Aujourd’hui Musée Municipal Teien de Tokyo, le bâtiment situé dans l’arrondissement Minato, a été construit dans les années 30 pour la famille princière Asaka, dans un style Art déco, alors très en vogue en Europe, mais inconnu au Japon.

La construction du palais débute le 13 avril 1931 et dure deux ans. L’édifice est achevé le 30 avril 1933. Le bâtiment lui-même fait un peu plus de 2100 m2, ce que la simplicité architecturale extérieure dissimule d’abord à l’œil du visiteur. Il faut entrer et admirer les réalisations intérieures pour vraiment en prendre conscience. Qui plus est, très rare dans une construction japonaise, les balcons et terrasses représentent à eux seuls 246 m2. Ce qui pourrait déjà, en soi, faire un bel appartement !

La branche princière Asaka instaurée en 1906 par l’Empereur Meiji (le prince Yasuhiko est devenu le beau-fils de l’empereur Meiji en épousant sa 8ème fille – et 12ème enfant ! –, la princesse Nobuko), ne fait que suivre la tendance impériale de l’époque en revendiquant la construction d’un palais moderne, reposant sur les principes architecturaux occidentaux. Cette recherche de la modernité fait alors partie du pari du pays et de ses dirigeants afin de rivaliser avec les puissances coloniales occidentales – et éviter ainsi toute tentative de colonisation du pays.

Chaque branche impériale recréée après la restauration de Meiji a donc fait appel à des architectes et créateurs de différents horizons. Ainsi, par exemple, la résidence du prince Arisugawa, a été construite sur des plans réalisés par l’architecte anglais Josiah Conder.

Pour ce qui concerne le palais Asaka, si l’architecte était bien japonais (Gondō Yōkichi), quasiment toute la décoration intérieure a été réalisée par des artistes Art déco français de renom.

Au premier chef René Lalique (1860-1945) et Henri Rapin (1873-1939). Si Lalique n’est plus à présenter, Henri Rapin, n’est sans doute plus connu aujourd’hui que des spécialistes. Or, peintre et décorateur d’intérieur de réputation internationale, il est devenu conseiller esthétique de la Manufacture Nationale des Porcelaines de Sèvres en 1920 et, par suite, chargé de la planification et de la conception de plusieurs pavillons pour l’Exposition internationale des Arts Décoratifs de 1925.

Les autres artistes français impliqués dans la décoration du palais sont : Ivan-Léon Alexandre Blanchot (1868-1947), sculpteur et peintre ; Max Ingrand (1908-1969), peintre et maître verrier ; et Raymond Subes (1891-1970), ferronnier formé à l’école Boulle et à l’École Nationale des Arts Décoratifs.

Il est plus que probable que le prince Yasuhiko et la princesse Nobuko aient eu des contacts directs avec tout ces artistes lors de leur séjour en France en 1923-1925, période pendant laquelle, d’ailleurs, la princesse, elle-même férue d’art, prit des cours d’aquarelle auprès de Blanchot. Le couple princier ayant visité l’Exposition des Arts Décoratifs en 1925, avant leur retour au Japon, il se pourrait que ce soit à cette occasion qu’ils aient fait connaissance avec les autres artistes – s’ils ne les avaient pas déjà rencontré auparavant –, qui participaient tous à l’événement.

Pour revenir au palais lui-même, c’est dès la porte d’entrée que l’Art déco vous accueille, puisque la porte en verre et fer forgé est une réalisation de René Lalique lui-même.

La photo, ici prise de façon tout amateur, ne rend pas justice à la beauté de cet ouvrage en bas-relief. Les figures féminines que l’on entr’aperçoit ici sont, en réalité, de véritables sculptures qui surgissent de la surface de verre, comme naissant d’elle.

La plus grande attention a été apportée, dans le palais, non seulement aux œuvres réalisées par les maîtres français, mais aussi aux matériaux employés afin de mettre ces œuvres en valeur. Ainsi, la mosaïque réalisée au sol dans le hall d’entrée a été conçu avec des pierres importées, sur un concept de Ōga Takashi, architecte du bureau du ministère Impérial des constructions.

Lalique ne s’est pas seulement chargé de cette imposante porte d’entrée. Il a aussi réalisé les éclairages du salon et de la grande salle à manger – superbe pièce constituée en rotonde donnant sur l’un des côtés du magnifique parc. Dans cette pièce, il s’agit d’un grand rectangle en verre suspendu au centre du plafond, aux motifs d’ananas et de grenades. Des fruits hautement « exotiques » et rares pour l’époque, en particulier pour le Japon.

(Pour la petite histoire, au Japon, aujourd’hui encore, il est courant d’offrir des corbeilles de fruits exotiques pour de grandes occasions, car la plupart des fruits sont importés, et peuvent atteindre des prix défiants l’imagination d’un point de vue européen).

Pour le salon d’apparat, Lalique a choisi de réaliser un impressionnant « chandelier » dit « Bucarest » dont le dentelé de verre ne parvient pas, malgré tout, à cacher le poids de l’ensemble – qui doit bien tourner autour de la centaine de kilos.

Pour les autres artistes, les œuvres sont beaucoup plus nombreuses. Chaque pièce d’apparat du rez-de-chaussé est ainsi décorée – en tout ou partie –des portes en bronze sculpté de Max Ingrand, des peintures de Henri Rapin et/ou des murs en bas-relief de Ivan-Léon Blanchot. La plus belle réussite, en ce qui concerne ces bas-reliefs, est d’ailleurs due à un accident.

Les œuvres ayant été réalisée en France avant d’être envoyées par bateau au Japon, les bas-reliefs réalisés en béton par Blanchot pour la grande salle à manger ont mal vécu le voyage et se sont cassés avant d’arriver à bon port. Conscient de la valeur de ces œuvres pour le palais, le bureau Impérial s’est empressé de réaliser des moulages de ces bas-reliefs et de les recouvrir de feuilles d’argent – dans la plus pure tradition japonaise, pour le coup !

Il est assez évident que cette décision était un excellent choix, car le béton brut aurait eu beaucoup moins de prestance, pour le visiteur, que les murs d’argent qu’il est aujourd’hui à même d’admirer. Ces murs ainsi « personnalisés » se marient admirablement avec leur environnement et ajoutent une touche définitivement « impériale » à la salle.

Malheureusement, l’interdiction de prendre des photos à l’intérieur du musée m’a empêché de prendre davantage de clichés pour illustrer ce reportage. Il serait donc un peu laborieux de poursuivre sans fatiguer le lecteur. Je ne peux donc que recommander aux curieux d’aller voir eux-mêmes les magnifiques images disponibles sur le site du musée – le site est en anglais, mais très facile d’usage si l’on souhaite uniquement voir les photos. http://www.teien-art-museum.ne.jp/en/

J’en profite cependant, pour finir, par offrir quelques images du très beau parc – dont une partie est aujourd’hui inaccessible pour cause de rénovation – en espérant que cela donnera envie aux lecteurs de N&R de venir y faire un petit tour !

Cependant, ne vous précipitez pas, car le musée est, depuis le 10 avril, fermé au public et ne rouvrira ses portes qu’à la mi-novembre 2017. La raison en est la construction d’un ascenseur afin de rendre le musée plus accessible aux personnes handicapées ou ayant des difficultés physiques. (Merci à Olivier pour ce reportage à Tokyo. Demain : la famille princière Asaka)