Ci-dessus, les armes du duché de Varsovie (1807-1815). Marie se laissa impressionner pas les discours déterminés de ce hauts personnages, incarnant la Pologne. «  La dignité de leur contenance, l’expression de ces âmes de feu, dévouées à la cause sacrée, à l’amour de la Patrie, passa dans la mienne. »


Mais elle n’abdiqua pas sa volonté facilement car elle comprenait que l’amour de la patrie allait lui faire abandonner ses devoirs d’épouse et de mère. Elle savait ce que l’empereur attendait d’elle et c’est son mari qui par son insistance allait être l’instrument de ce geste exceptionnel. Il lui reprocha de ne plus avoir l’enthousiasme patriotique qu’il lui avait connu et pour lequel il avait accepté de venir à Varsovie, d’avoir été maussade au bal, de fermer sa porte à ceux que lui, justement, veut attirer, de le faire passer pour un époux jaloux cachant sa femmes aux yeux du monde. « J’entends donc, j’exige, Madame, formellement que votre présentation ait lieu, que vous recherchiez et répondiez à l’empressement de toutes celles qui composent la haute société. Vous ne pouvez qu’y gagner en perdant cette timidité, en acquérant l’usage du grand monde qui vous manque. » Et il lui ordonna d’aller chez la comtesse de Vauban prendre les conseils nécessaire sur sa parure et sur l’étiquette. Elle répondit en murmurant « Que votre volonté soit faite » Celle de son mari ou celle de Dieu ?

Jamais mari ne fut aussi complaisant sans réaliser les conséquences de sa complaisance. En effet, le comte Walewski ne voyait dans cette introduction de sa femme dans le cercle impérial qu’un moyen d’asseoir sa propre position dans l’aristocratie polonaise et peut-être jouer un rôle important dans les évènements qui se préparaient. Il n’imaginait pas les conséquences de son arrivisme.

La comtesse de Vauban était le pur produit de l’Ancien Régime qui au moment de la Révolution avait émigré en Russie, où elle avait su se faire une place dans une société qu’elle avait charmée par son esprit et ses grandes manières. Elle tenait le salon du Prince Poniatowski. Etre distingué par elle était un brevet d’élégance. Et c’est ce que Marie vint chercher. Elle fut reçue avec amitié et chaleur. Marie qui savait désormais qu’elle ne pouvait échapper prit auprès d’elle les conseils qui l’aideraient à vaincre sa timidité et à paraître, ce qu’elle était au fond d’elle-même, une grande dame. La protection de la comtesse était le gage d’un succès assuré.


Comtesse de Vauban par Carmontelle en 1776

La comtesse de Vauban, née Henriette de Puget-Barbentane, amie de la comtesse Tyszkiewicz, soeur de Poniatowski, était la maîtresse du prince depuis 1793. Ils s’étaient rencontrés à Bruxelles. Il avait dix ans de moins qu’elle. Voici comment elle était décrite : grande, mince, élégante, au visage pâle, au sourire moqueur. Intelligente, mais surtout calculatrice, elle sait retenir l’attention des hommes par son apparence fragile et l’évocation habile des difficultés de son existence. Leur liaison dura jusqu’à la mort du prince.

« Timide, grave mais affectueuse par nature, je m’abandonnai au charme d’une amitié sans gêne, qui faisait tous les frais, toutes avances pour gagner mon coeur et ma confiance bien avant que j’eusse pu soupçonner un motif étranger à la sympathie que je supposais et le véritable lien de notre relation. » La comtesse de Vauban était du complot et en habituée de Versailles n’ignorait rien du jeu subtil de l’ascension sociale et des intérêts bien compris. Elle était la personne qu’il fallait pour séduire l’innocente Marie qui n’avait jamais eu à faire avec des roués.
Madame de Vauban lui fit une scène quand elle apprit le retour des billets que Marie avait reçus de l’empereur : « Non, vous n’agirez pas ainsi, vous réaliserez l’espoir que l’on fonde sur vous. Croyez-vous que l’on ait pu rendre vos lettres à celui qui les a écrites ? Qui l’oserait ? Ma chère vous nous perdez ! » lui dit-elle, les fameuses lettres à la main. Elle lui en remis une autre en disant « Tenez, lisez cette autre lettre d’abord. C’est toute une nation qui élève sa voix vers vous car elle est tracée par ses représentants. »

Napoléon lui écrivait « Madame ! Les petites causes produisent souvent de grands effets ! Les femmes en tous temps ont eu une grande influence sur la politique du monde. L’histoire des temps les plus reculés comme celle des temps modernes nous certifie cette vérité ! Tant que les passions domineront les hommes, vous serez, Mesdames, une des puissances les plus formidable.
Homme, vous auriez abandonné votre vie à la digne et juste cause de la patrie ! Femme vous ne pouvez la servir à corps défendant, votre nature s’y oppose mais aussi en revanche il y a d’autres sacrifices que vous pouvez bien faire et que vous devez vous imposer, quand même ils vous seraient pénibles.

Esther devant Assuérus par Grenier de Clio

Croyez-vous qu’Esther s’est donnée à Assuérus par un sentiments d’amour ? L’effroi qu’il lui inspirait jusqu’à tomber en défaillance devant son regard n’était-il pas la preuve que la tendresse n’avait aucune part dans cette union ? Elle s’est sacrifiée pour sauver sa nation et elle a eu la gloire de la sauver. Puissions nous vous en dire autant pour votre gloire et notre bonheur.
N’êtes-vous donc pas fille, mère, soeur, épouse de zélés polonais ? qui tous forment avec nous le faisceau national dont la force ne peut qu’ajouter par le nombre et l’union des membres qui la composent. mais sachez, Madame, ce qu’un homme célèbre, un saint et un prieur ecclésiastique, Fénelon, en un mot a dit : Les hommes qui ont toute l’autorité en public ne peuvent par leurs délibérations établir aucun lien affectif si les femmes ne les aident à l’exécuter.
Ecoutez cette voix, réunie à la notre, Madame, pour jouir du bonheur de vingt millions d’hommes ! »

Cette étrange lettre qui contenait plus de menace que d’amour suivait le second billet reçu par Marie où il avait écrit « Vous ai-je déplu, Madame, J’avais cependant les droits d’espérer le contraire. Me suis-je trompé ? Votre empressement s’est ralenti tandis que le mien augmentait. Vous m’ôtez le repos ! Oh donnez un peu de joie, de bonheur à un pauvre coeur tout prêt à vous adorer. Une réponse est-elle si difficile à obtenir ? Vous m’en devez deux. »

La seconde lettre est celle d’un homme amoureux, la troisième est celle d’un chef d’état qui n’entend pas qu’on lui résiste et, sans vraiment menacer, fait comprendre où vont les intérêts de la destinataire. La comparaison avec Esther est habile car Marie ne devait rien ignorer de son histoire à laquelle sont associés les mots piété, foi et patriotisme. Napoléon emploie lui aussi le chantage au patriotisme pour arriver à ses fins.

Marie passa la nuit à se demander que faire. «  Qu’ai-je à craindre ? Je ne l’aime pas » finit-elle par conclure et accepta enfin d’aller au dîner. Elle avait réprimé son élan pour le comte Souvorov au nom de l’amour de sa patrie. « Je me croyais très forte de la force que j’avais déployée alors. Mais ! …J’oubliais! …que je l’avais invoquée du ciel et que je n’avais plus le temps de le faire maintenant, car aucun moment ne m’appartenait plus. Le torrent, le bruit, une activité continuelle d’une multitude attachée à tous mes pas ne me faisait plus un seul loisir pour la réflexion. »

Son arrivée tant attendue fit sensation et soulagea ceux qui avaient fomenté le complot de la livrer à l’empereur pour le bien de la Pologne. L’empereur arriva enfin et la gratifia au moment de la présentation d’un « Je croyais Madame indisposée, Est-elle tout-à-fait remise ? » La sécheresse du ton étonna l’entourage et ravit la comtesse Walewska qui espérait avoir suffisamment déplu à Napoléon et calmé ainsi ses ardeurs.

Une salle à manger dans un château polonais

Mais à table, elle fut placée presqu’en face de lui. Il sut parler avec chaleur des héros de l’histoire de la Pologne, tout en l’observant. Duroc son voisin de table l’entretint dans les intérêts de Napoléon. Il chercha à savoir pour après s’être jetée à la tête de l’empereur, elle battait froid. Il accusa le comte Walewski de jalousie conjugale, ce qu’elle contredit. Elle justifia sa présence à Bronie par l’espoir qu’elle mettait en Napoléon, sauveur de sa patrie. Ce dernier, tout en animant la conversation générale, donnait des ordre à Duroc, en langage des signes pour diriger sa conversation avec Marie.

Le maréchal lui posa la question de savoir ce qu’elle avait fait du bouquet reçu. « Il m’est trop précieux pour risquer d’en voir une seule feuille détachée et perdue, c’est un héritage que je conserve pour mon fils. » répondit-elle. Duroc alla plus loin dans une allusion à un présent plus précieux encore qui pourrait lui être fait. Elle répliqua, indignée, ayant saisi l’allusion à un bijou, qu’elle n’aimait que les fleurs. Duroc lui répondit « Nous allons cueillir des lauriers sur votre sol natal pour vous les offrir. » « Ah si c’était ! Ah! monsieur le maréchal, une patrie c’est là le bouquet que nous ambitionnons tous. »

Après le repas, Napoléon s’approcha d’elle. « Il avait dans le regard quand il voulait le rendre pénétrant un trait de feu qu’on ne pouvait soutenir sans baisser les siens. C’est l’impression qu’il produisit sur moi, alors prenant ma main et la pressant avec force me dit tout bas : non, non, avec des yeux si doux, si tendres, avec cette expression de bonté on se laisse fléchir, on ne se plait pas à torturer…ou l’on est la plus coquette, la plus cruelle des femmes. » Et il partit.


Napoléon 18 mois avant la rencontre avec Marie Walewska

Elle fut alors l’objet de toutes les conversation et personne ne se priva de lui faire voir comme elle avait été remarquée par le grand homme : « Il n’a vu que vous ! Il vous jetait des flammes. C’était visible, vous seule pouvez transmettre les voeux de toue une nation, influence ses destinées et vous pourriez hésiter ? » Une fois de plus suivit le chantage au patriotisme. On peut se demander si seul le patriotisme inspirait les conseils de ces bonnes âmes polonaises. N’y avait-il pas aussi quelqu’intérêt courtisan à satisfaire les désirs de l’empereur, et en tirer un avantage personnel ?

Marie, comprenant leurs arguments, commençait à faiblir. Elle commençait à réaliser tout l’avantage que la Pologne pourrait tirer de son influence sur Napoléon. Et peut-être avait-elle été séduite par l’homme qu’elle avait approché et lui avait déclarer sa flamme. Elle reçut un nouveau billet transmis par le maréchal Duroc qui lui dit « Pourriez-vous Madame, refuser la demande de celui qui n’a jamais encore essuyé de refus ? Ah sa gloire est environnée de tristesse ! et il dépend de vous de la remplacer par des instants de bonheur ».

Elle se devait d’être bonne polonaise. Et elle devait répondre à la nouvelle lettre que lui écrivait Napoléon. « Il n’y a que vous seule qui puissiez lever ces obstacles qui nous séparent…Ah ! Venez, venez, tous vos désirs seront remplis. Votre patrie me sera plus chère quand vous aurez pitié de mon pauvre coeur – Signé Napoléon » Elle ne pouvait avoir le front de refuser, insista cette fois Madame de Vauban. En clair, on ne refuse rien au vainqueur, au grand homme du moment, qui a en mains les destinées non seulement de la Pologne mais de l’Europe. Marie fondit en larmes. Elle ne voulait pas être une Montespan ou une Pompadour. Mais la comtesse de Vauban, qui avait vécu à Versailles et qui aurait certainement volontiers été de ces « femmes méprisables », ainsi que les qualifia Marie, ne l’entendit pas ainsi. Pour elle, c’étaient « des femmes célèbres qui ont contribuer à brillanter (sic) d’un éclat bien durable ces siècles qui font encore l’admiration du monde entier. »

Elle trouva Marie bien sévère dans son jugement. « Ce sont d’ignobles principes d’éducation provinciale dont vous connaîtrez plus tard la déraison. » Toute l’immoralité de Versailles était dans ces mots. La seule morale qui comptait était la satisfaction des désirs du roi. « Ne savez-vous pas que tout souverain en croyant ne donner que son coeur a souvent déposé sa couronne aux pieds de la beauté qui savait l’enflammer. Tout empereur qu’il soit, c’est un homme et rien de plus »

Marie se rendit enfin : « Et bien ! Faites de moi ce que vous voulez…Disposez de moi, faites arranger la consommation du sacrifice auquel vous m’avez tous condamnée, mais n’exigez pas que je trace un seul mot que je dise une seule parole à ce sujet » Une fois Madame de Vauban sortie, Marie, enfin seule, pensa qu’elle pouvait obtenir de Napoléon, en acceptant une entrevue secrète, estime, amitié, confiance. Oserait-il exiger autre chose « d’une femme qui veut rester pure et n’a pas d’amour à lui donner…mais beaucoup d’admiration, d’enthousiasme, d’amitié. » Elle se berçait d’illusions. Cela rendait peut-être l’heure moins pénible mais elle fut rappelée à la réalité par ceux qui la poussait dans le lit de Napoléon. « « Ce soir on vous remettra à votre destination pour remplir une mission bien importante de laquelle dépend le salut de votre patrie, ne l’oubliez pas. » (merci à Patrick Germain pour cette quatrième partie)