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S’il fallait trouver un coupable aux souffrances de la Crète, ce serait sans doute la géographie. Les deux pièces commémoratives grecques en euros qui évoquent l’île rappellent ce tiraillement entre deux mondes aux intérêts trop souvent incompatibles.  La pièce d’ouverture a été frappée en 2013 pour célébrer le 100e anniversaire du rattachement de la Crète à la Grèce, reconnu internationalement en 1913. Cette décision faisait suite à une série de chassés-croisés parfois opaques et souvent illogiques entre les grandes puissances de cette période troublée.

L’un des derniers actes de cet épisode se passe après la guerre gréco-turque et le retrait de l’île de l’armée turque. Sur proposition des grandes puissances, le Prince Georges, fils du roi Georges Ier et de la Reine Olga de Grèce, est nommé gouverneur de la Crète en 1898. L’île vit en paix pendant plusieurs années. Mais en 1905 éclate une révolte contre le gouvernement du Prince Georges, accusant son entourage de corruption.

Cette révolte est menée par  Eleftherios Venizelos, parlementaire crétois puis ministre de la justice, que la Grèce a fait figurer sur ses pièces courantes de 50 c.

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Le Prince Georges doit se démettre de ses fonctions. Eleftherios Venizelos mène les négociations dans un premier temps pour l’indépendance de la Crète, puis pour un rattachement de la Crète à la Grèce, ce qui sera, comme énoncé, accepté par la communauté internationale en 1913.

La pièce représente un homme qui porte fièrement le drapeau grec et deux autres qui lèvent  le bras en signe de victoire. Elle représente aussi, et quelque part cela me gêne, la seule arme à feu de toutes les pièces en euros.

La Grèce va émettre fin 2016 une pièce relatant un autre événement de l’histoire de la Crète, plus ancien dans le temps : le drame du monastère d’Arkadi, parfois qualifié d’holocauste.

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Cela s’est passé en 1866, lors d’une des multiples tensions entre les autorités ottomanes et la résistance crétoise. La Crète à cette époque était gouvernée par Ismaïl Pacha, et c’est suite à une de ses interventions sur l’organisation des monastères qu’une insurrection avait eu lieu. Elle s’était poursuivie par une sorte d’état de siège, pendant lequel le monastère d’Arkadi avait recueilli un millier de personnes, dont des résistants et nombre de femmes et d’enfants, qui espéraient se mettre à l’abri des forces turques. Quand les pensionnaires du monastère se sont retrouvés petit à petit sans ressources et que les forces turques ont pénétré dans le monastère, les résistants, les femmes et les enfants s’étaient rassemblés autour du prêtre, l’higoumène Gabriel, dans la poudrière. Tous étaient apparemment d’accord pour que le prêtre mette le feu aux barils de poudre, préférant la mort à la reddition. Ce qui fut fait. Et ce fut l’holocauste.

Cet événement avait eu une portée internationale : Garibaldi et Victor Hugo entre autres s’étaient exprimés publiquement à ce sujet.

Le graphisme de la pièce de 2016 n’évoque pas ce drame : c’est une simple vue de l’église du monastère telle qu’elle a été reconstruite, une vue sereine qui a fait dire à certains collectionneurs qu’on pourrait confondre cette pièce grecque avec une pièce allemande…

Il y a eu bien évidemment des mouvements de foule, des décisions diplomatiques et des incidents dont c’est la population turque de l’île qui a fait les frais. Mais comme cette chronique a pour thème les pièces en euros, c’est forcément le point de vue grec qui est illustré… jusqu’à une éventuelle entrée de la Turquie dans l’Union européenne puis dans la zone euro. Si je suis encore de ce monde dans ce futur très lointain et de plus en plus hypothétique, je ne manquerai pas de comparer la manière dont les pièces grecques et turques interprètent et représentent l’histoire de la Crète. (Merci à Sedna pour cet article)