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Il aura fallu attendre quatorze ans depuis l’instauration de la monnaie unique pour que soit enfin frappée une pièce en euros qui a pour sujet le jeu d’échecs : elle représente un joueur, deux cases d’un échiquier et sept pièces du jeu.

La pièce est estonienne, elle sera mise en circulation début 2016 et elle commémore le 100e anniversaire de la naissance du joueur estonien, puis soviétique, Paul Kérès (1916-1975). Je trouve assez réussie la manière de représenter les pièces du jeu : quatre pièces d’une couleur (le pion, le fou, le cavalier et la dame) et, imbriquées tête-bêche entre elles, trois pièces de la même couleur que le fond (la dame, le cavalier et le fou). La croix du fou ici sert habilement d’indice de lecture.

La légende veut que le premier jeu d’échecs européen ait été offert à Charlemagne par Haroun al Rachid, Calife de Bagdad. Cela ne serait que légende, mais j’aurais beaucoup aimé y croire.

Par contre, il est exact que les échecs ont intéressé nombre de monarques, à commencer par Alphonse X le Sage qui a participé à l’élaboration d’un traité sur les échecs (Libro de Axedrez) au XIIIe siècle. Quand on se souvient qu’il a également contribué à la composition des sublimes Cantigas de Santa Maria, sans lesquelles la musique espagnole ne serait pas ce qu’elle est, on pourrait rêver d’avoir vécu sous un tel roi. Sa statue devant la Bibliothèque nationale à Madrid est représentée sur plusieurs timbres espagnols.

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En Orient, Tamerlan et Alexis Comnène jouaient aux échecs. En Occident, Philippe II d’Espagne et Charles V de France. Et aussi des femmes, comme Isabelle la Catholique (dont il se dit qu’elle n’est pas étrangère au développement des pouvoirs de la dame sur l’échiquier) et Anne d’Autriche. Et aussi des papes, comme Léon X (Jean de Médicis). Et bien entendu Napoléon.

Les échecs ont par ailleurs été une métaphore de la guerre froide : je me souviens que mon père, en 1972, faisait taire toute la famille quand on annonçait à la radio les nouvelles du tournoi entre Fischer et Spassky à Reykjavik. Ci-dessous le feuillet émis par l’Islande à l’occasion de ce véritable roman policier.

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Et les échecs sont évidemment une métaphore de l’existence. Quel joueur ne s’est jamais posé la question ? Quand il déplace une pièce sur l’échiquier, y a-t-il quelqu’un, quelque part, qui joue la même partie avec le sort des hommes, avec la ligne de l’histoire, avec les forces de la Terre, avec la trajectoire des étoiles ?

C’est à juste titre que les échecs sont considérés comme le roi des jeux et le jeu des rois. La culture échiquéenne, et ce n’est pas la moindre de ses vertus, fait prendre conscience de la loyauté de l’entourage qui accepte toutes les règles pour protéger le roi – toutes les règles, y compris celle de disparaître. Et subsidiairement, elle fait prendre conscience de la dangereuse faiblesse du roi sans la loyauté et l’efficacité de cet entourage.

On l’aura compris, j’aime les échecs. Comme la prochaine pièce en euros qui aura pour thème « les jeux » ne sera frappée qu’en 2020 par Malte, je suis presque tentée d’être enthousiaste devant cette pièce estonienne qui les met à l’honneur pour la première fois dans la zone euro. (Merci à Sedna pour cet article)