quelques obligations officielles. Il achète des terres à Raversijde à la Côte belge qui était si chère à Léopold II.

En 1934 au décès de son père à Marche-les-Dames, on oublie de le prévenir…Il revient en urgence d’Ostende. Malgré les querelles père-fils, Charles conservera toujours son père en haute estime.

Le 8 octobre 1939, Charles devient père. Il a eu une relation avec Jacqueline Wehrli, fille d’un pâtissier de la rue Neuve à Bruxelles. Le bébé se prénomme Isabelle. Jacqueline Wehrli se mariera en 1942 avec Arthur Wyboo, faisant désormais de la fillette Isabelle Wyboo. On a beaucoup spéculé sur le fait que la mésentente entre Léopold III et Charles s’était aggravée en raison du refus du roi que son frère épouse une roturière alors que lui-même épousa ensuite Lilian Baels. Il n’a jamais pu être démontré quoique ce soit à ce sujet et surtout si Charles avait un jour tout simplement eu l’intention d’épouser la mère de sa fille unique avec qui il a entretenu des relations tout au long de sa vie.

Sans s’appesantir sur la position du roi Léopold III au cours de la Seconde Guerre Mondiale, qui fit choix de ne pas partir en exil comme les autres souverains, ni de suivre le gouvernement à Londres, le prince Charles est donc nommé régent en raison du fait que son frère et les siens (sauf la reine Elisabeth) ont été finalement emmenés par les Allemands et sont retenus prisonniers en Autriche.

Ce qui devait être un intermède va en fait se prolonger jusqu’en 1950. C’est ce que l’on appellera « La Question royale ».

Comme le mentionne l’auteur, l’historien Christian Cannuyer souligne « Dans l’exercice de sa fonction, le prince Charles révéla une compétence inattendue et une séduction certaine, surtout dans le domaine international. De Gaulle lui-même pourtant avare de louanges, reconnut son habileté ».

Charles gagne aussi la confiance des partis politiques y compris des socialistes. Comprenant que son frère s’est mis à dos une partie des formations politiques et par extension de la population, il a pour objectif de faire durer la régence le plus longtemps possible afin de passer le flambeau à son neveu Baudouin qui lui pourrait repartir sur des bases vierges. Certains partis évoquant même la fin de la monarchie.

Le régent entretient d’excellentes relations avec Winston Churchill. Pendant sa régence, il se rendra aussi au Congo belge.

Il entreprend un vaste chantier de réaménagement du Palais royal de Bruxelles entouré par des amis artistes qu’il aime fréquenté. Les relations avec sa mère se stabilisent progressivement après une brouille de plusieurs mois, Elisabeth ayant pris le parti de Léopold III.

Le 12 mars 1950, les Belges sont invités à voter lors d’un référendum pour le retour du roi Léopold III. Le résultat est de 57,68 % en faveur de Léopold III mais lorsque l’on analyse par région, le résultat coupe la Belgique en 2 : plus de 70% en Flandre mais seulement 51% à Bruxelles et 57% en Wallonie. Dans certaines régions industrielles en Wallonie, on passe même sous la barre des 30%.

Le 15 avril, Léopold III annonce qu’il délègue temporairement ses pouvoirs à son fils Baudouin qui devint roi l’année suivante.

Le prince Charles s’efface. Il pense un temps s’installer à Argenteuil où Léopold III s’établira en 1960 mais finalement opte pour sa modeste demeure de Raversijde. Il doit quitter le Palais royal de Bruxelles, poussé par son frère Léopold III. Une déchirure pour lui. Une de plus.

Charles n’assiste ensuite plus à aucun acte officiel. Il entretient des relations éparses avec son neveu le prince Albert. Le roi Baudouin et la reine Fabiola le visitent à l’hôpital après une chute mais il n’y a pas de relation poussée.

Dans les années 60, il a des contacts avec son frère Léopold III en France ainsi qu’à Argenteuil puis les liens se distendent visiblement à nouveau.

Il renonce à sa liste civile avant de faire marche-arrière puis d’y renoncer définitivement. On a souvent décrit sa vie très modeste à Raversijde. La maison de pêcheur est en effet loin d’être un palais aussi bien au niveau du confort que de la superficie mais à la fin de sa vie, le prince dispose encore de suffisamment d’argent malgré des déconvenues et mauvais placements.

Il s’investit pleinement dans la peinture et organise des expositions que visite d’ailleurs la princesse Paola.

On a évoqué un mariage (uniquement religieux) avec Jacqueline Peyrebrune mais rien ne l’atteste et aucune photo n’existe d’eux. La dame a écrit un ouvrage très à l’eau de rose racontant ce qui aurait été leur relation.

Charles de Belgique, comte de Flandre qui signait ses toiles comme « Karel van Vlaanderen » s’éteint le 1er juin 1983. Son frère Léopold III ne participe pas aux funérailles nationales mais vient se recueillir longuement au Palais royal. Il en ressort très profondément affecté. Il meurt lui-même en septembre.

Lors du repas qui est donné après la messe des funérailles, le roi Baudouin place à sa droite André de Staercke qui fut le secrétaire du régent. Charles de Belgique repose en la crypte royale de Laeken.

Mark Eyskens, fils du Premier Ministre Gaston Eyskens, décrivait le prince Charles comme suit : « Le prince Charles se comportait comme ce que nous attendons aujourd’hui d’un monarque constitutionnel. »

« Le prince Charles », Vincent Leroy, Editions Imprimages, 2019, 170 p.