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Le 20 novembre est paru le dernier livre de l’historienne Caroline Kurhan intitulé « Princes et princesses du Nil ». L’ouvrage constitue une galerie exhaustive de tableaux des membres de la dynastie de Méhémet Ali qui règne sur l’Égypte pendant plus de cent-cinquante ans, de 1805 à 1952. L’auteur s’appuie sur des récits de voyageurs, des écrits de contemporains et sur les journaux de l’époque.

Loin d’être une simple série de notices biographiques, le livre mêle grande et petite histoire, laissant ainsi apparaître au lecteur les éclats d’une véritable saga familiale. On y rencontre des princes et des princesses hauts en couleur, à l’esprit éclairé et au destin fascinant mais aussi pour certains d’entre eux compromis dans des scandales ou des drames familiaux que la postérité a préféré garder sous silence et que Caroline Kurhan remet à la lumière du jour pour dépeindre, sans fard et dans un grand souci d’objectivité, les membres régnants ou non régnants de la « Descendance d’Ali ».

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Le livre s’ouvre sur la figure de Méhémet Ali (1769-1849), fondateur de la dynastie et surnommé le Napoléon de l’Orient. C’est dans un contexte de lutte contre les armées de Bonaparte en Égypte que Méhémet Ali, originaire de Turquie, s’empare du pouvoir. Doté d’une grande intelligence, il pose les bases de l’Égypte moderne. Méhémet Ali et ses descendants règnent en tant que pacha (gouverneur semi-indépendant) jusqu’en 1867, date à laquelle le sultan de l’empire Ottoman accorde le titre de khédive (seigneur) à Ismaïl pacha et à ses successeurs. En 1914, alors que le pouvoir est désormais tenu par les Britanniques, Hussein Kamal prend le titre de sultan, se démarquant ainsi du pouvoir Ottoman.

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A la suite de la déclaration d’Indépendance de l’Égypte en 1922, le sultan Fouad échange son titre de sultan contre le titre de roi d’Égypte, du Soudan, du Darfour et du Kordofan et devient le roi Fouad Ier. Son fils, le roi Farouk Ier est le dernier roi d’Égypte. Le mouvement des Officiers libres destitue le roi en 1952 et fait proclamer la République l’année suivante, contraignant la famille royale à l’exil.

A côté de ces seigneurs, sultans et rois dont Caroline Kurhan présente et analyse la psychologie et les faits politiques, une place non négligeable est accordée à leurs sœurs, épouses ou filles. Ces princesses du Nil, parfois moins bien connues que les princes, n’en sont pas moins dotées de personnalités hors du commun. Évoquons la brillante mais redoutable Nazle hanem, fille de Méhémet Ali qui, dit-on, aurait fait assassiner chacun de ses innombrables amants au sortir du lit, la ravissante princesse Chokret, épouse du khédive Ismaïl pacha, aux « très grands yeux bleus baignés d’un fluide amoureux » et aux « lèvres […] purpurines et voluptueuses » ou encore la sultane Melek, épouse du sultan Hussein Kamal, qui accueille seule, armée d’un fusil, dans son palais d’Heliopolis après le coup d’État de 1952 une foule de fonctionnaires venus emporter meubles et objets au nom du peuple.

Le lecteur découvre également dans cet ouvrage la passion des princes d’Égypte pour les cultures occidentales et les liens très forts qu’ils entretiennent avec les pays d’Europe, en particulier la France. L’époque allant du règne de Méhémet Ali à celui d’ Ismaïl pacha correspond à un âge d’or des relations diplomatiques entre l’Égypte et la France. Les khédives entretiennent d’étroites relations avec les Tuileries. Le roi Charles X reçoit en cadeau la fameuse girafe qu’il installe au Jardin des Plantes en 1826, et Louis-Philippe se voit offrir l’obélisque de Louxor en 1836 ainsi que des chevaux arabes. En 1869, l’inauguration du canal du Suez donne lieu à de fastueuses réceptions auxquelles l’impératrice Eugénie est l’invitée d’honneur. Ismaïl pacha « haussmannise » Le Caire en construisant hôtels, villas et théâtres et, lorsqu’il se déplace, des postillons portent une livrée identique à celle des officiers du service de poste de Napoléon III. Plus que de simples relations diplomatiques, les princes du Nil ont véritablement le goût de la France. Le français fait partie autant que l’arabe ou le turc dans le programme d’apprentissage des langues à la cour et les princes vont parfaire leur éducation à Paris.

Abondamment illustré de reproductions des portraits des princes et citant constamment les textes sources, ce livre fourmille de renseignements inédits tant sur les plans politique et culturel de l’Égypte royale que sur la vie intime et quotidienne de l’une des plus grandes dynasties d’Orient.

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Caroline Kurhan a vécu plus de quinze ans en Égypte où elle a notamment dirigé le département Patrimoine culturel de l’Université Senghor d’Alexandrie. Elle est également l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’Égypte dont Princesses d’Egypte (2009), Une saga égyptienne (2010), Le roi Farouk, un destin foudroyé (2013).

L’ouvrage est préfacé par Xavier Dufestel, expert-près-les commissaires priseurs, spécialiste de la famille d’Orléans et des souvenirs historiques des familles royales. (Merci à Alexandre Cousin pour cet article)

Princes et princesses du Nil, Caroline Kurhan, Paris, Éditions Riveneuve, 2014, 206 p. 18€.