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Voici le 70ème article de la rubrique « Numismatique ». C’est à une pièce slovène de 2 c qu’est consacré ce billet : elle représente la Pierre des Princes, qui était le théâtre d’une curieuse cérémonie d’intronisation des Ducs de Carinthie. C’est en fait le chapiteau d’une colonne romaine exposé en Autriche.

Vers l’an 600 fut créé le premier État slave indépendant, la Carantanie, qui deviendra en 976 le Duché de Carinthie. La coutume voulait que l’intronisation du chef se fasse sur la Pierre des Princes, non loin de la capitale Maria Saal. Lors de cette intronisation, un paysan qui avait été choisi par la population s’asseyait sur la pierre. Il avait le droit de questionner publiquement le futur souverain sur son intégrité et de lui rappeler ses devoirs. Après s’être assuré de la valeur du prince, le paysan lui cédait sa place sur le trône. Ce rituel était la manifestation d’une forme de démocratie assez rare à l’époque pour être soulignée.

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Après cette cérémonie avaient lieu une messe en la cathédrale de Maria Saal puis une autre cérémonie sur un autre trône non loin de Klagenfurt.

Cette coutume est relatée pour la première fois au Xe siècle et elle s’est poursuivie jusqu’en 1414, lors de l’intronisation du Duc Ernest Ier d’Autriche. Il est intéressant de noter que, quand Ernest Ier s’est fait couronner Duc de Carinthie, il a pris le titre d’archiduc, ce qui fait de lui le premier Habsbourg à porter ce titre. Le Duché de Carinthie a survécu jusqu’à la fin de l’Empire austro-hongrois en 1918, et depuis lors la Carinthie est séparée entre l’Autriche et la Slovénie.

Ce qui se dit en français « Pierre des Princes » se dit en latin « sedes Karinthi ducatus » et en allemand « Fürstenstein », et cela nous donne le choix entre « duc » et « prince ». Ajoutons à cela le nom de la seconde pierre (ou trône) sur laquelle se terminait la cérémonie : « Herzogstuhl » en allemand et « Vojvodski stol » en slovène.

En 2006, quand la Slovénie a soumis à la Commission européenne son projet de pièce de 2 c, elle a déclenché un certain stress en Autriche. Une certaine aigreur aussi : Jörg Haider, alors gouverneur de Carinthie, a officiellement protesté contre cette décision de la Slovénie, estimant que la Pierre des Princes faisait partie du patrimoine historique autrichien. La Slovénie a maintenu son choix, la Commission ne l’en a pas empêchée, et la pièce slovène de 2 c a donc été frappée comme prévu.

Alors, siège, pierre, trône ? Prince, duc – voïvode ? Symbole carinthien, mais de quelle Carinthie ?

En tous cas : discorde austro-slovène.

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Et se repose la même question que pour la représentation des chevaux lipizzans ci-dessus sur la pièce slovène de 20 c, qui avait elle aussi créé un froid entre la Slovénie et l’Autriche – j’en avais parlé en juin 2015.

Cette région de l’Europe a été habitée par des quantités de peuples aux coutumes, musiques et cuisines très différentes, même si tous ces peuples faisaient partie du même Empire. Quel État a le droit d’en revendiquer l’héritage dans la configuration politique actuelle ? Plus d’un, c’est évident. Mais à mon sens, aucun État actuel n’a le droit d’en déposséder un autre. (Merci à Sedna pour cet article)