A l’occasion de la parution d’un ouvrage (en roumain) consacré au Palais royal de Bucarest, Noblesse et Royautés a rencontré son auteur Gabriel Badea-Päun, Docteur en Histoire de l’Art de la Sorbonne.

Noblesse et Royautés : Pouvez-vous nous évoquer les grandes dates de l’histoire du Palais royal de Bucarest de sa construction à nos jours en passant par l’incendie qui le ravagea et sa destruction lors de la guerre ?

Gabriel Badea-Päun : Le premier palais, une bâtisse plutôt modeste de style néoclassique russe, fut construit de 1812 à 1815 en tant que résidence de ville du boyard valaque Dinicu Golescu (photo ci-dessus). Comme ce dernier était lourdement endetté, la maison fut vendue deux ans après sa mort, en 1832, à l’Etat valaque pour devenir le siège de l’administration de la Principauté, alors vassale de l’Empire Ottoman.

 

Elevée au rang de Cour princière en 1837, sous le règne de l’Hospodar Alexandru Dimitrie Ghica, qui installa dans le grand salon de l’étage la Salle du Trône, elle fut le théâtre de toutes les grandes cérémonies jusqu’au début des années 1880. Cette première demeure, qui connut d’innombrables modifications de son plan entre 1882 et 1885, abrita les appartements privés du roi Carol I et de la reine Elisabeth, et subsista jusqu’en 1935, date à laquelle elle fut démolie.

Les décors avaient toutefois été démontés pour être remontés quatre ans plus tard dans la nouvelle aile construite sur ses fondations. Après la proclamation du Royaume le 14 mars 1881 et le couronnement de ses Souverains le 10 mai de la même année, fut prise la décision de construire un palais en adéquation avec le nouveau statut de la Roumanie qui fut inauguré le 10 mai 1885. Les plans, de style néo-Renaissance française, furent dessinés par Paul Gottereau, un architecte français établi à Bucarest et auteur d’autres bâtiments importants de la capitale, dont notamment de la Bibliothèque de la Fondation Roi Charles Ier, située en face du palais. L’aménagement intérieur fut conçu par le même Gottereau et le mobilier de la Salle du Trône réalisé par la maison parisienne Damon, Krieger & C°. Les jardins ont été aménagés par Wilhelm Knechtel, jardinier de l’empereur Maximilien du Mexique qui travailla pour la Cour royale de Roumanie dans les années 1890.

Ravagé par un incendie provoqué par un court-circuit électrique dans la nuit du 6 au 7 décembre 1926, le palais fut reconstruit entre 1928 et 1940 d’après les projets de l’architecte du Ministère des Domaines de l’Etat, Nicolae Nenciulescu, avec la contribution pour les aménagements intérieurs de l’architecte de la Cour, Arthur H. Lorenz.

Bombardé une première fois en avril par l’aviation américaine, puis une seconde fois le 23-26 août 1944 par l’aviation allemande qui voulait détruire la Salle du Trône du jeune roi Michel I qui avait courageusement décidé de rompre l’alliance avec l’Allemagne nazie, le palais fut ensuite reconstruit.

Après la chute de la monarchie, la partie centrale abrita le protocole de l’Etat communiste, tandis que les deux ailes latérales furent attribuées au Musée National d’Art nouvellement créé qui a ouvert dans les années 1950, avec des collections permanentes d’art ancien et moderne roumain complétée par une galerie d’art universel. Lourdement endommagé pendant les évènements de décembre 1989 et à nouveau restauré pendant plus d’une décennie, le palais est aujourd’hui, dans son intégralité, le siège du Musée National d’Art qui conserve le patrimoine artistique le plus riche du pays.

Noblesse et Royautés : Quels grands événements de la monarchie roumaine s’y sont déroulés ?

Gabriel Badea-Päun : Dans la Salle du Trône du palais royal avaient lieu toutes les grandes cérémonies de l’Etat, la Fête Nationale (le 10 Mai), les bals de la Cour pour le Nouvel An et à Pâques, l’accueil de souverains étrangers (ci-dessus lors de la venue de l’empereur François Joseph d’Autriche) .

Y furent célébrés les noces de la princesse Elisabeth avec le prince Georges de Grèce, futur roi Georges II, le 27 février 1921, les baptêmes du prince Mircea, le 20 mars 1913, du prince Michel, futur roi Michel I, le 11 mars 1922, ainsi que les funérailles du roi Carol I, de la reine Elisabeth et de la reine Marie.

Pendant la période de sa reconstruction, ces cérémonies ont été déplacées au palais de Cotroceni où le couple royal Ferdinand et Marie avait établi sa résidence après un bref passage dans le palais entre 1893 et 1895.

Noblesse et Royautés : Quels sont les rois et/ou reines qui y ont laissé la plus grande empreinte ?

Gabriel Badea-Päun : Malheureusement, les décors de l’intérieur du palais du temps du roi Carol I et de la reine Elisabeth ne nous sont connus que par des photographies. Aucune source ne permet de documenter la contribution exacte des Souverains dans leur réalisation, même s’il est évident qu’elle a dû être assez importante.

Les décors restaurés de leurs appartements privés ont existé jusqu’aux bombardements d’août 1944, ensuite les pièces de mobilier sauvées ont été déplacés dans des musées de province ou attribuées à d’autres institutions d’état et même de théâtres. Ils n’ont pas fait jusqu’à présent l’objet d’études.

En revanche, on est très bien renseigné sur la forme générale et les décors du palais des années ’30. La reine Marie s’y est fortement impliquée. Elle imposa à l’architecte Nenciulescu la forme extérieure, ainsi que la décoration de style néo-Adams de la Salle du Trône et de la Salle à manger, toutes deux soigneusement restaurés aujourd’hui. Le roi Carol II, à travers son architecte Lorenz, choisit pour la décoration des grands espaces dédiés au protocole d’Etat les plus importants artistes roumains et étrangers du moment, parmi ces derniers, on peut citer Jean Dupas (pour le salon de l’Argenterie) et Max Ingrand (pour la Salle de théâtre), deux artistes décorateurs alors au sommet de leur renommée, qui venaient de réaliser les décors des paquebots Normandie et Ile de France.

Noblesse et Royautés : Pouvez-vous nous parler de la Salle du Trône ?

Gabriel Badea-Päun : De la Salle du Trône avant 1881 on ne possède qu’une seule image, réalisée le 10 mai 1881, représentant la paire de Trônes qui avait également servi pendant le règne précèdent, 1859-1866, du prince Alexandre Ioan I Cuza et de la princesse Hélène.

La disposition de la Salle du Trône inaugurée le 10 mai 1885 a été réalisée d’après les projets de Gottereau, qui les a d’ailleurs montrés lors de l’Exposition Universelle de 1889. Du mobilier réalisé par la maison Damon, Krieger & C° subsistent les Trônes de style néo-byzantin utilisés entre 1885 et 1947, et conservé à présent séparément : celui du roi dans un petit musée de province consacré à la pomiculture et à la viticulture à Golesti, dans le manoir du même Dinicu Golescu qui fut le bâtisseur du premier palais, tandis qui celui de la reine se trouve dans les réserves du Musée National d’Histoire de Bucarest.

La Salle du Trône dans sa dernière version fut inaugurée le 1er janvier 1935 lors d’une cérémonie que Paul Morand, alors diplomate en poste dans la capitale roumaine, a décrite avec malice dans son livre Bucarest. Si les décors muraux et du plafond de style néo-Adams, ainsi que la fresque de la coupole surmontant l’abside du Trône ont été soigneusement restaurés dans les années 2000, aucune pièce du mobilier d’origine n’est à présent exposée.

Noblesse et Royautés : A quels documents avez-vous eu accès pour enrichir l’iconographie de cet ouvrage ?

Gabriel Badea-Päun : L’ouvrage s’appuie sur une minutieuse documentation entreprise aux Archives Nationales de Roumanie à Bucarest, dans le fonds du Ministère des Domaines de l’Etat qui gérait le bâtiment, ses réaménagements, les interventions des différents architectes et décorateurs, l’acquisition de meubles ou d’autres objets décoratifs. Cette documentation a été complétée par une riche iconographie provenant de la Bibliothèque de l’Académie roumaine, des Archives Nationales et de plusieurs collections particulières, dont la mienne.

Noblesse et Royautés : Vous avez présenté votre ouvrage lors de la Foire du Livre à Bucarest en novembre, quel a été l’accueil du public roumain ?

Gabriel Badea-Päun : En effet lors de mon très bref séjour à Bucarest, j’ai présenté l’ouvrage non seulement à la Foire du Livre Gaudeamus, le plus important évènement consacré au livre en Roumanie, mais aussi lors d’une longue conférence que j’ai donnée au Jockey Club local. L’accueil assez enthousiaste qui lui a été réservé m’a très agréablement surpris.