Il y a encore une quarantaine d’années, au centre de la ville d’Ekaterinbourg, dans la province de l’Oural, l’on remarquait à peine une maison bourgeoise aux murs jaune ocre devant laquelle certains passants se signaient discrètement : la maison Ipatiev.

Après avoir vécu sous les ors des nombreux et fastueux palais de l’immense empire et son écrasant protocole, cette modeste maison avait été, pendant quelques tragiques semaines, en effet, la dernière résidence la famille du dernier empereur de toutes les Russies. C’est là que, dans la nuit du 17 juillet 1918, il y aura 100 ans dans quelques jours, toute l’ex famille impériale de Russie avait été sauvagement assassinée.

Construite en 1897 par un ingénieur des mines dans le style russe traditionnel comme on en voit tant dans l’ancien empire, c’est en 1908 que cette maison est rachetée par un riche marchand du nom de Nicolas Ipatiev (photo 2).

La maison est vaste, elle mesure 30m de long par 18m de large et s’élève sur un seul étage couronné par un toit à hautes lucarnes tandis que ses façades sont ornées de lourdes corniches et rosaces (photo 3).

Elle comporte un vaste salon (photo 4), une grande salle à manger meublé dans le style bourgeois opulent de l’époque ( photo 5) et cinq chambres.

Chose rare, elle dispose en outre de tout le confort moderne de l’époque : l’électricité, le téléphone et même une salle de bains.

C’est le 27 avril 1918 que le destin de cette maison va basculer dans l’histoire quand, sur ordre du nouveau gouvernement bolchevik, Nicolas Ipatiev est contraint d’évacuer les lieux sous 48h, la maison étant réquisitionnée pour une durée limitée. Destinée à détenir l’ancienne famille impériale, elle est alors désignée sous le nom mystérieux de « maison à destination spéciale »

Aussitôt, la demeure est transformée en forteresse, entourée d’une haute palissade de bois parvenant jusqu’à la hauteur des fenêtres, elles-mêmes recouvertes de peinture blanche, afin que nul ne puisse ni voir, ni prendre des photos de ceux qui y seront détenus (photo 6).

Enfin, des mitrailleuses sont dissimulées sous les toits pour dissuader toute tentative d’enlèvement de la part des armées blanches restées fidèles à l’ancien empereur et placées sous le contrôle de l’amiral Koltchak et qui sont toujours menaçantes dans cette région de l’Oural (photo 7).

Trois jours plus tard, le 30 avril, celui qui n’est plus désormais que Nicolas Romanoff, arrivé par train de Tobolsk où il était détenu avec son épouse Alexandra et sa fille Marie (photo 8), est remis aux gardes rouges du soviet d’Ekaterinbourg. Ce n’est que le 23 mai, qu’ils sont rejoints par Olga, Tatiana, Anastasie et Alexis, retenu à Tobolsk par une violente crise d’hémophilie.

Seuls quatre serviteurs ont été autorisés à accompagner l’ancienne famille impériale : Anna Demidova, la femme de chambre de l’ex-impératrice, Evgeni Botkine, l’ancien médecin de l’empereur, Alexis Trupp, son valet de chambre et Ivan Kharitonov, le cuisinier de la cour (photo 9).

La maison Ipatiev est alors placée sous les ordres de Iacov Yourovski, membre du soviet de l’Oural et commissaire de justice éputé pour sa sévérité (photo 10). Ce dernier impose immédiatement des conditions de détention aux prisonniers particulièrement rigides.

Ces derniers sont consignés dans 4 pièces : le salon, la salle-à-manger et deux chambres, l’une pour Nicolas, Alexandra et Alexis, et la seconde pour les quatre filles (photo 11).

Ils vivent sous la surveillance d’un détachement de dix gardes rouges qui résident dans la maison-même et se tiennent en faction en permanence devant les pièces dont toutes les portes ont été supprimées pour empêcher toute intimité entre les prisonniers.Les geôliers multiplient les vexations, les humiliations et couvrent les murs d’inscriptions obscènes notamment à l’égard des quatre grandes-duchesses.

La nourriture préparée par les gardes rouges est particulièrement modeste. Les repas se limitent le plus souvent à un bouillon de viande, du lard cuit ou de la soupe au choux accompagnée de pain noir. Ils sont parfois agrémentés d’œufs frais que les religieuses du couvent de l’Ascension voisin viennent discrètement apporter aux prisonniers.

Enfermés dans leurs appartements toute la journée, ces derniers n’ont droit qu’à une promenade de vingt minutes par jour dans le modeste jardin qui complète la demeure.

Pour tromper l’angoisse, l’impératrice se réfugie dans la lecture de la Bible où elle trouve la force de résister, l’empereur reste pensif et rédige son journal. Les enfants impériaux jouent avec leurs chiens que, par bonheur, ils ont pu conserver :O rtino, le bouledogue français de Tatiana, Jemmy, le King Charles de Tatiana et Joy l’épagneul d’Alexis (photo 12).

Les journées s’écoulent marquées par la peur, l’incertitude et l’angoisse du destin qui attend les détenus. Un destin qui se dessine déjà dans le bureau de Yourovsky qui réfléchit secrètement quant à la meilleure manière d’exécuter les membres de l’ex famille impériale puisque telle est la mission qui lui a été confiée par le soviet de Moscou.

Trois solutions s’offrent à lui : soit les tuer dans leur chambre à coups de grenades, soit les tuer à coup de couteau pendant leur sommeil, soit organiser une fusillade de l’ensemble des prisonniers rassemblés. C’est cette dernière solution que Yourovsky va finalement choisir.

Début juillet, les préparatifs de cette macabre mission se mettent en place. Yourovsky commence d’abord par se préoccuper de ce qu’il fera des corps une fois tués. Il se rend dans la forêt de Koptiaki située à quinze kilomètres d’Ekaterinbourg afin de trouver un lieu discret pour pouvoir enterrer discrètement les cadavres.

Le 16 juillet au matin, il reçoit de Iakov Sverdlov,président du Comité exécutif central du Soviet de Petrograd( photo 13), l’ordre d’exécuter au plus vite toute la famille des Romanoff ainsi que ses domestiques.

Il décide alors d’organiser l’exécution le soir même,en pleine nuit par souci de discrétion et réunit aussitôt six gardes rouges dont il connait le zèle en leur déclarant : « Cette nuit, nous les tuons tous !Prévenez les gardes, dehors, de ne pas s’inquiéter s’ils entendent du bruit »

Au petit matin du 17 juillet, vers minuit et demi, un camion militaire arrive à la maison Ipatiev.  Ordre est donné au garde rouge qui le conduit de laisser son moteur tourner pour couvrir les détonations. Yourovski a prévu de rassembler les onze prisonniers dans une petite pièce inoccupée du sous-sol de la maison pour plus de facilité dans l’exécution de sa sinistre mission.

Il va ensuite réveiller le docteur Botkine, qui doit se charger de réveiller tous les autres prisonniers.

Vers 1h30 du matin, quand les Romanov et leurs quatre domestiques sont habillés, Yourovsky s’efforce de rassurer les prisonniers en leur disant qu’il faut se réfugier au sous-sol afin de se mettre à l’abri d’une possible attaque de la maison consécutive à la progression des armées blanches dirigées par l’amiral Koltchak autour de la ville. Mais rien ne peut dissiper l’angoisse des prisonniers qui ont dès lors compris que leur fin approche.

Le commissaire de justice les fait alors descendre un à un dans la petite pièce qu’il a choisie pour perpétrer son crime. En tête, Nicolas porte son fils qui ne peut plus marcher, puis viennent Alexandra, ses quatre filles et les quatre domestiques.

Comme l’attente se prolonge, on apporte deux chaises pour Nicolas, Alexandra et Alexis tandis que les grandes duchesses et les domestiques se tiennent debout derrière eux (photo 14).

 

Vers 2h, Yourovski accompagné de six gardes rouges lourdement armés fait brutalement irruption dans la pièce et dit à l’empereur la phrase laconique suivante : «Nicolas Alexandrovitch, vos parents et vos proches, dans le pays comme à l’étranger, ont tenté de vous libérer. Le Soviet des députés ouvriers de Moscou a pris la décision de vous fusiller ».

Aussitôt la fusillade commence. Violente et sauvage. Les gardes rouges tirent au pistolet à bout portant en rafale, partout et de manière désordonnée.

L’empereur s’effondre le premier, criblé de balles, puis le docteur Botkine, Trupp et Kharinotov. L’impératrice et Olga tentent de faire le signe de croix, mais tombent aussitôt. Le chaos est indescriptible. Une épaisse fumée envahit la pièce et l’odeur âcre de la poudre prend les gardes rouges à la gorge qui tirent avec d’autant plus de violence qu’ils ne voient plus rien et que les balles ricochent sur les murs (photo 15).

Au bout de quelques minutes, la fusillade cesse enfin et la fumée se dissipe. Alexis, encore en vie assis sur sa chaise, est abattu d’un coup de pistolet à bout portant dans la tempe par Yourovski lui-même. Deux des grandes duchesses, allongées au sol sont encore en vie, elles sont alors achevées à la baïonnette et à coups de crosse sur le visage par un garde rouge. (Merci à Néoclassique pour cette première partie)