Naples en 1860 – Porte Capuane

L’été 1860 voit la ville de Naples dans une situation de tension permanente. François demande un miracle à San Gennaro, le patron de la ville, qui reste sourd. Tout le monde a peur du lendemain, pour des raisons différentes. Les uns espèrent que Garibaldi sera enfin battu par les troupes royales, les autres attendent son arrivée pour mettre fin au règne des Bourbons. Les puissance européennes regardent la situation avec la plus grande attention. L’empire d’Autriche ne voudrait pas voir changer plus l’ordre établi au Congrès de Vienne, déjà bien bousculé. Après avoir perdu la Lombardie, François-Joseph ne voudrait pas perdre la Vénétie, le Trentin et Trieste.

Une victoire de Garibaldi pourrait donner de nouvelles ailes à Victor-Emmanuel. Napoléon III satisfait de la première partie du programme ne tient pas à une Italie totalement unifiée, dont la puissance pourrait contrarier la sienne. Victoria, ou du moins son Premier Ministre, Lord Palmerston, encourage Garibaldi dans son expédition car une Italie unifiée qui lui devrait son unité ne pourrait qu’être un bon allié sur le Continent, et accroîtrait son influence en Méditerranée. Victor-Emmanuel, ou plutôt Cavour, attend. Son ambassadeur à Paris écrit à son Premier Ministre : “Il vaut mieux attendre. Laissons arriver Garibaldi à Naples sans nous immiscer. Laissons cuire les macaroni…” Ce à quoi Cavour répond : “ Les macaroni ne sont pas encore cuits mais les orages sont déjà devant nous sur la table et nous sommes bien décidés à les manger.”

Cavour (1810-1861)

Et pour ne pas être en retard au festin, le Piémont envoie une escadre dans la baie de Naples, où se trouvent déjà les flottes française, anglaise et espagnole. Le double jeu de Cavour est simple. Il fait contacter Liborio Romano, le ministre de l’intérieur, et le général Nunziante, avec lesquels il compte traiter directement car il ne veut pas devoir Naples à Garibaldi. Il écrivit à l’amiral de la flotte piémontaise : “Le but de la mission ( envoi de la flotte dans la baie de Naples ) est de se mettre à la disposition de la princesse de Syracuse (née princesse de Marie Victoire de Savoie-Carignan, dont le mari Léopold de Bourbon-Siciles, oncle de François II, avait piètre opinion de son neveu à qui il avait conseillé plus de libéralisme, et le rapprochement avec le Piémont)

 

Léopold de Bourbon-Siciles (1813-1860)

 L’objectif réel est de coopérer en vue de la réussite d’un plan qui doit faire prévaloir à Naples le principe national sans l’intervention de Garibaldi. Les principaux acteurs devront en être être le ministre de l’Intérieur, M. Liborio Romano, et le généralNunziante…”( 30 juillet 1860)

Général Nunziante (1815-1881)

Nunziante, officier général dans l’armée royale des Deux-Siciles, avait choisi le parti de l’unité italienne. Le 12 août Cavour résume la situation : “La crise est proche. Naples en état de siège…Garibaldi cherche à avancer en Calabre, nous cherchons à fomenter la révolution. L’Autriche menace…L’Angleterre pousse Garibaldi…Napoléon III est irrité des résultats incertains de sa politique. Comment sortir de tant de difficultés ? Soit François tombe sous l’action de Garibaldi et alors, en avant à tous coûts ! Soit François bat Garibaldi et alors nous devrons accueillir au mieux les conseils de la diplomatie.”

La situation de l’armée napolitaine est incertaine, quoiqu’encore loyale du moins dans la troupe. En ville, le plus grand magasin d’estampes vendit, du 1er au 15 août, six mille portraits de Garibaldi, quatre mille de Victor-Emmanuel, deux cents de François et cent cinquante de Marie Sophie. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes quant au revirement des Napolitains.

Une rue à Naples à l’époque

Dans cette situation explosive, la reine continue son bain et ses cavalcades quotidiens. Rien ne serait définitivement perdu si, toutefois, il y avait à la tête de l’état un homme capable de prendre ses responsabilités. Or François ne gagne dans ces journées que le surnom ironique de “Francesco Dio-ti-benedicta” – « François, que Dieu te bénisse ». Et pourtant son armée, du moins ses soldats, réclament leur roi, encore prêts à se battre pour lui.

Le roi avait décidé de quitter sa capitale pour se réfugier à Gaète, un peu plus au nord. Il pensait alors qu’avec la forteresse de Capoue, il avait une base arrière solide. Un seul échec de Garibaldi pouvait encore lui permettre de garder son trône. Il pensait aussi éviter un bain de sang à Naples. Certains lui avenir conseillé de fuir à Vienne ou à Madrid, d’autres à Rome près du Saint-Père. Il choisit de rester dans on pays.

Le 4 septembre, il annonça son intention, sans demander à quiconque de le suivre, à l’exception de l’armée, composé de quarante mille hommes et quatre mille cavaliers, et de la marine. Les mouvements de troupe commencèrent aussitôt au lieu de se porter à la rencontre des Mille de Garibaldi et des les battre, comme cela aurait pu être fait facilement.

François et Marie Sophie en 1860

Le 5 septembre, dans l’après-midi, en voiture découverte, François et Marie Sophie parcoururent la ville. Aucun cri contre eux ne fut entendu, au contraire une foule silencieusement respectueuse saluait leur passage. La nuit du 5 au 6 fut leur dernière passée au palais royal qui était désert. Il n’y avait plus de courtisans, juste quelques serviteurs.

Le 6 au matin les voitures chargées des objets et des documents que les souverains souhaitaient emporter avec eux quittèrent le palais. Mais ils abandonnaient la vaisselle d’or, la garde-robe de Marie-Sophie. Le roi ne retira pas ses avoirs personnels de la banque, soit cinquante millions de francs-or, qui furent ensuite saisis par Garibaldi et le gouvernement piémontais. L’argent avait été déposé à la Banque d’Angleterre par Ferdinand II mais François l’avait fait rentrer à Naples, en un geste patriotique. François préférait emporter des reliques et des peintures religieuses.

A quatre heures de l’après-midi, les ministres se présentèrent au palais. François les salua et les remercia un à un. A Liborio Romano, il fit une discrète allusion à son double jeu, dont il avait eu connaissance, tout en lui recommandant de veiller à l’ordre public.

Liborio Romano télégraphia, immédiatement après cette cérémonie, à Garibaldi : “Naples attend avec la plus grande impatience votre arrivée pour saluer le rédempteur de l’Italie et remettre entre vos mains le pouvoir de l’état et son destin propre.”

A cinq heures de l’après-midi, le roi en tenue militaire et la reine en tenue de voyage, toujours aussi belle, quittèrent le palais. Elle ne semblait pas émue et dit “Nous reviendrons bientôt”. Ils partirent à pied vers le port.

Le Port de Naples

A six heures précises, ils prirent pied à bord du “Messagero”, une petite unité contenant une vingtaine de passagers. Le roi avait donné l’ordre à la marine de le suivre, seul le navire “Partenope » obéit. Les autres restèrent dans la baie, leurs officiers ayant eu l’assurance qu’ils seraient intégrés dans la marine sarde.  Un autre navire suivit le petit cortège royal, il battait pavillon espagnol. L’ambassadeur d’Espagne Bermudez de Castro, fidèle à sa parole, accompagnait ses amis qu’il avait promis de suivre.

“Tous m’ont trahi” dit le roi, “ Les Napolitains n’ont pas voulu juger que j’avais raison. Pourtant j’ai conscience d’avoir toujours fait mon devoir. Mais il en restera plus aux Napolitains que leurs yeux pour pleurer.” Le roi avait raison, car dès ce jour-là, la ville perdit son statut de capitale et la richesse qui l’accompagnait pour ne devenir qu’une ville, grande certes, mais secondaire dans le nouveau royaume italien. De ville royale, elle devint un simple port.

Le 7 au matin, le navire entrait dans le port de Gaète.

De Naples à Gaète

Le même jour, Garibaldi entrait dans Naples. Pour les souverains, une bataille était perdue, mais pas la guerre.

Entrée de Garibaldi à Naples

Une rue de Naples le 7 septembre 1860

Gaète, à l’instar de Gênes, Venise, Pise, Amalfi ou Ancône, avait été une république maritime. En 1734, Charles III de Bourbon, roi de Naples, en fit la conquête. Elle était de ce fait un port important du royaume des Deux-Siciles, au XIXe siècle. En 1860, la ville comptait quinze mille habitants. En 1848, le pape Pie IX, après avoir fui Rome où Mazzini avait proclamé la république, s’y était réfugié à l’invitation de Ferdinand II. Elle fut pour près d’un an la capitale de la Chrétienté. C’était une ville relativement importante avec de nombreux édifices religieux et couvents. Au coeur de la  vieille ville s’élevait la forteresse. L’édifice datait dans sas base du Ve siècle, il avait été fortifié à nouveau, au XIIe siècle,  par l’empereur Frédéric II de Honhenstauffen, roi de Sicile, dans sa lutte contre la papauté. Charles Quint l’avait encore renforcé. D’une superficie d’environ 15 000 m2, elle abritait en ce mois de septembre 1860 François et Marie Sophie, entourés de leurs fidèles.

Forteresse de Gaète

A ces fidèles, étaient venus s’adjoindre les élèves du Collège Militaire de Naples, décidés à défendre leur roi contre ceux qu’ils appelaient des “brigands”. Le roi s’était repris, décidé à défendre sa couronne, cette fois les armes à la main. Il semblait un autre homme. Il avait reçu des informations sur l’attitude des puissances européennes qui ne voyaient pas Garibaldi  et ses idées d’un bon oeil. Marie Sophie, encore plus déterminée, était à ses côtés, ayant abandonné ses somptueuses crinolines pour revêtir un costume qu’elle s’était fait faire, une amazone couverte par un grand manteau calabrais. L’image de le reine ainsi vêtue fera le tour du monde.

La nouvelle Marie Sophie

La religion n’étant jamais loin de François, il avait reçu un magnifique drapeau, cadeau du Saint-Père bénit par lui-même, sur lequel figurait un portrait de sa mère. Il semblait en attendre des miracles.

François

Mais plus prosaïquement, le reste de son armée avait été réorganisé et les défenses de la ville avaient été renforcées. Mais François, une fois de plus, refusa de prendre la tête de l’armée, laissant le commandement au Maréchal Ritucci Lambertini di Santanastasia . Celui-ci, âgé de 66 ans, était un soldat honnête, mais sans grandes capacités militaires, même s’il avait fait une belle carrière. Il était fidèle aux Bourbons et déclara, quand plus tard il lui fut proposé de rejoindre l’armée de la nouvelle Italie : “Dans la vie on ne prête serment qu’une fois et j’ai prêté serment d’allégeance aux Bourbons de Naples! »

Maréchal Ritucci

Une fois de plus, le roi commettait une grave erreur par manque de confiance en soi, alors qu’il était loin d’être lâche comme le prouvera son attitude à la bataille de Volturno, le 1er octobre 1860. Ce jour-là, Ritucci décida d’attaquer les troupes de Garibaldi qui s’approchaient de Gaète. Cette bataille est considérée comme la seule vraie bataille de Garibaldi contre les troupes royales. A celles-ci, 50 000 hommes bien armés et disposant de 42 pièces d’artillerie, il opposait 24 000 hommes et 24 canons. Garibaldi avait donc une armée inférieure en nombre. Certains chiffres toutefois donnent 28 000 hommes seulement pour François II. Il est possible que l’histoire racontée par les vainqueurs aient grossi le nombre des ennemis pour rendre la victoire plus importante encore.

Bataille de San Martino al Fresco

François et ses deux frères, le comte de Trani, âgé de 20 ans et le comte de Caserte, âgé de 18 ans, étaient sur le champ de bataille en tête des troupes, au péril de leur vie. Le combat fut très dur et il y eut plus de 300 morts dans chaque camp, et 1328 blessés dans le camp de Garibaldi et 820 seulement dans l’armée royale.

Si la victoire revint à Garibaldi, ce ne fut donc pas sans mal. Et il fut plusieurs fois sur le point de perdre. Au moment où la victoire aurait pu être en faveur de François II, quand ce dernier fit appel à la Garde pour l’assaut final, celle-ci fit défaut. Le roi et ses frères tentèrent vainement de les encourager au combat. A 5 heures du soir Ritucci donna le signal de la retraite. François l’accepta au lieu de continuer à combattre. Rien n’était encore perdu. Rentré à Gaète, Marie Sophie lui exposa son erreur et il voulut alors ordonner la reprise du combat le lendemain. Ritucci ne suivit pas l’ordre du souverain.

Le 3 octobre 1860, Victor-Emmanuel II (1820-1878) prit la tête de son armée et traversant les états pontificaux, sans même avoir déclaré la guerre, et entra sur le territoire napolitain. L’Espagne, la France, l’Autriche, la Prusse et la Russie étaient furieux contre lui. Seule l’Angleterre l’approuva et par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères, Lord Russell, envoya un télégrammes aux chancelleries étrangères : “ Le gouvernement de Sa Majesté Britannique est contraint de reconnaître que les Italiens sont les meilleurs juges de leurs intérêts propres. Après les évènements étonnants auxquels nous avons assisté, il est difficile de croire que le Pape et le Roi des Deux-Siciles possèdent encore le coeur de leurs peuples. Le gouvernement de SMB ne voit pas de bonne raison à la justification du blâme sévère de la France, l’Autriche, la Prusse et la Russie à l’encontre des actes du Roi de Sardaigne.”

 Victor-Emmanuel II, roi de Sardaigne, puis d’Italie

Le roi de Sardaigne avait donc les mains libres pour continuer son avancée en direction de Naples où se trouvait Garibaldi. François II était incapable d’assumer la responsabilité d’un véritable combat contre les troupes piémontaises. Il fut vaincu une fois de plus le 19 octobre.

Le 21 octobre 1860, par referendum, la population du Royaume des Deux-Siciles votait en faveur de l’annexion à “l’Italie du roi Victor-Emmanuel et à de ses descendants légitimes”, par 1 034 258 “OUI” contre 10 327 “NON”. On a du mal à croire à la véracité de ces chiffres. Mais la nouvelle réalité était là. Le 26 octobre, Garibaldi rencontrait Victor Emmanuel qu’il qualifia du titre de “Roi d’Italie”.

François et Marie réfugiés alors dans la forteresse de Gaète tentèrent un ultime combat qui valut à la reine des Deux-Siciles de devenir “L’héroïne de Gaète” et forcer ainsi l’admiration de l’Europe toute entière. (A suivre – Merci à Patrick Germain pour ce récit)

Les nouvelles armes des Savoie