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Suite à la parution du livre « Philippe, comte de Flandre. Frère de Léopold II« , Noblesse et Royautés a posé quelques questions à son auteur Damien Bilteryst, déjà auteur d’une remarquée biographie consacrée au prince Baudouin (fils du comte de Flandre).

Noblesse et Royautés : Vous êtes l’auteur d’une première biographie consacrée au prince Baudouin de Belgique, fils du comte de Flandre. A présent, vous présentez votre nouvel ouvrage intitulé «  Philippe, comte de Flandre. Frère de Léopold II ». Est-ce au moment de la rédaction de la biographie du prince Baudouin que vous avez eu l’envie d’écrire ce deuxième livre, sur base des documents consultés ?

Lors de mes recherches relatives au prince Baudouin, j’ai découvert des milliers de documents inédits. La biographie dédiée à Baudouin ne m’a pas permis de tout dire sur le riche univers des Flandre et surtout au sujet du Comte de Flandre, très beau personnage, complexe et attachant.

Noblesse et Royautés : A quels documents d’archives avez-vous eu accès ?

Tout d’abord c’est au palais royal que les recherches ont débuté. Là sont conservés dans différents fonds d’archives la volumineuse correspondance des Flandre et de leur entourage et de nombreux dossiers relatifs au règne de Léopold II. J’ai eu la chance de pouvoir consulter le Pacte de Famille de 1906 rédigé par les héritiers du Comte de Flandre. Ce document donne la situation financière exacte du défunt et corrige certaines affirmations. Au Musée de l’Armée, l’inépuisable Fonds Wilmet a également été intégralement étudié : il s’agit entre autres de copies de milliers de lettres aujourd’hui dispersées. La presse contemporaine à la vie de Philippe a également été analysée à travers plusieurs quotidiens de sensibilités diverses afin d’approcher au mieux la manière dont le prince était perçu. Enfin, de nombreux particuliers, descendant des membres de l’entourage des Flandre ont généreusement ouvert leurs archives jusqu’ici demeurées inédites.

Noblesse et Royautés : Vos recherches ont-elles modifié l’image que vous aviez du prince Philippe, comte de Flandre ?

Je vais vous livrer une anecdote personnelle. A l’âge de dix ans, j’ai découvert dans la bibliothèque de la classe que tenait mon père dans l’école que je fréquentais un ouvrage retraçant l’Histoire de la CGER. Le comte de Flandre ayant été président de cette institution bancaire son portrait figurait en tête de l’ouvrage. J’ai tenté d’en savoir davantage, en vain ou presque car hormis ses activités de bibliophile et de chasseur rien ne filtrait sur cet homme qui paraissait un peu terne et sans relief. Au fil des recherches est apparu un homme capable et doté d’un sens de l’humour corrosif. Je le vois maintenant avec son air goguenard un peu comme l’acteur François Berléand dont le physique est très proche ! … D’ailleurs il interpréterait à merveille un comte de Flandre intelligent et sensible.

Noblesse et Royautés : La mort de la reine Louise Marie a été très durement ressentie par ses enfants Léopold, Philippe et Charlotte. Pouvez-vous nous en parler ?

Lorsque la reine Louise meurt en 1850, ses enfant sont respectivement âgés de 15, 13 et 10 ans. Bien qu’ils la savent malades, aucun d’eux ne s’attend à cette perte si brutale et presque soudaine. C’est Léopold (futur Léopold II) qui exprime le plus sa douleur. Sans cesse il recherche la présence maternelle que ce soit physiquement en se rendant auprès de sa sépulture (à laquelle le Roi a limité l’accès) ou spirituellement par la prière. Philippe et Charlotte sont longtemps restés silencieux sur le sujet. Les conséquences de ce décès sont immédiates : du jour au lendemain les trois enfants de Léopold I (qui n’a aucunement modifié ses habitudes de vie solitaire) sont livrés à eux-mêmes avec des pédagogues souvent dépassée et dépourvus d’autorité.

Noblesse et Royautés : Quelles étaient les relations du prince Philippe avec sa famille maternelle les Orléans ?

Les relations sont cordiales, mais compliquées en raison de la situation politique. Enfant, Philippe s’est fréquemment rendu à Paris dans les divers lieux de résidence de ses grands-parents maternels le roi Louis-Philippe et la reine Marie-Amélie. Il continue à rendre visite aux Orléans après leur exil de 1848. Lorsque le roi Léopold I meurt en 1865, la situation change. Léopold II fait comprendre à ses oncles et cousins Orléans que leur présence à Bruxelles n’est pas désirable étant donné la position politique délicate de la Belgique. Philippe continue à voir les Orléans revenus en France, il chasse chez eux et partage ses passions artistiques avec certains d’entre eux.

Noblesse et Royautés : Le prince Philippe n’avait pas de bonnes relations avec son frère le roi Léopold, à l’inverse, il fut toujours très protecteur avec sa sœur le princesse Charlotte, future impératrice du Mexique ; pouvez vous nous en parler ?

Les relations entre Philippe et Léopold II sont complexes dès le départ. Léopold souffre de la préférence que son père marque pour Philippe. Lorsqu’il accède au trône il vexe souvent Philippe qui s’éloigne de la cour jusqu’à un point de non retour. Mais avant cela le comte de Flandre va régler de vieux comptes avec son frère et exprimer de très durs griefs dans une lettre implacable. Entre les deux frères il y a aussi la présence de l’énigmatique reine Marie-Henriette qui ne facilite pas l’harmonie familiale.

Philippe est le chevalier-servant de sa sœur Charlotte : il joue tantôt le rôle d’un professeur bougon, tantôt celui d’un aimable compagnon. Ils s’entendent à merveille surtout lorsqu’il s’agit de railler leur frère Léopold … L’étude des relations entre les membres de ce trio est passionnante !

Noblesse et Royautés : Philippe entretenait de bonnes relations au sein du Gotha et représenta le pays lors de plusieurs visites à l’étranger. Qui étaient ses amis les plus proches ?

Jusqu’en 1875 environ, Philippe maintient des relations essentiellement protocolaires avec les membres du Gotha. Les contacts avec la cour de Grande-Bretagne étaient jusque là beaucoup plus chaleureux grâce à la parenté proche avec la reine Victoria et son mari. Après 1875, le comte de Flandre fuit les obligations que ce soit en Belgique ou à l’étranger. Désormais il n’ira presque plus dans les cours étrangères (il ne se rendra même pas aux funérailles de la reine Victoria). On le voit encore à Madrid, aimablement reçu par le roi Alphonse XII qu’il apprécie beaucoup, mais il ne conserve des contacts personnels qu’avec les Hohenzollern de la branche catholiques, famille de la comtesse de Flandre. Ses sarcasmes n’épargnent pas beaucoup de princes et le lecteur découvrira des traits inédits sur nombre de membres du Gotha : Sissi, Maximilien, Louis-Victor, Victoria et ses filles, …

Noblesse et Royautés : Il se marie sur le tard (30 ans) pour l’époque et c’est son frère Léopold II qui met un peu la pression. Son statut de cadet lui a-t-il permis de choisir plus sereinement son épouse et à tout le moins de décliner certaines propositions comme avec les princesses du Brésil ?

Léopold I a traité différemment le sujet du mariage de ses trois enfants. Léopold a été obligé, à 18 ans, d’épouser une princesse qu’il n’aimait pas (l’archiduchesse Marie-Henriette), Charlotte a pu choisir à 17 ans son candidat favori (l’archiduc Maximilien), tandis que Philippe demeurait toujours célibataire. Léopold I aime que son second fils l’accompagne à la chasse et ne se formalise pas que le jeune homme refuse une série impressionnante de candidates (la liste étonnera le lecteur). Quant aux projets brésiliens, Léopold I n’y tient pas tant que cela.

Noblesse et Royautés : Philippe de Belgique peut-il être considéré pour son époque comme un bon vivant ? On sait que son hôtel particulier rue de la régence était un lieu où l’on recevait fort bien.

Je vois surtout Philippe comme un homme aimant ce qu’il y a de mieux dans tous les domaines de l’existence. La gastronomie est un aspect important à ses yeux. La table de la rue de la Régence est très prisée, on est assuré de s’y restaurer bien mieux qu’à Laeken où tout est pesé et compté !

Noblesse et Royautés : Philippe était un homme d’affaires prospère. Il possédait plusieurs bien que l’on connaît parfois peu comme la villa Giuilia au bord du lac de Côme, les domaines de Furnek et de Palin respectivement en Moravie et Slovaquie. Que sont-ils devenus ?

Ces noms font rêver … La villa Giulia, où l’on produisait de l’huile d’olives, a été vendue dès 1871, Palin et ses terres en 1889, tandis que Fulnek, domaine où l’on élevait des vins selon la méthode champenoise, a été vendu peu après la mort du comte de Flandre.

Noblesse et Royautés : En rédigeant cette biographie, avez-vous découvert des facettes de la vie du prince que vous ignoriez totalement ?

Je retiens surtout deux aspects nouveaux. Tout d’abord, le grand sens politique du comte de Flandre et ce dès son plus jeune âge. A 17 ans on le retrouve discutant avec les ministres de son père des matières les plus techniques. Peu après il interroge longuement Albert, prince-consort de Grande-Bretagne sur la question de la participation de la Belgique à la guerre de l’opium. En matière militaire, il s’entend parfaitement et préside le Conseil de Défense. On ne peut douter qu’il aurait été un Roi capable et avisé.

Ensuite, sur le plan privé, lui que l’on présentait comme un homme timide menait en réalité le même genre de vie que Léopold II : une vie dédiée au plaisir. Ces deux facettes le rapprochent d’ailleurs de Léopold II. 

Noblesse et Royautés : Lors de ses funérailles en 1905, son frère Léopold II y apparaît très affecté. Il n’a pas souhaité que des princes étrangers soient présents. Comment ce décès a-t-il été perçu par la population belge ?

Léopold II est très affecté par la mort de son frère. Des mots durs ont été écrits, des silences blessants ont refroidi jusqu’à les annihiler les relations entre eux. Léopold II paraît avoir beaucoup pleuré, un chagrin probablement nourri par d’intenses regrets … Deux cent mille personnes accompagnent le comte de Flandre vers sa dernière demeure. Bruxelles est endeuillée, mais l’émotion qui avait prévalu lors de la mort du prince Baudouin est beaucoup moins présente. Les circonstances différentes l’expliquent aisément.

Noblesse et Royautés : Après des biographiques fouillées consacrées au prince Baudouin et au prince Philippe de Belgique, quels sont vos futurs projets ?

Les idées sont là, mais aucune d’elles ne s’impose encore clairement. Je sais juste que le prochain livre traitera lui aussi d’un sujet inédit. Le plaisir des recherches dans les sources premières accompagne – je l’espère – celui de la découverte que fait le lecteur.

« Philippe, comte de Flandre. Frère de Léopold II », Damien Bilteryst, Editions Racine, 2014, 336 p. – ¨Photo du comte de Flandre prise en 1861 par Camille Silvy à Londres