La reine des Deux Siciles

“Vous n’avez pas l’air bien, mon cher cousin, dit-elle à Mr de Charlus, Appuyez-vous sur mon bras. Soyez sûr qu’il vous soutiendra toujours. Il est assez solide pour cela.” Puis levant fièrement les yeux devant elle : “Vous savez qu’autrefois à Gaète, il a déjà tenu en respect la canaille. Il saura vous servir de rempart.” Et c’est ainsi, emmenant à son bras le baron, et sans s’être laissé présenter Morel, que sortit la glorieuse soeur de l’impératrice Elisabeth.” ( Marcel Proust – La Prisonnière).

Marie Sophie Amélie de Wittelsbach, duchesse en Bavière et reine des Deux-Siciles venait de faire son entrée dans le monde la littérature française. Quand on lui a rapporté  ce texte, après la mort de l’auteur, la souveraine, âgée de 80 ans, aurait dit : « Je ne connais pas ce Monsieur Proust, mais lui doit me connaître : j’aurais agi ainsi qu’il me décrit dans son livre, il me semble. »

La dernière reine des Deux-Siciles était, en effet, bien connue de ses contemporains, non seulement pour avoir été la soeur de l’impériale Elisabeth mais aussi, et surtout, pour avoir eu une vie digne d’un héroïne de romans.

Marie Sophie de Wittelsbach, duchesse en Bavière

Née le 5 octobre 1841, à Possenhofen, elle est la quatrième d’une fratrie de huit. Né en 1831, Louis est l’aîné, puis viennent Hélène en 1834, Elisabeth en 1837, Marie Sophie, Mathilde en 1843, Charles-Théodore en 1845, Sophie Charlotte en 1847 et Maximilien en 1849.

 

Ludovica, princesse royale de Bavière

Leurs parents sont Maximilien de Wittelsbach, duc en Bavière, connu comme “le bon duc Max” et Ludovica de Wittelsbach, princesse royale de Bavière.

 

Max, duc en Bavière

Ludovica avait été mariée à l’âge de 20 ans à son lointain cousin de la branche cadette. Et elle, dont le soeurs étaient Marie-Augusta, vice-reine d’Italie, princesse de Leuchtenberg et veuve du prince Eugène de Beauharnais, Caroline-Auguste, reine de Wurtemberg puis impératrice d’Autriche, Elisabeth, reine de Prusse, Amélie et Marie Léopoldine successivement reines de Saxe, et Sophie, archiduchesse d’Autriche, mère de l’empereur et le frère Louis, roi de Bavière, n’était que duchesse en Bavière.

Elle avait coutume de dire : “Mes soeurs ont fait de brillants mariages mais malheureux. Le mien n’est que malheureux.”

Le Palais de Munich

Il faut dire que le “bon duc Max” n’est là que pour lui faire des enfants, passant le reste de son temps, en voyage, plus intéressé par les chevaux, le jeu et les femmes, sauf la sienne.

Cela dit, Ludovica n’est pas malheureuse. Mariée au “plus beau prince d’Europe”,  artiste, intelligent, exubérant et sans doute plus intéressant que ses beaux-frères, elle se contente de son sort qui est de vivre l’hiver dans leur palais de Munich et l’été dans leur propriété de Possenhoffen, sur les bords du lac de Starnberg, “Possi”. Elle se consacre à ses enfants pour lesquels, elle commence tôt à élaborer une stratégie matrimoniale. Après tout n’est-elle pas au coeur d’un immense réseau royal, et il n’y a pas de raison que ses filles ne puissent en tirer avantage.

Il ne semble pas vraiment utile de présenter plus Ludovica et Max, personnages dont les vies appartiennent à l’histoire, à la légende et à la romance.

 

Possenhoffen à l’époque

La différence d’âge entre leurs enfants – 18 ans entre l’aîné et le dernier – fait que certains son plus proches entre eux que d’autres.

Possenhoffen

Elisabeth et Marie Sophie sont proches même si quatre ans les séparent. Proches surtout pas leur allure identique et par leur caractère indépendant, voire fantasque à l’image de leur père, dont elles seront toujours très proches. Max qui voulait qu’elle connaisse la vie n’hésitait pas à les emmener avec lui quand il rendait visite à ses maitresses. Il saura aussi leur inculquer des idées “révolutionnaires” quant aux rapports sociaux et à l’ennui de vie de cour. Plus un compagnon de jeux qu’un père il leur apprendra aussi à fumer.

Elisabeth dite Sissi

L’éducation qu’elles reçurent fut identique à celles de princesses de l’époque. Elles eurent simplement un peu plus de liberté et cette liberté se retrouvera dans leur esprit tout au long de leur vie. Elles seront de même taille et pratiqueront le sport toute leur vie. Elisabeth est meilleure à cheval, Marie-Sophie à la nage et au tir. Elisabeth aime la poésie et se laisse volontiers aller à rêver, Marie-Sophie est plus terre-à-terre et n’a pas beaucoup de sympathie pour les intellectuels. Les deux soeurs seront les seules souveraines de la fratrie, avec chacune un histoire bien différente. Mais elles resteront proches l’une de l’autre tout au long de leur vie.

Hélène, duchesse en Bavière, princesse de Thurn et Taxis

Quand Hélène eut vingt ans, Ludovica commença sa grande manoeuvre matrimoniale. Le duc Max n’était pas riche, du moins pas aussi riche que ses cousins royaux. Il ne fut pas non plus Altesse Royale, avant 1845. Les jeunes duchesses en Bavière avaient donc quelques handicaps pour trouver un mari convenable, ce qui signifiait un prince, souverain de préférence. Mais elles avaient des atouts, leur formidable parenté, et surtout leur grande beauté. Elisabeth et Marie-Sophie étaient les plus belles mais Hélène, la sérieuse, avait aussi une beauté certaine.

Hélène 19 ans Elisabeth 15 ans en 1853

Le “plus beau parti d’Europe”, l’empereur d’Autriche, était leur cousin germain. Les Wittelsbach et les Habsbourg avaient pratiqué une politique matrimoniale conjointe depuis des siècles. Il était donc normal, comme cela se faisait dans toutes les famille à l’époque, à tous les niveaux de la société, que l’on tourne ses yeux vers le premier cercle. La duchesse Ludovica et l’archiduchesse Sophie, se mirent d’accord. Hélène était la parfaite épouse pour François-Joseph. Les deux soeurs organisèrent un complot. François-Joseph avait 24 ans, il était beau, Hélène en avait 20, elle était belle. Ils ne se connaissaient pas beaucoup car depuis l’âge de 18 ans, il était sur le trône, trône auquel il avait accédé, après les évènement dramatiques de 1848, et la fuite de la famille impériale de Vienne, trône qu’il devait aux renonciations de son oncle, l’empereur Ferdinand, de son père l’archiduc François-Charles et au complot dit “des Dames”, organisé par sa mère l’archiduchesse Sophie, sa double tante l’impératrice douairière Caroline-Augusta, et par l’impératrice consort, Marie-Anne, née princesse de Savoie. Pendant six ans, François-Joseph avait eu bien d’autres soucis que de fréquenter ses cousines bavaroises et il avait aussi été amoureux d’une autre de ses cousines, l’archiduchesse Elisabeth (1831-1903), fille du palatin de Hongrie.

Archiduchesse Elisabeth, princesse de Modène, duchesse de Teschen

Elisabeth est veuve du prince Ferdinand de Modène, frère de la comtesse de Chambord et de la comtesse de Montizon. Son frère l’archiduc Etienne a pris position pour la Hongrie en 1848. Une union avec elle ne présente aucun avantage politique, c’est du moins ce que pense l’archiduchesse Sophie qui éloigne la jeune cousine de la cour en lui signifiant qu’elle doit se remarier, ce qu’elle fit avec l’archiduc Ferdinand-Charles d’Autriche-Teschen (1818-1874), pensant ainsi obéir aux ordres de l’empereur. Le couple sera l’ancêtre de l’infante Alice, princesse des Deux-Siciles, qui vient de disparaître, et de la famille royale d’Espagne, puisque leur fille Marie-Christine épousera Alphonse XII. Par la fille qu’elle eut de son premier mariage, l’archiduchesse Elisabeth est aussi l’ancêtre de l’actuelle famille royale de Bavière.

François-Joseph dut s’incliner devant la volonté de sa mère et renoncer à son amour pour sa cousine. Epouser Hélène, son autre cousine, ne lui posait aucun problème. Tout le monde connaît la suite. Quand il aperçut Elisabeth, qui ne devait pas être là, il en tomba amoureux au point de se déclarer “amoureux comme un sous-lieutenant et heureux comme un dieu.”

Cela ne fit pas l’affaire de l’archiduchesse Sophie, mais après tout une cousine en valait bien une autre, et pour Ludovica, Hélène ou Elisabeth, peu importait car une de ses filles devenait impératrice d’Autriche.

Marie Sophie n’avait que quatorze ans et cela changea sa vie. Avec le romantisme du mariage de sa soeur préférée, son accession au trône d’Autriche, elle vit désormais en “Sissi” le modèle de sa vie. Les lettres qu’elle recevait d’elle de Vienne confortaient son idée de la vie qu’elle souhaitait.

 

François de Bourbon des Deux Siciles

Et quand elle a fut en âge de se marier, il ne fut question que de se trouver un mari selon son goût, c’est-à-dire un roi ou un prince héritier. Il n’y en avait pas beaucoup de célibataires à l’époque. Il n’y en avait qu’un, François de Bourbon, prince héritier du Royaume des Deux-Siciles. Ludovica toutefois chercha à s’informer auprès de sa soeur Sophie : « Marie pense que vous avez les informations les plus précises et les plus certaines relativement à ce jeune homme et elle a besoin d’être rassurée à ce propos…car l’idée d’appartenir à un homme qui ne la connaît passé qu’elle ne connaît pas la rend terriblement anxieuse…Qu’il ne soit pas joli garçon, elle le sait déjà. » La grande piété de François était aussi source d’inquiétude pour Ludovica, qui à la différence de sa soeur ne versait pas dans une grande religiosité. Mais quels qu’aient été ses doutes, le parti était trop brillant pour hésiter longtemps.

Les tractations avec la cour de Naples furent longues. Mais Marie Sophie commença à rêver d’un prince qu’elle ne connaissait pas et dont elle n’avait pas encore vu le portrait. Mais elle l’imagina, avec l’aide de sa mère, beau et sympathique.

Quand elle demanda à son père ce qu’il en pensait, l’autorisation au mariage, devant être donnée par le roi de Bavière, son cousin, il lui répondit par télégramme envoyé de Monte-Carlo : “ Je te le déconseille. C’est un imbécile. »(A suivre – Merci à Patrick Germain pour ce récit)


Le duc Max et sa famille, Marie Sophie est l’avant-dernière à droite