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Albert de Saxe-Cobourg-Gotha était le prince charmant par excellence. Jeune homme, il avait l’allure du héros magnifié par les contes de fées, celui qui terrasse le dragon et dont la princesse tombe éperdument amoureuse. D’ailleurs, la reine Victoria aimait tout particulièrement le portrait qui fut offert à son mari pour ses vingt-cinq printemps, le 24 mai 1844. Robert Thorburn avait représenté Albert en héros médiéval, d’une beauté lumineuse contrastant avec le côté sombre de son armure. C’est cet Albert là, dans tout l’éclat de sa jeunesse, que Victoria vénéra jusqu’à la fin de sa vie, parfois aux confins de la folie…

Comme dans les contes de fées, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Neuf héritiers, cinq princesses et quatre princes qui, extraordinairement, parvinrent tous à l’âge adulte, à une époque où l’ombre de la mort planait sur tous les enfants, quel que fut leur rang social. Les grossesses à répétition invalidaient la reine. De nos jours, les princesses remplissent leurs fonctions pratiquement jusqu’à terme, et quittent la maternité le jour même ou le lendemain de l’accouchement. Au XIXe siècle, les femmes étaient confinées par leurs grossesses, et les relevailles étaient souvent longues. Dès lors, le prince Albert assumait, avec rigueur et un sens du devoir que l’on ne peut lui dénier, la plupart des tâches qui, constitutionnellement, revenaient à son épouse. Et si le prince n’était pas roi, ni de fait ni de droit, il en remplissait les fonctions et la reine Victoria, pourtant si jalouse de ses prérogatives, était finalement très heureuse de voir son époux la décharger d’une bonne partie de ses responsabilités.

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Albert par Winterhalter

Winterhalter, le peintre favori des têtes couronnées, le représente ci-dessus en quasi-monarque, le regard fier et volontaire, tourné vers l’avenir. En 1842, Albert n’était pas encore à son zénith, mais de la Belgique au Portugal, en passant par les îles britanniques, le soleil des Saxe-Cobourg étendait ses rayons sur les monarchies européennes. L’obscure dynastie d’un petit État allemand était alors la puissance conquérante des trônes, aussi bien anciens que nouveaux.

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Albert en tenue de la jarretière

Mais c’est dans son costume de l’ordre de la Jarretière que le même Winterhalter a probablement fait ressortir le plus la royauté du prince au port altier. Le prince souffrit-il de ne pas être roi régnant, ou même roi consort ? Nul ne peut le dire. Son éducation protestante l’avait préparé à remplir son devoir, et le plus important était de soutenir son épouse. Progressiste et relativement libéral, Albert exerça son influence dans les domaines de l’éducation et des réformes sociales, ainsi qu’au niveau des arts. Aujourd’hui encore, son nom demeure associé à la première exposition universelle, qui eut lieu à Londres en 1851, sous le thème de l’industrie au niveau international. On était alors en pleine révolution industrielle. Le palais de cristal ou « Crystal Palace », à Hyde Park, fut une réalisation qui frappa les esprits.

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Crystal Palace

L’exposition universelle constitua l’apogée du prince Albert. Il était le bras droit de la reine, mais plus encore, l’homme sans lequel Victoria, et plus globalement la Monarchie, ne pouvait fonctionner correctement. De fait il cumulait, de son propre aveu, ainsi que l’énumère Helen Rappaport, les rôles de chef naturel de famille, de surintendant de la maison royale, de gestionnaire des affaires privées, d’unique conseiller et de confident en matière politique, de seul assistant dans les communications de la reine avec les membres du gouvernement, mais aussi de mari de la reine, de tuteur des enfants royaux, de secrétaire privé de la souveraine et son ministre permanent. Inévitablement, la dépendance de Victoria était totale et son conjoint était, à tous les égards, le véritable monarque derrière le trône.

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Albert voulait pleinement jouer son rôle, non par ambition personnelle, mais mû par un sens élevé du devoir. Ce dévouement qui était de l’abnégation dans l’oubli de soi-même se heurta à des réticences. Au fond, la classe politique méprisait le prince et le détestait en raison de l’ascendant qu’il exerçait sur la reine. Toujours prêts à le décrier, car il était « étranger », le gouvernement et la presse retombèrent dans leurs vieilles habitudes xénophobes quand, lorsqu’éclata la Guerre de Crimée (1854), le prince, soucieux de rompre l’insularité de la Grande-Bretagne, se mêla de politique étrangère. Ses ambitions et ses conseils furent mis en doute, et les rumeurs atteignirent un pic dans les profondeurs de l’absurdité quand on l’accusa d’être un espion à la solde de la Russie, et que l’on prétendit même qu’il allait être arrêté pour haute trahison et emprisonné à la Tour de Londres, comme sous les Tudors !

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Mais la loyauté du prince, à son épouse et au royaume, ne pouvait être prise en défaut. Même son vieil adversaire, Lord Palmerston, de retour au pouvoir en janvier 1855, fut bien forcé de reconnaître, à la fin de la guerre, la valeur d’Albert dans la promotion inlassable du prestige et des intérêts britanniques auprès des cours européennes, de même que l’action bénéfique de l’ascendant qu’il exerçait sur son épouse dans la conduite des affaires royales.

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Victoria, qui au milieu des années 1850 avait décidé que « les femmes ne sont pas faites pour gouverner », et qui était de plus en plus heureuse de se décharger de son travail sur les épaules de son mari, finit par lui concéder, à défaut du titre de roi, celui de prince consort en 1857. Cette récompense bien tardive couronnait les effort d’Albert au service de la Monarchie, pour laquelle il avait compromis sa santé, déjà bien fragile de nature… A suivre. (Merci à Actarus pour cette deuxième partie)