Les innombrables touristes du monde entier qui viennent visiter l’immense palais baroque aux longues façades immaculées bleu et blanc et aux coupoles dorées de Tsarkoié-Sélo ignorent pour la plupart qu’à la gauche de l’imposante grille d’entrée, caché par les hautes frondaisons de l’immense parc, se trouve le palais Alexandre qui fut la dernière résidence du dernier tsar de Russie, l’empereur Nicolas II.

C’est en effet là que fuyant le cadre rigide de la cour et les intrigues de St Petersbourg, l’empereur Nicolas II et son épouse l’impératrice Alexandra avaient choisi d’abriter leur bonheur conjugal entourés de leurs cinq enfants qu’ils chérissaient, les quatre grandes duchesses Olga, Tatiana, Marie et Anastasie, et leur frère, le tsarévitch Alexis.

Ce superbe palais néoclassique, considéré comme le chef d’œuvre du grand architecte italien Quarenghi, avait été à l’origine offert par l’impératrice Catherine II à son petit-fils, le tsarévitch Alexandre, qui en 1801, allait monter sur le trône impérial sous le nom d’Alexandre 1er, à l’occasion de son mariage avec la princesse Louise-Augusta de Bade.

Le vaste édifice se présente sous la forme d’un long corps de logis à l’italienne aux façades jaune ocre rehaussées de blanc et flanqué de deux ailes en retour d’équerre couronnées de fronton triangulaire tandis le centre de l’édifice est précédé d’un péristyle à colonnade corinthienne donnant accès aux salons de réception. 

L’arrière de la demeure est flanqué en son centre d’un hémicycle coiffé d’une rotonde et ouvrant sur un immense parc à l’anglaise. Après la mort de l’empereur Alexandre 1er en, le palais fut utilisé comme résidence d’été par son frère, l’empereur Nicolas 1er et son épouse et par la suite de son fils, Alexandre II et son petit-fils, Alexandre III.

Ce n’est qu’à partir des tragiques évènements de 1905, annonciateurs de la révolution qui allait définitivement emporter le régime impérial en 1917, que Nicolas II et sa famille vinrent définitivement fixer leur résidence au palais Alexandre. Ils y trouvèrent le calme, la sérénité et surtout la discrétion qui leur permettait de cacher le terrible drame personnel qu’ils vivaient avec l’hémophilie du tsarévitch né quelques mois auparavant.

Pour remettre en état le palais inhabité depuis la mort d’Alexandre III, survenue en 1894, dès l’installation de Nicolas II d’importants travaux de transformation furent entrepris dans l’ensemble de l’édifice avec l’installation de l’électricité, de l’eau courante, du téléphone, d’un ascenseur mais surtout d’un chauffage central dans ce palais qui avait été initialement conçu comme un palais d’été. Cinq grands salons en enfilade donnaient sur le parc, l’aile de gauche abritait sur deux étages les appartements de la famille impériale tandis que celle de droite était essentiellement réservées aux domestiques

La décoration sobre et néoclassique des cinq grands salons de réception comportait de nombreux meubles français du XVIIIe provenant des achats qu’avait fait l’empereur Paul 1er lors de son séjour en France en 1782 et de mobilier Empire fut alors simplement discrètement complétée par quelques sièges dans le goût Louis XVI. Sur les cimaises figuraient les effigies en pied des tsars et tsarines de Russie dont l’immense portrait de Nicolas 1er à cheval par Franz Kruger ainsi que de grands et sombres tableaux de batailles de la fin du XIXe.

L’impératrice Alexandra fit notamment rajouter le grand portrait en pied exécuté en tapisserie des Gobelins figurant la reine Marie-Antoinette entourée de ses enfants par Vigée-Lebrun. Ce grand tableau lui avait été personnellement offert par le président Emile Loubet lors de la visite qu’il fit en Russie en 1902 car il connaissait la passion que l’impératrice avait pour l’infortunée reine de France.

Mais ce sont les appartements privés situés dans l’aile gauche du palais qui furent radicalement transformés selon le souhait de l’impératrice Alexandra. Loin du faste et de l’apparat du palais d’hiver de St Pétersbourg, cette dernière voulut y créer un décor intime, simple, confortable et bourgeois dans le goût Art Nouveau de l’époque que son frère le grand-duc Louis de Hesse avait largement contribué à promouvoir à Darmstadt . Elle fit appel au décorateur Feodor Meltzer alors en vogue à St Petersbourg. Ce dernier aménagea une suite de quinze pièces de petite taille réparties sur deux étages.

L’empereur Nicolas II disposait d’un cabinet de travail dont le bureau et les murs étaient encombrés d’une multitude de petits portraits de famille, d’un salon de réception où il recevait ses ministres et d’une salle de bain personnelle dans le goût mauresque.

Pour sa part, l’impératrice Alexandra s’était fait aménager un étonnant salon comportant une mezzanine et un mobilier d’acajou spécialement commandé à la maison Mapple de Londres tandis que le plafond était orné d’arabesques végétales.

Elle y passait de longues heures à faire sa correspondance au milieu de ses bouquets. Elle disposait également d’un salon de palissandre dont tout le mobilier était fait de ce bois et un dressing selon le goût anglais.

Mais la pièce préférée de la souveraine était un petit salon dont les murs et les sièges étaient tendus de tissu mauve couleur favorite de la tsarine. C’est là qu’elle se tenait le plus souvent, allongée sur une méridienne dans l’embrasure de la fenêtre en compagnie de ses enfants.

En outre, le couple impérial disposait d’une chambre dont les murs, les rideaux et les sièges étaient recouverts d’un tissu de chintz anglais orné de couronnes de fleurs. De leur côté, les enfants impériaux disposaient de leurs chambres, de leurs salons et de leur salle d’études, le tout meublé de manière très simple.

Seule la chambre de l’héritier du trône se distinguait par la présence d’une importante bibliothèque dont le fond à la façon d’un iconostase était recouvert d’une multitude d’icônes que la très fervente impératrice Alexandra avait fait venir de toute la Russie afin d’implorer la protection si ce n’est la guérison de son fils hémophile.

Enfin, le quartier des enfants était complété par une salle de jeux comportant une multitude de jouets variés. L’ensemble des appartements privés était ceinturé à l’extérieur par un large balcon-véranda en fer moulé donnant sur le par cet un immense étang.

C’est sur ce large balcon que l’empereur avait l’habitude de lire son courrier.

C’est au palais Alexandre que la famille impériale va vivre en cinq mois en état d’arrestation après l’abdication du tsar Nicolas II le 2 mars 1917. Elle y restera sous la garde de soldats leur imposant de multiples vexations jusqu’à son transfert pour Tobolsk le 31 juillet 1917. Quelques mois plus tard, le couple impérial, leurs enfants et quelques serviteurs dévoués partaient pour Ekaterinbourg où ils allaient tous être exécutés dans des conditions atroces le 17 juillet 1918. (Merci à Néoclassique pour cet article)

A suivre…