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C’est l’un de ces endroits où se pose de manière douloureuse la question du rapport entre génie et folie. Louis II de Bavière a lié Neuschwanstein à l’extravagance, à la démesure, aux légendes médiévales, à Richard Wagner, puis plus tard aux studios de Walt Disney et au tourisme bavarois. Et en tous cas à la démence et au désespoir.

Je commence par un bref rappel de la politique numismatique de l’Allemagne : depuis 2006, le pays frappe une pièce commémorative de 2 EUR par an dédiée au Land qui préside le Bundestag. La série a commencé en 2006 avec le Schleswig-Holstein qui a représenté la Holstentor à Lübeck, ci-dessous.

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Cette série se terminera en 2021 avec le Brandebourg qui représentera le palais Sanssouci de Frédéric II à Potsdam, mais le visuel n’est pas encore disponible. En 2012, c’était la Bavière qui présidait le Bundestag et elle avait choisi de représenter le château de Neuschwanstein, construit par Louis II, personnage fascinant s’il en est.

On se souvient de ses fiançailles rompues avec Sophie-Charlotte en Bavière, sœur de Sissi. De sa passion pour les légendes germaniques. De son admiration pour Louis XIV. De son amour pour Wagner, particulièrement de son opéra Lohengrin (avec la célèbre scène du cygne, à mettre en rapport avec le nom du château qui signifie littéralement « nouveau rocher du cygne »), et des dépenses qu’il a consenties pour construire Bayreuth. De sa probable homosexualité. De sa lutte contre la Prusse et Bismarck pour conserver l’indépendance de la Bavière. Du diagnostic d’aliénation mentale qui l’a frappé. Et finalement de sa mort en 1886, à l’âge de 41 ans, mort violente demeurée mystérieuse : noyade accidentelle, meurtre, tentative d’évasion de l’institution psychiatrique ?

Son successeur aurait dû être son frère Othon, mais lui aussi avait été déclaré aliéné mental et interné. La succession a donc été assurée par son oncle le Prince Luitpold de Bavière.

Pour ce qui est de la pièce qui représente son château, il est à noter un fait assez rare sur les pièces de cette série : le sujet est mis en scène dans un décor, en l’occurrence les Alpes bavaroises. Et ce décor montagneux, sur la pièce, c’est une simple ligne.

C’est un peu particulier sur une pièce allemande. Par exemple, sur la seconde pièce de cet article, on voit la Holstentor détourée, vierge de tout décor. C’est aussi le cas de presque tous les monuments de cette série de pièces, comme celle consacrée à l’église Saint-Michel d’Hildesheim (Basse-Saxe) en 2014 ou à l’église Saint-Paul de Francfort (Hesse) en 2015 : le bâtiment est mis en valeur par l’absence de décor, un parti pris esthétique différent de ce qui se passe sur la pièce qui nous occupe.

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Revenons en Bavière. Munich est certes un pôle économique dynamique et la bonne santé du tourisme bavarois peut compter sur des sensibilités très diverses : dans un registre festif, les Oktoberfesten ; dans un registre religieux, la passion d’Oberammergau ; dans un registre sportif, les sauts à ski de Garmich-Partenkirchen ; dans un registre morbide, la visite de Berchtesgaden, etc.

Mais la renommée de la Bavière doit encore beaucoup plus à Neuschwanstein (plus d’un million de visiteurs par an), et la frappe de cette pièce en 2012 était l’occasion rêvée de l’ancrer dans une réalité typiquement bavaroise.

Allons plus loin et imaginons la pièce sans la ligne de crête qui représente les montagnes : il y aurait eu un risque de confusion avec ce château de pacotille qu’on appelle « Château de la Belle-au-Bois-Dormant » quand on ignore qu’il existe en réalité – ou quand on trouve son nom trop difficile à prononcer.

Neuschwanstein appartient à la Bavière. J’ignore si les Ducs en Bavière et les Princes de Bavière s’intéressent aux pièces en euros. Mais si c’était le cas, je suis certaine qu’ils apprécieraient cette simple ligne de crête autant qu’ils apprécieraient le très beau rendu du château de leur parent. (Merci à Sedna pour cet article)