Un prénom et un nom qui prêtent immédiatement à rêver. Marie Walewska fut l’héroïne d’une grande histoire d’amour liée à une des plus grandes épopées de l’Histoire de France et à un des plus plus grands noms, Napoléon Ier. Ci-dessus, Marie Walewska par Isabey.

Mais sa vie débuta simplement dans une famille de la noblesse polonaise. Maria Łączyńska naquit le 7 décembre 1786 à Grodno près de Kiernozia, le domaine familial, à une cinquantaine de kilomètres de Varsovie, dans une famille ancienne et respectée, les Łączyński mais dans une Pologne déchirée.

Armes des Łączyński

Comme il est difficile de séparer Marie de l’histoire de son pays, il convient de dire la situation de la Pologne à sa naissance.

Le Royaume de Pologne dont la création date de 960 par l’accession au titre de prince de Pologne de Mieszko Ier. C’est donc une nation qui peut revendiquer une histoire aussi ancienne que celle de la France royale mais qui ne fut pas aussi unitaire.

Plusieurs dynasties se succédèrent après les Piast, dynastie de Mieszko Ier, et les Przemysl, (960-1370) ce furent les Capétiens d’Anjou-Sicile, avec Louis également roi de Bohême, dont la fille Hedwige, élue reine de Pologne en 1384, épousa Ladislas II Jagellon, Grand-duc de Lituanie.

Gisant de la reine Hedwige à Cracovie

Elle est devenue la patronne de la nation polonaise et a été canonisée par Jean-Paul II le 8 juin 1997.

Le couple n’ayant pas d’enfants pour succéder au Royaume de Pologne, à la mort d’Hedwige en 1399, Ladislas conserva le trône de Pologne et y installa sa dynastie. Les Jagellon régnèrent jusqu’au décès de Sigismond II Auguste en 1572. Les souverains Jagellon étaient à la fois Grand-duc de Lituanie et roi de Pologne, les deux états restant séparés, jusqu’en 1569, par l’Union de Lublin ils furent unis sous le nom de République des Deux-Nations, la « Rzeczpospolita » .

La république de Deux-Nations : « Notre État est une république sous la présidence du roi », fut-il déclaré. La République comprenait principalement quatre nations : Lituaniens, Polonais, Ukrainiens et Biélorusses, appelés ensemble, Ruthènes. En 1569, la population de République comprend 11,5 millions d’individus, pouvant être répartis à peu près en  Polonais : 4,5 millions – Lituaniens : 0,75 millions – Ukrainiens : 3,5 millions – Biélorusses : 1,5 millions – Prussiens : 0,75 millions – Livoniens : 0,5 million. Il ne s’agissait donc pas, contrairement à ce qu’indique son nom, une union purement polono-lituanienne. C’est de cette période que date l’élection du souverain, choisi dans la Szlachta, la grande noblesse polonaise.

Le premier souverain élu fut Henri, duc d’Anjou. Mais il ne le resta pas longtemps, deux ans, car il fut appelé, sous le nom de Henri III, à succéder à son frère, Charles IX, sur le trône de France.

Parmi les souverains suivants, les plus connus furent Jean III Sobieski, le sauveur de Vienne, Stanislas Ier Leszczynski, père de la reine de France, Marie et Frédéric-Auguste III, duc de Saxe.

Jean III Sobieski  par Jan Tricius

Stanislas II Poniatowski (1732-1798) fut le dernier roi de Pologne. Elu en 1764, grâce à Catherine II de Russie qui envoya troupe et argent pour soutenir la candidature de son amant, il ne sut pas établir l’équilibre politique qui aurait permis de sauver son royaume, en ayant pris parti pour la Russie. Enlevé, déchu, rétabli, le souverain fut incapable d’imposer les réformes nécessaires et fut incapable de résister aux appétits de ses voisins.

L’Autriche, la Russie et la Prusse décident d’intervenir militairement, en échange de concessions territoriales — une décision prise sans consulter ni le roi ni aucun des partis polonais – pour rétablir l’ordre en Pologne.

En fait de rétablissement d’ordre il s’en suivit trois  partages successifs.

Le premier le 5 août 1772, la Russie, la Prusse et l’Autriche signent un traité, ratifié par la Diète polonaise, qui ampute la Pologne-Lituanie du tiers de sa population et de 30 % de son territoire. La Russie reçoit les territoires biélorusses à l’est de la ligne formée par la Dvina et le Dniepr. Sont entre autres comprises les villes de Polotsk (ancienne capitale de la principauté), de Vitebsk, d’Orcha, de Moguilev et de Gomel. La Prusse obtient la riche région de la Prusse royale, peuplée d’Allemands à 90 %, avec la partie nord de la Grande-Pologne (Wielkopolska), peuplée de Polonais. L’Autriche obtient la Petite-Pologne (Malopolska), le Sud du bassin de la Vistule et l’Ouest de la Podolie.

Stanislas II Auguste Poniatowski, roi de Pologne, grand-duc de Lituanie

Le deuxième partage de la Pologne-Lituanie est le résultat de la demande d’aide faite à la Russie le 24 avril 1792, par les grands magnats polonais, les Branicki, Rzewuski, Kossakowski, menés par le comte Stanislas Potocki, pour retourner à l’ancien ordre polonais qui leur assurait des privilèges, notamment celui de juridiction sur leurs paysans, abolissant ainsi la nouvelle constitution trop libérale à leurs yeux.

Le 4 mai 1792, La Russie accepte et envoie des troupes, de même que la Prusse. Un accord entre ces deux pays aboutit au deuxième partage, ratifié par la diète polonaise. L’Autriche ne peut y participer, étant en guerre avec son ancien alliée, la France. La Russie reçoit l’essentiel de la Biélorussie lituanienne (la voïvodie de Minsk et partiellement la voïvodie de Navahroudak et celle de Brest-Litovsk) et l’Ouest de l’Ukraine. La Prusse obtient notamment les villes de Dantzig et Thorn, ainsi que le reste de la Grande-Pologne et une partie de la Mazovie.

Si ce partage ne semble pas poser problème à une partie de l’aristocratie, il n’en est pas de même pour la petite noblesse, la bourgeoisie et le peuple polonais en général. La révolte gronde et en 1794, Tadeusz Kościuszko conduit un soulèvement national. Tadeusz Kościuszko fut un héros des guerre d’indépendance des Etats-Unis et le héros des guerres contre les ennemis directs de son pays.

Tadeusz Kościuszko par Kazimierz Wojniakowski

S’il réussit dans un premier temps à chasser les Russes de Vilnius et de Varsovie, l’aide apportée aux Russes par la Prusse et l’Autriche mit fin à l’insurrection brisé le 4 novembre 1794 par le massacre de Praga. Du côté russe il y eut 580 morts et 960 blessés. Du côté polonais on compta 6000 morts et blessés, 10 000prisonniers et entre 7000 et 20000 civils massacrés.

Massacre de la population de Praga par Aleksander Orlowski, 1810

Il est aujourd’hui un héros national en Pologne et en Lituanie.

La Russie, la Prusse et l’Autriche achèvent le démembrement du reste de la Pologne-Lituanie le 3 janvier 1795.

Le Congrès de Vienne en 1814 mit fin à l’espoir que Napoléon Ier avait suscité en créant le Grand-duché de Varsovie en 1807.

Catherine II meurt l’année suivant le partage. L’empereur romain germanique et le roi de Prusse sont désormais alliés contre la France révolutionnaire. Les légions polonaises naîtront d’ailleurs d’un ralliement de militaires derrière la France napoléonienne, ennemie de tous les pays qui ont pris part aux partages.

Malgré la fondation du duché de Varsovie par Napoléon, en 1807, le partage de la Pologne-Lituanie est confirmé après la chute de l’empereur par le Congrès de Vienne (1814-1815). La partie administrée par la Russie est agrandie.

La Pologne et la Lituanie ne retrouveront leur indépendance qu’à l’issue de la Première Guerre mondiale, et seront alors deux états séparés, alors qu’elles étaient unies depuis 1385.

Maria Łączyńska née en 1786, soit après le premier partage de la Pologne, a huit ans lors du soulèvement de Tadeusz Kościuszko et vécut le démembrement de son pays, à l’instar de son monde, comme une blessure personnelle. Ces évènements marqueront sa vie et seront les instruments de son destin.

 

Marie Walewska enfant

La famille des Łączyński, noble sans être une famille de magnats, est ancienne et a compté dans l’histoire de la Pologne. On trouve des  Łączyński occupant des fonctions importantes à différentes période de l’histoire de la Pologne. Au début du XVIe siècle Samuel Łączyński est un compagnon du roi Sigismond Ier. Lors d’un duel à  l’épée et à la hache, il tranche la tête de son adversaire. Et il reçut les félicitations du monarque. A la fin du XVIe siècle Jérôme Łączyński, plus sociable, est un juriste reconnu.

Kiernozia aujourd’hui

 

Kiernozia en 1945 après le passage de l’armée russe

Au XVIIIe siècle, le père de Maria, Mathieu Łączyński a remis en état le domaine familial de Kiernozia et l’a fait prospérer. La maison dite château n’est en réalité qu’une grande demeure, comme il en existe tant dans la campagne polonaise mais la famille jouit d’une bonne aisance. Au second partage de la Pologne, Łączyński prend fait et cause pour l’insurrection. Il considère qu’en sa qualité de seigneur de sa province, – il était starost de Gostyń – descendant d’une famille de soldats intrépides et de fiers polonais, son devoir est de montrer l’exemple aux paysans et aux petits propriétaires fonciers.

A la bataille de Maciejowice, le 10 Octobre 1794, qui oppose les Polonais, commandés par  Tadeusz Kościuszko et les Russes commandés par  le général Souvorov, Mathieu Łączyński frappé d’une balle en plein coeur meurt. Il est enterré dans la crypte de la chapelle familiale à Kiernozia avec les honneurs militaires. Maria vécut alors son premier chagrin qui ancra dans son coeur la haine de l’occupant russe.

Les terres de Kiernozia furent comprises dans la partie de la Pologne attribuée à la Russie.

La veuve de Mathieu Łączyński, Eva Zaborowska, la mère de Maria, bien qu’issue d’une famille riche, se trouve confrontée à la gestion d’un domaine, ce dont elle n’a aucune idée. Elle est à la tête d’une famille de sept enfants Maria, Benedict Joseph, Jérôme, Théodore, Honorata, Catherine et Ursule-Thérèse.

Elle est rapidement dépassée par cette gestion et laisse les bâtiments du domaine se dégrader. les récoltes sont mauvaises, les fermiers ne paient plus leurs loyers. La famille désormais pauvre court à la ruine.

Elle engage pour s’occuper de ses enfants un professeur, qui l’aidera aussi à régler certains des problèmes du domaine, Nicolas Chopin, dont le fils Frédéric fut le compositeur que nous connaissons tous. Français, originaire de Lorraine, Nicolas Chopin, fils d’un charron viticulteur, fut remarqué par l’intendant d’un grand seigneur de la suite de Stanislas Leszczynski, roi de Pologne devenu duc de Lorraine.

En 1787, à l’âge de 16 ans, Nicolas Chopin suivit son protecteur, Adam Weydlich.  Il était brillant et excellent musicien. Il s’intégra rapidement à son nouveau pays et y fit une véritable ascension sociale dans la bourgeoisie intellectuelle de Pologne. Après avoir été précepteur dans la famille de Maria et chez la comtesse Skarbek où il rencontra sa femme, issue de la petite noblesse, il devint professeur de français au lycée à Varsovie, puis à l’école élémentaire des officiers et ingénieurs de l’artillerie. Il était unanimement respecté par la société polonaise à laquelle il s’était agrégé au point de se considérer lui-même comme polonais.

Nicolas Chopin (1771-1844)

Son entrée en 1795 dans la famille Łączyński fut une chance pour tous. Il eut à enseigner le français et la  musique aux enfants. Grâce à lui Maria parlera un français parfait. Mais il s’occupa aussi de remettre de l’ordre dans les finances de la famille. Il passa six ans avec eux.

Malgré l’aide de Nicolas Chopin, et en dépit de ses conseils, elle continua un train de vie dispendieux bien au-dessus de ses capacités financières. Elle envoya son fils aîné à Paris, son fils Théodore dans le meilleur établissement de Varsovie. Sa fille Maria, ainsi qu’une de ses sœurs, fut placée à Notre-Dame de l’Assomption à Varsovie. Maria y fut une élève studieuse, bien adaptée à la vie quasi monacale menée par les élèves. Foi ardente, élans romantiques font partie de la personnalité qu’elle se forge au cours de ces années. Son frère Benedict, devenu officier dans l’Armée française, lui apprend à connaître le nouveau Premier Consul de la France, Napoléon Bonaparte. Issu de la Révolution française, s’attaquant aux vieux royaumes européens, ne serait-il pas celui qui un jour pourrait libérer la Pologne du joug russe ? Maria veut le croire. Le sort de son pays la préoccupe et elle veut se consacrer à sa libération.

Son éducation est une réussite. Elle danse bien, elle est naturellement gracieuse et distinguée, elle est musicienne et elle est jolie. La mère supérieure de son couvent la décrit ainsi : « Marie est intelligente et studieuse, avec une douceur de caractère qui la fait aimer de tous ici. Elle est peut-être un peu trop introspective pour son bien; quoique timide et réservée de nature, elle a des sentiments violents, passionnés même, particulièrement en ce qui concerne la religion et le tragique état actuel de notre pays »

En effet, n’avait-elle pas dit pas un jour  : «  Que de fois dès ma plus tendre enfance n’ai-je pas pleuré amèrement en écoutant les récits des malheurs de notre infortuné pays ! L’usurpation étrangère, les horreurs exercées à Praga, l’humiliation d’une nation dont je faisais partie soulevaient tout mon être d’indignation. » (Mémoires – Fonds Famille Walewski )

Marie Walewska par Marie-Victoire Jaquotot en 1811

Quand à 17 ans, Maria retourne à Kiernozia, c’est une belle jeune femme, aux formes parfaites, aux yeux bleus magnifiques. Elle est ainsi décrite en 1810 : « Teint éblouissant de blancheur…yeux d’un bleu azur…sourire ravissant…qui fit voir deux rangs de perles éclatantes dans la plus gracieuse et la plus fraîche bouche du monde. » (Fonds Famille Walewski )

Sa mère lui déclare alors « Marie a embelli. Dieu veuille lui trouver un mari bientôt. ce serait une charge de moins » (Fonds Famille Walewski ) (Merci à Patrick Germain pour cette première partie)