A l’occasion de la parution du ivre « Parfums de légende », Noblesse et Royautés a eu le plaisir de cette entrevue avec Bertrand Meyer-Stabley, co-auteur du livre paru aux éditions Bartillat avec Anne Davis.

Il est des parfums dont l’histoire s’écrit toujours au présent. Des senteurs – l’éphémère par excellence – qui échappent au temps pour devenir des classiques. Ce sont ceux-là dont le livre « Parfums de légende » qui vient de paraître aux éditions Bartillat est l’objet.

Vingt senteurs qui font partie de l’histoire des parfums, ont marqué leur temps et continuent à enchanter celles qui les portent ou ceux qui respirent leurs sillages. Les auteurs, Bertrand Meyer-Stabley et Anne Davis, longtemps journalistes à ELLE, nous plongent au cœur de la création olfactive  et racontent l’histoire intime des plus grands parfums à travers les couturiers qui se sont lancés dans l’aventure, les « nez » qui ont parfois eu du génie et la saga hors normes des grands parfumeurs. Un voyage nostalgique tant le parfum est un lieu de rendez-vous de tous nos sens.

Noblesse et Royautes : Quels sont les parfums portés par le Gotha ?

Bertrand Meyer-Stabley : Grace de Monaco prisait Arpège de Lanvin. Rainier de Monaco était audacieux dans son choix : Habit rouge de Guerlain. Silvia de Suède aime Eau du Soir de Sisley. Marie-Chantal de Grèce est une inconditionnelle de l’Eau d’Hadrien (d’Annick Goutal). La princesse Margaret, c’était Miss Dior et Diana Diorissimo. Le roi Juan Carlos porte Eau sauvage de Dior tandis que la reine Sophie ne jure que par L’Air du temps de Nina Ricci. La princesse de Venise porte Shalimar de Guerlain.

Noblesse et Royautés : Pourquoi un livre sur les parfums de légende aujourd’hui ?

Bertrand Meyer-Stabley : Certains parfums sont presque des œuvres d’art. La quintessence de la parfumerie française, même si nous consacrons un long chapitre à l’eau de Cologne.  Caron, Guerlain, Hermès, Roger & Gallet sont des maisons tellement françaises. C’est tout un patrimoine que le monde entier nous envie.  Raconter leur histoire a été un véritable plaisir. Chaque parfum célèbre cache une histoire passionnante avec des secrets, des rebondissements. C’est souvent romanesque. Qui connaît même le visage de Nina Ricci ?

Noblesse et Royautés : C’est un patrimoine bien vivant ?

Bertrand Meyer-Stabley : Détrompez-vous : ce patrimoine est sérieusement menacé. Les normes européennes de sécurité sanitaire sont de plus en plus restrictives et imposent de modifier légèrement ou plus drastiquement parfois les formules de parfums anciens.  La maison Guerlain a ainsi retiré du marché fin 2015 deux jus célèbres : « L’heure bleue » et « Mitsouko » ( au grand dam d’Inès de la Fressange qui le porte !). La gageure pour les parfumeurs consiste alors à adapter la formule en conservant autant qu’il est possible l’intention olfactive initiale du créateur.  Mais, parfois, cela relève de la trahison pour les inconditionnels.

Noblesse et Royautés : Est-ce la seule menace ?

Bertrand Meyer-Stabley : La rareté de certaines fleurs sous nos latitudes est à prendre en considération. Dans les années 20, Grasse, la capitale des parfums en France, produisait trente tonnes absolues de jasmin. Aujourd’hui seulement une trentaine de kilos. Et Chanel (pour son N° 5) ou Dior achètent toute la production de jasmin du pays grassois. Aujourd’hui, les fleurs sont essentiellement cultivées dans les pays où les salaires sont bas : Maroc, Turquie, Inde, les Comores, Kenya, Bulgarie, Madagascar, Indonésie           . Mais tout le monde veut les extraits les plus nobles : fleurs blanches, roses, tubéreuses, jonquilles, narcisses, jasmin, mimosa et iris. Comme dans la grande cuisine, les meilleurs plats ne s’obtiennent qu’avec les meilleurs ingrédients.

Noblesse et Royautés : Les « nez » ont-ils toujours le dernier mot ?

Bertrand Meyer-Stabley : Au début du XXe siècle, chaque marque de luxe disposait d’un nez comme les grands restaurants disposent d’un chef. Paul Poiret avait un nez qui exerça plus tard chez Patou. Lanvin avait un nez, Coty aussi.  Coco Chanel n’employa que deux nez en soixante ans.  Aujourd’hui, seule une poignée de parfumeurs possède encore ce privilège. Désormais, la plupart des marques de luxe ne sont ni les propriétaires, ni les créatrices, ni les fabricants, ni même les distributrices de leurs parfums. Giorgio Armani, Valentino, Calvin Klein et autres labels se contentent d’accorder des licences d’exploitation à des conglomérats ou à de grosses entreprises de cosmétiques comme L’Oréal. Certaines marques sont impliquées dès la phase initiale de la création des fragrances, d’autres n’interviennent qu’à la fin du processus et se contentent de choisir le jus. Cela manque un peu d’âme.

Noblesse et Royautés : Quelle est la tendance actuelle du parfum ?

Bertrand Meyer-Stabley : La grande vogue, c’est le parfum « couture » avec des éditions limitées de prestige ou des rééditions de parfums disparus. Flacons de luxe, bouchons émerisés, fils d’or qui en assurent l’étanchéité. Chanel, Dior ou Caron font très fort en la matière. Louis Vuitton vient aussi de se lancer dans la parfumerie et joue cette carte pour « happy few ». Les tarifs sont aussi au rendez-vous.  De nouvelles niches sont apparues avec Serge Lutens, Annick Goutal, l’Artisan parfumeur ou Frédéric Malle.

Noblesse et Royautés : N’est-ce pas une parade contre une certaine banalisation du parfum ?

Bertrand Meyer-Stabley : L’une des menaces pour les marques de luxe, c’est aussi la percée du parfum de célébrités, style Sarah Jessica Parker, Jennifer Lopez, Lady Gaga ou Céline Dion. Caractérisés par une durée de vie aussi brève qu’explosive, ils déferlent sur le marché dans un tsunami de publicités, se vendent massivement, puis peuvent disparaître tout aussi brutalement. Les marques de luxe sont tentées de s’en inspirer. Mais on préfère encore prendre des ambassadeurs ou des égéries. Charlize Theron fait à merveille le job pour « J’Adore » de Dior, Natalie Portman pour « Miss Dior », Keira Knightley pour Coco de Chanel ou la fille de Vanessa Paradis pour l’eau N°5 Chanel.  Mais la meilleure publicité du monde restera pour toujours Marilyn Monroe confessant qu’elle ne dort vêtue que de quelques gouttes du N° 5 de Chanel.

Noblesse et Royautés : La nouvelle permanente n’est-elle pas obligatoire pour l’industrie du parfum ?

Bertrand Meyer-Stabley : L’industrie du parfum a inculqué la versatilité aux consommateurs. Chaque année 200 nouvelles fragrances sont lancées. C’est une inflation dangereuse. Mais le triomphe de « La Petite Robe Noire » chez Guerlain, un parfumeur qui n’a pourtant jamais créé la moindre robe, donne des idées à toute la profession.

Noblesse et Royautés : Des 20 chapitres de votre livre, lequel vous touche le plus particulièrement ?

Bertrand Meyer-Stabley : « L’Interdit » de Givenchy. Hubert de Givenchy l’a créé en 1954 en pensant à son amie et égérie Audrey Hepburn. C’est un parfum espiègle et très sensuel à la fois. Quand il l’a offert à l’actrice, elle a lancé la boutade « Je t’interdis de le commercialiser ! ». Du coup, le nom était tout trouvé. Givenchy a attendu en fait trois ans avant de le lancer enfin.

Noblesse et Royautés : Quel est le parfum qui a fait le plus scandale ?

Bertrand Meyer-Stabley : « Opium » d’Yves Saint Laurent. Le flacon était même une merveille d’inventivité et d’élégance qui n’était ni tout à fait un bijou ni tout à fait un parfum mais une œuvre d’art à part entière. « Opium » fut créé en 1977 et, en quelques semaines, son nom était sur toutes les lèvres.  L’addiction du couturier à la drogue n’était connue que de ses proches, on y voyait seulement le triomphe de la permissivité. « Opium », c’était une fragrance qui racontait la fascination de Saint Laurent pour l’Orient. Le tohu-bohu qui a suivi son lancement aux Etats-Unis avait vraiment un parfum de scandale. « Poison » de Dior s’inscrit dans la même veine. Un oriental avec des notes fruitées. Ce jus était tellement capiteux que certains restaurants américains refusaient les clientes qui le portaient et affichaient des panneaux avec « No smoking, No Poison ! »

Noblesse et Royautés : Qu’est-ce qui vous a beaucoup surpris en co-écrivant ce livre ?

Bertrand Meyer-Stabley : Un fait incontournable : 30 à 35% des parfums à succès destinés aux hommes sont également portés par des femmes. « L’eau sauvage » de Dior est un exemple parfait de cette tendance.