Les appartements privés de l’héritier du trône de Russie sont eux décorés dans le style éclectique qui est alors en vogue.  Leurs décors évoquent davantage l’appartement d’un bourgeois cossu de St Petersbourg que celui du futur empereur de toutes les Russies. Ainsi, sa bibliothèque est couverte de boiseries de chêne ciré néo-Renaissance ouvrant sur une mezzanine et meublée de hauts sièges tendus de cuir.

Ceux de la grande duchesse Maria Feodorovna, son épouse, sont aménagés dans le plus pur style de l’Angleterre victorienne de l’époque avec des murs et des sièges garnis de chintz anglais et des murs recouverts de tableaux et portraits de familles accrochés les uns contre les autres.

Le boudoir qui lui est contigu est la pièce préférée de la grande duchesse Maria Feodorovna. C’est dans cette pièce intime, dont les murs sont simplement  tapissés de gravures de chasse du français Carle Vernet, qu’elle prend le thé, ici en compagnie de sa fille la grande duchesse Olga.

 

Après la tragique disparition de son père, le tsar Alexandre II assassiné par les révolutionnaires en 1881, le grand-duc Alexandre Alexandrovitch devient empereur et prend le nom d’Alexandre III (1845-1894). Il choisit alors de délaisser l’imposant palais d’Hiver et de faire du palais Anitchkov sa résidence lorsqu’il séjourne à St Pétersbourg, l’édifice lui proposant à la fois plus d’intimité pour lui qui n’apprécie pas la vie de cour et surtout plus de sécurité.

C’est dans ce cadre que son fils, le nouveau grand duc héritier Nicolas Alexandrovitch, passera toute sa jeunesse. Mais cette période d’insouciance prend brutalement fin avec la mort prématurée de son père, l’empereur Alexandre III en 1894, à l’âge seulement de 49 ans.

Quelques semaines après, le grand deuil de la cour impériale est spécialement levé pour permettre le mariage du nouvel empereur. Et c’est du palais Anitchkov que part le carrosse de la jeune fiancée, Alix de Hesse-Darmstadt( 1872-1918)  convertie à l’orthodoxie sous le nom d’Alexandra Féodorovna, pour rejoindre la chapelle du palais d’Hiver où a lieu le mariage au cours d’une cérémonie où le protocole impérial a été réduit en raison des circonstances.

Très attachée à ce palais où elle a vécu tout son bonheur conjugal, l’impératrice Maria Feodorovna, ici représentée, portant une robe de cour à la russe et une tiare en forme de kokochnik sur un portrait de 1912 et qui devient dès lors « l’impératrice douairière », choisit de rester habiter au palais Anitchkov, où elle accueille ses cinq enfants.

Au tout début du XXe siècle, selon la mode de l’époque, le palais est repeint en rouge brique comme le palais d’Hiver.

Quelques mois avant la première guerre qui va emporter le régime impérial, le palais Anitchkov est l’occasion d’une dernière et brillante réunion familiale. Le 22 février 1914, l’impératrice douairière marie dans la chapelle du palais décorée par Quarenghi sa petite-fille, la princesse Irina Alexandrovna de Russie, fille du grand-duc Alexandre époux de sa fille aînée, la grande duchesse Xénia Alexandrovna, avec le prince Félix Félixovitch Yousssoupoff.

Le couple qu’ils forment est alors unanimement salué pour sa beauté.  Agée de 19 ans, la princesse Irina est considérée comme l’une des plus belles princesses d’Europe. Quant au prince Félix, qui s’illustrera deux ans plus tard en assassinant Raspoutine, il est non seulement un des plus séduisants princes d’Europe mais également le plus riche héritier de l’empire, sa fortune dépassant même, dit-on, celle de l’empereur.

Au moment où, en février 1917, éclatent les évènements qui vont aboutir à l’abdication de l’empereur Nicolas II et à la prise du pouvoir par les bolchéviques, l’impératrice douairière est en Crimée et parviendra, grâce à l’intervention de sa sœur, la reine Alexandra, épouse de Edouard VII,roi d’Angleterre, à fuir la Russie pour gagner le Danemark où elle s’éteindra en 1928.

La chapelle du palais est alors détruite par les bolchéviques, tout le mobilier est dispersé et l’édifice est alors affecté au ministère de l’Approvisionnement du gouvernement provisoire avant de devenir un des musées de la ville. Les bolchéviques vont trouver dans les appartements de l’impératrice douairière les nombreux bijoux qu’elle y a laissés. Parmi eux, cet exceptionnel cabochon de saphir d’un poids total de 260 carats entouré de 18 diamants totalisant 50 carats.

En 1934, le palais Anitchkov devient le palais des jeunes pionniers de la Révolution et accueillera dès lors des milliers d’enfants. Depuis 1991, le palais, qui est fermé à la visite, a été réaffecté à la ville de St Pétersbourg qui loue occasionnellement ses salons pour des réceptions.

Cette dernière s’est efforcée au cours des dernières années de restituer pour partie les décors muraux tendus de damas du temps de l’impératrice douairière Maria Fedorovna.

En haut de l’escalier aux imposantes colonnes monolithes en marbre de Finlande,

l’ancien salon néo-Louis XVI de l’impératrice douairière tendu de damas rouge

ou l’ancienne chambre Empire de la grande duchesse héritière Alexandra Feodorovna.

ou les élégantes colonnes néoclassiques de l’ancienne chancellerie impériale ne sont certes, plus que de somptueuses coquilles vides mais elles permettent toujours d’évoquer les grandes heures de cet ancien petit palais impérial qui abrita plusieurs générations d’héritiers de l’empire de Russie. (Merci à Néoclassique pour cet article)