Le peintre Goya a réalisé en 1800 un magnifique tableau représentant la famille de Charles IV. Au centre de ce tableau figure le Roi et la Reine Marie Louise, tenant par la main leur dernier enfant, âgé de six ans, vêtu d’un ensemble en velours rouge, décoré comme il se doit du cordon bleu et blanc de l’Ordre royal et distingué de Charles III. Ce jeune garçon est l’Infant François de Bourbon. Pris dans la tourmente des évènements du XIXème siècle, son histoire n’est connue souvent qu’à travers les adversaires de ses parents ou de ses frères. Jul nous propose aujourd’hui aux lecteurs de Noblesse et Royautés d’autres informations permettant de comprendre sa vie.

Charles, Ferdinand, Marie Josèphe, Antoinette, Elisabeth, Marie Louise, François, Charles IV, Antoine, Marie, Louis, Louise tenant le petit Charles.

L’Infant d’Espagne est né au Palais royal de Madrid le 10 Mars 1794, quatorzième enfant et huitième fils de Charles de Bourbon (1748-1819), Roi d’Espagne depuis six ans et de son épouse et cousine germaine, Marie Louise de Bourbon, Princesse de Parme et Plaisance, Infante d’Espagne (1751-1819).

Il n’a pas connu ses grands-pères, lesquels étaient frères, Charles III Roi d’Espagne (1716-1788) et l’Infant-Duc Philippe (1720-1765), ni ses grands-mères Amélie de Saxe (1724-1760) et Madame Infante (1727-1759), fille aînée de Louis XV. L’Infant François est par conséquent le dernier arrière-petit-enfant du roi Louis XV.

L’Infant d’Espagne fut baptisé le soir même par le Très-révérend Patriarche des Indes, Evêque d’Avila et Chapelain du Roi, Antoine de Sentmenat, en présence de la Cour. Il fut tenu sur les fonts et nommé par son oncle-beau-frère l’Infant Antoine (1755-1817) « l’Oncle docteur » de la famille, passionné par les sciences et notamment la chimie, qui possédait un laboratoire où il menait des expériences pharmaceutiques.

Le Roi demanda à ses fidèles sujets de rendre grâce à Dieu par des prières et la lecture des Psaumes dans toutes les églises, chapelles et oratoires de ses Etats. Le prénom François de Paule était particulièrement cher au Roi qui l’avait donné à sept de ses huit fils mais jamais en première position. On peut aisément imaginer que ce Calabrais du XVème siècle (1416-1507), qui fut l’un des plus jeunes ermites (14 ans) et fondateur d’ordre religieux (19 ans) –les Minimes- devenu le conseiller spirituel des Rois de France Louis XI, Charles VIII et Louis XII, dont le nom fut donné à François Ier, était très aimé par Charles IV.

Il décora son benjamin de la Toison d’Or et de le fit Chevalier de l’Ordre de Charles III. Il lui fit cadeau de la Commanderie de Medina de las Torres (dans l’Ordre de Saint-Jacques) située en Estrémadure près de Badajoz auquel il ajouta 72 000 réaux annuels de pension alimentaire.

Au moment de sa naissance, l’homme fort du royaume était Manuel de Godoy (1767-1851), Gentilhomme garde du corps qui connut une rapide ascension grâce à la faveur du Roi Charles IV et de la Reine Marie Louise et surtout aux graves événements. Ils étaient alors Princes des Asturies et cherchaient un homme de confiance, face à l’entourage du Roi Charles III. Ce dernier mourut en 1789 mais Godoy ne fut nommé Aide-de-camp du nouveau Roi et Gentilhomme de la Cour qu’en 1791. La proclamation de la République en France et l’emprisonnement du Roi Louis XVI, leur cousin germain, faisaient craindre le pire à Charles IV et Marie Louise. Plus que jamais, ils avaient besoin de conserver la fidélité d’hommes qui leur devraient tout, de la trempe de Godoy, dont le sens politique et le courage devenaient toujours plus précieux. Le Roi d’Espagne recherchait la stabilité, que son cousin Louis XVI n’avait pas pu obtenir, et accéléra l’élévation de Godoy. Charles IV fit de lui son Secrétaire d’Etat en 1792 (Président du gouvernement) et le créa Duc d’Alcudia la même année, du nom des grands pâturages pour les troupeaux en transhumance dans la Province de Ciudad Real qu’il lui avait offerts. Il lui décerna la Toison d’Or en 1793.

A la tête du gouvernement, Godoy réussit à conserver pendant quinze années difficiles l’indépendance des Etats de son maître, ce qui n’était pas rien.

Des mauvaises langues de la Cour, aigries contre leurs souverains de la faveur qu’ils avaient accordée à leur homme de confiance, ou des libertins voulant salir de leur turpitudes la réputation des monarques, comme nous l’avons connu aussi en France au temps de Marie Antoinette, attribuèrent la paternité de l’enfant à celui qui sera titré Prince de la Paix en 1795. Le prestige de son « seul ami » culmina en 1797 quand le Roi lui donna en mariage sa propre cousine Marie Thérèse de Bourbon, Marquise de Boadilla del Monte.

Ces calomnies poursuivaient un objectif politique car on comprend bien qu’elles servaient les intérêts des ennemis de ces Princes pour jeter le discrédit sur les Bourbons. L’ambiance familiale était tendue en raison de la mésentente de plusieurs de ses membres avec Godoy.

Esquisse de Goya représentant l’Infant.

François grandit dans une famille nombreuse décimée hélas par la mortalité infantile. Il n’a pas connu cinq de ses frères et une sœur qui mourut à l’âge de trois ans en novembre de cette même année 1794.

Charlotte, sa sœur aînée, avait dix-neuf ans au moment de la naissance de son petit frère, était établie depuis neuf ans déjà au Portugal. Elle avait été mariée à l’héritier du trône le Prince de Brésil et lui avait donné une fille l’année précédant la naissance de son frère François ! Une nièce plus âgée dont il fera la connaissance quand elle viendra s’installer en Espagne avec son fils qui était en même temps Infant d’Espagne et de Portugal.

Venaient ensuite Marie, née en 1779 et Louise, née en 1782 (dite Louisette) : La première était décrite comme timide et de santé délicate tandis que la seconde était plus vive, gracieuse et spirituelle. En 1795, elles furent données en mariage le même jour au Château de La Granja de San Ildefonso à leur oncle l’Infant Antoine et à leur cousin l’Infant Louis, héritier du trône de Parme, premier arrière-petit-fils de Louis XV. Ces unions consanguines leur permirent de demeurer auprès de leur famille bien aimée et elles furent représentées sur le tableau de Goya avec leur époux, à droite du tableau. Hélas la première mourut en mettant au monde un fils en juillet 1798, François n’avait alors que quatre ans.

Isabelle, née en 1789, (appelée Elisabeth en famille) que la Reine tient affectueusement contre elle sur le tableau de Goya, sera envoyée à Naples, pour épouser son cousin, le Duc de Calabre. Deux frères : Ferdinand, Prince des Asturies et Charles sont représentés sur la gauche du tableau, devant leur tante l’Infante Marie Josèphe, sœur aînée du roi demeurée célibataire un peu comme Mesdames de France.

La période était troublée par la Révolution française et l’expansionnisme de la jeune République en Italie. Le petit Infant apprit que le cousin germain de son père et également de sa mère le Roi Louis XVI et la Reine Marie Antoinette, avaient été exécutés un an avant sa naissance tandis que Madame Elisabeth périt sur l’échafaud en 1794. Plusieurs milliers de Français avaient subi le même sort lors de la Terreur. Violences qui devaient frapper l’imaginaire d’un jeune Bourbon !

Au début du XIXème siècle, le Roi Charles IV était occupé à une affaire qui lui tenait à cœur : réformer et adapter les méthodes d’enseignement de ses Etats afin de les rendre plus rigoureuses, efficaces et conformes à ses idéaux. Il fit écrire à tous ses ambassadeurs pour qu’ils lui communiquent les réalisations dans ce domaine des autres Etats européens. Charles IV s’intéressa à la méthode élaborée en Suisse par le pédagogue zurichois Jean Henri Pestalozzi (1746-1827).

Les principes et pratiques de Pestalozzi qui avaient séduit le roi étaient les suivants : choisir des enseignants aimant les enfants, bienveillants à leur égard (ce qui n’était pas évident à l’époque…), développer les facultés des élèves sans précipitation, donner du sens aux mots, décrire et définir précisément ; observer la nature en plein air ; forger la discipline, l’aisance et la liberté par la gymnastique. Pestalozzi pensait que la fonction féminine dans l’enseignement élémentaire du peuple et l’enseignement fait dans la famille à la maison pour le consolider étaient meilleurs que tout. Il était hostile à une intervention extérieure à la maison trop précoce et préconisait des classes de niveaux et non d’âges.

Charles IV donna des ordres et mobilisa d’importantes sommes pour fonder un Institut pestalozzien à Madrid, à l’image de celui d’Yverdon. M. Pestalozzi envoya deux de ses élèves MM. Studer et Smeller. Cent élèves, choisis dans la noblesse, la bourgeoisie et la paysannerie, de cinq à seize ans furent admis à l’Institut. Le Roi ordonna que quatre-vingt hommes instruits y soient également reçus pour se former à cette méthode pédagogique nouvelle et pouvoir ensuite améliorer les autres écoles du royaume.

En 1807, le Roi Charles IV confia la direction de l’Institut à François Amoros, et le nomma gouverneur de son fils benjamin. Il lui demanda de choisir pour lui plusieurs camarades de familles méritantes, qui furent des fils de militaires majoritairement. C’est la première fois qu’on voyait en Espagne un fils du Roi éduqué avec les fils du peuple. En plus des habituels exercices d’escrime et d’équitation, L’Infant François fit donc de nombreuses heures de gymnastique et de natation.

Cette méthode éducative rencontra des résistances, mais l’examen de l’Infant François émerveilla ses parents, ses frères, son oncle-beau-frère et sa tante Marie Josèphe. Le Roi créa les jeunes gens qui accompagnaient l’Infant dans ses exercices sous-lieutenants de l’armée espagnole tandis que leur professeur, le Capitaine Voitel, fut promu lieutenant-colonel.

Charles IV continua à préparer l’établissement de ses fils Charles et François, qui n’étaient pas ses successeurs directs. Tandis que Charles était fait Grand-Commandeur de l’Ordre de St-Jacques en Léon et Grand Commandeur de l’Ordre de Calatrava en Castille en 1802, François était fait Grand-Commandeur de l’Ordre de Montesa en 1802 et Grand-Commandeur de l’Ordre de St-Jacques en Aragon en 1809. Pour atteindre des revenus appropriés à son rang d’Infant, le Roi ajouta encore dix- neuf commanderies à son portefeuille.

Lors du Chapitre de l’Ordre de St-Jacques qui se tint en la Chapelle royale du Château d’Aranjuez le 26 Avril 1802, les deux fils cadets du Roi avaient été reçus Chevaliers et ils en portaient désormais la croix brodée sur leur habit.

En 1808, le Roi Charles IV fut détrôné par Napoléon Ier et il dut partir avec sa famille dans leur pays d’origine, la France.

L’Infant François, âgé de treize ans, s’était retrouvé à l’origine du soulèvement populaire, de la Guerre d’indépendance et de la résistance à l’occupant français. Au matin du 2 Mai, il fut conduit en larmes avec sa sœur Louise et les enfants de celle-ci dans un carrosse pour être expulsés vers Bayonne où ils devaient rejoindre les autres membres de leur famille, suscita l’indignation du peuple madrilène qui y vit une nouvelle marque de l’arbitraire napoléonien.

Les trois années passées en France furent sûrement très marquantes pour l’Infant. Son père avait pu s’occuper davantage de lui. Il était devenu plus accessible à mesure que leur Cour se resserrait à leurs derniers fidèles (une suite de deux cents personnes) et qu’il n’avait plus aucune obligation politique.

Laurent Lautard nous décrit merveilleusement la vie quotidienne et la personnalité attachante de Charles IV durant son séjour à Marseille. On se rend compte à la lecture de cette touchante description, que les vertus de ce Roi auront une grande influence sur le comportement de son fils dernier né.

Charles IV fut « accueilli avec amour, à son entrée sur le territoire de Marseille, on entendit même quelques cris de Vive le Roi, dont le double sens fut compris avec joie par les habitants, avec humeur par la police. La surveillance d’un hôte comme Charles IV exigeait sa résidence à Marseille même. (…) Plusieurs maisons spacieuses furent visitées (…). Il fallait voir pourtant avec quelle risible suffisance, certains propriétaires vantaient ce qu’ils appelaient leurs hôtels, leurs ameublements, leurs dépendances, et avec quelles dédaigneuse ironie, le ci-devant premier ministre [M. le Prince de La Paix] écoutait tout cela. (…)

Faute de mieux on s’arrêta à trois grandes maisons contiguës, dans un beau quartier ; et on y pratiqua des communications ; on les meubla aussi bien que mal. Vraiment, il n’y avait rien de royal ni à l’extérieur ni à l’intérieur (…). Ces dispositions terminées, on fixa leur jour de la prise de possession (18 octobre 1808).

Le spectacle d’un vieux monarque traîné de ville en ville sur une terre étrangère, la renommée d’un attentat à la Majesté souveraine dont il n’y avait point d’exemple, les noms des victimes, les dispositions bourboniennes des Français méridionaux, tout imprima sur cette journée un caractère sublime et touchant. Figurez-vous une population presque entière, agitée de je ne sais quel mélange de peine et de joie, un silence profond, mais des regards qui semblaient dire : Sire, prenez courage. Vous arrivez chez un peuple ami de votre race, il adoucira votre exil.

Le Roi apparaissait inquiet, la goutte le tourmentait et de tous ses ennemis, la goutte était le plus cruel à ses yeux. (…) La violence de sa chute, l’avait fortement secoué, mais la perspective de la vie privée et la compatissante nature avait déjà mis du baume sur sa blessure lorsqu’il arriva.(…) L’attendrissement fut extrême parmi les spectateurs de la Rue Mazade, quand on vit l’auguste arrivant porté dans ses appartements sur les bras de ses valets de pied.

Dans les traits de la Reine, plus fière, plus égale et plus maîtresse d’elle-même, on remarquait cette espèce d’affabilité réservée qui craint d’aller trop loin. Sa mise était soignée, Charles n’y avait pas songé. Le jeune Infant François et son gouverneur occupaient le second carrosse, attelé comme le premier, de six belles mules espagnoles et pareillement chargées d’une nombreuse livrée. Les grands et les principaux officiers venaient à la suite.

Le rétablissement de l’illustre habitant de la Rue Mazade fut prompt, grâce à la force de sa constitution et à la tournure de son esprit. Bientôt sa maison prit une marche régulière. Levé de grand matin, le roi demandait aussitôt son chocolat et il en prenait double ou triple dose. Après la messe, il sortait, accompagné du Prince de la Paix, qui ne le quittait jamais et de deux domestiques sans livrée, suivant de fort loin. Il faisait presque tous les jours une longue promenade à pied dans les rues de Marseille. Les quartiers escarpés et populeux de la vieille ville étaient ses quartiers de prédilection. On aimait à le voir, un simple bambou à la main, gravir d’un pas ferme et hâté ces hauteurs presque inaccessibles. Que d’aumônes répandues dans ces courses du matin ! Que de bénédictions recueillies sur son passage. Il se plaisait surtout à n’être pas reconnu. Se trouvant un jour fatigué par une longue montée, il aperçoit une vieille chaise, placée devant une porte de pauvre apparence ; il court s’y asseoir. La maîtresse, sans se douter qu’elle est en présence de roi, fait à sa manière les honneurs du logis. Après quelques minutes de repos, l’inconnu se lève pour reprendre sa promenade et glisse en partant une pièce d’or dans la main de la bonne femme, pour le loyer de sa chaise. A ce don extraordinaire, la nouvelle Baucis reconnait une main royale. Le mari s’empare de la chaise du roi, la suspend à la place la plus honorable de son humble toit, et âme vivante ne s’y est plus assise : on eut cru commettre un sacrilège.

A midi l’on dînait à la Cour. La table était somptueusement servie, quoique le Roi ne fût pas très gourmand ; mais il mangeait bien. Il donnait rondement sur les grosses pièces, laissant aux autres les plats de fantaisie (…). Suivant l’usage ancien en Espagne, on présentait à boire à Sa Majesté un genou en terre : le Roi buvait à la glace toute l’année. Après le repas, qui n’était pas long, et quelques instants donnés à la sieste, Charles passait dans son cabinet de musique où l’attendaient, les armes à la main, Duport le premier violoncelle de son temps, et l’invincible et téméraire Boucher. Le Roi formait le trio et ne le gâtait pas, malgré sa qualité (…). L’impatience du royal symphoniste, assortie à la pétulance d’un des deux concertants, et contrastée par l’à-plomb et la gravité de l’autre, donnait à ces séances lyriques une physionomie toute particulière. Pour ne rien déguiser, le Roi ne mettait pas une très grande exactitude à compter les pauses ; la fougue de l’exécution l’emportait souvent malgré lui. Avec des mazettes, l’ensemble aurait furieusement pâti ; un clin d’œil suffit aux maîtres de l’art. Quelques mesures coupées ou redoublées raccommodaient tout.

(…). Le soir la cour allait à la promenade. Le Roi, la Reine et le jeune Infant, dans un bel attelage de six mules, conduites par un cocher français et deux postillons espagnols. Cette Princesse était toujours parée ainsi que ses compagnes. Charles y mettait moins de façon, il n’aurait pas quitté pour tout au monde son cher habit noisette (…) A huit heures, on soupait frugalement en famille. Avant dix heures le Roi était au lit. (…)

L’Infant François sortait souvent avec son gouverneur à mine rébarbative. (…).

Par une de ces belles journées de notre hiver, que les étrangers apprécient bien mieux que nous, parce que l’habitude désenchante tout, la Cour d’Espagne se rendait sur le boulevard du Jardin du Roi. Un beau cheval andalou, tenu par deux écuyers, y était préparé. Chaque courtisan, tourné vers le palais, était à la bride du sien, dans l’attente du maître ; il paraissait et tout le monde en silence et découvert, le Roi saluait gracieusement, sautait en selle, et l’on partait. »

Charles IV, Marie Louise et François prenaient leurs quartiers d’Eté au Château de Mazargues, un petit village à six kilomètres à l’est de Marseille. Le Roi en avait fait l’acquisition, pour la plus grande joie des royalistes provençaux qui voyaient là le moyen de conserver auprès d’eux le Roi. La Reine aimait beaucoup cette villégiature, sur la terrasse de laquelle elle organisait fréquemment des bals champêtres. Elle y conviait la noblesse des environs.

En 1812, toute la famille fut établie à Rome pour éviter un « enlèvement ». Le départ de Marseille fut déchirant : la centaine de chevaux du cortège durent aller au pas, tant le Roi d’Espagne fut acclamé sur son passage, on lui tendait la main et on lui donnait les enfants à bénir. « L’Infant François pleura beaucoup. »

En Mars 1812, Les Cortès changèrent l’ordre de succession à la couronne d’Espagne : l’Infante Louise, l’Infant François et l’Impératrice Marie Louise des Français (petite-nièce de Charles IV) en furent exclus et ne furent conservés que l’Infant Charles, la Reine du Portugal et la Duchesse de Calabre. Décisions qui seront bien sûr annulées lors de la Restauration par son frère le Roi Ferdinand VII.

Le Roi Charles IV continua à Rome sa vie simple et « ne cacha à personne le prix qu’il attachait à cette existence modeste et privée ». « Je suis plus heureux ici qu’à L’Escurial. A Rome je fais ce que je veux » disait-il souvent. Il fit l’acquisition de biens du clergé : deux couvents qu’il transforma en galeries d’art et où il exposait des tableaux qu’il avait achetés dans la ville.

C’est durant ce séjour, assistant avec ses parents à de nombreuses messes dans les églises, que la passion de l’Infant d’Espagne pour le chant se renforça. François débuta une collection de partitions d’œuvres vocales et occupa son temps à se perfectionner dans cet art. Les capacités vocales du jeune homme de dix-sept ans faisaient la fierté de ses parents et l’admiration des visiteurs. Interprétant le jour de la Saint-Louis une cantate, l’Infant fit sensation.

Ayant grandi auprès d’un père dont les vertus étaient aussi exemplaires, il n’est pas étonnant que le jeune Infant ait acquis les convictions démocratiques qu’on lui connait bien et la culture musicale qu’on ignore souvent.

Ferdinand VII, Roi d’Espagne par Vincent Lopez Portaña

Au moment de la Restauration de 1814, Charles IV abdiqua en faveur de son fils aîné. Le nouveau Roi Ferdinand VII rentra triomphalement en Espagne sous le nom de Comte de Barcelone, avec son frère Charles et « l’oncle docteur ». Il demanda alors à François de venir s’établir auprès de lui.

En 1817, l’Infant François, voyagea en France et en Allemagne et aux Pays-Bas, avec une suite de douze personnes. Il s’intéressait beaucoup aux progrès de l’agriculture, des arts, des manufactures et des établissements publics de ces royaumes pour améliorer le sort des peuples dont son frère avait la garde. Il séjourna ainsi à Bruxelles, Berlin, Lyon et Paris où il « a fait visite » au Roi Louis XVIII, au Comte d’Artois et à ses fils.

Louis XVIII avait fait l’Infant François Chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit en 1816. Les Infants d’Espagne et Princes des Deux-Siciles le recevaient habituellement vers l’âge d’ onze ou douze ans, au même titre que les Fils de France, mais la Révolution l’avait empêché pour les trois frères.

A son retour en Espagne en 1818, les membres de la Société économique de Madrid, fondée en 1775 lui demandèrent de devenir leur Protecteur. Il en fit de même pour la Société économique royale de Valence. Il entra même dans la franc-maçonnerie espagnole tout en devenant également protecteur de l’Académie des Sciences ecclésiastiques.

Bien que ses obligations le retenaient souvent en Espagne, François rendit plusieurs fois visite à ses parents. Charles IV aimait retrouver son cher frère le Roi Ferdinand des Deux-Siciles, le fils de celui-ci, sa propre fille et leurs petits-enfants communs, à Naples ou à Rome. C’est dans cette douce atmosphère familiale que germa l’idée d’un mariage entre son fils benjamin et l’aînée de leurs petites-filles, Louise Charlotte de Bourbon, lesquels pour leur plus grande joie, acceptèrent de se fiancer. Les deux frères organisèrent les noces. Louise, comme sa sœur aînée Caroline, mariée au Duc de Berry, reçut de son grand-père une dot de 120 000 ducats.

Louise fut conduite en Espagne le 3 Mai, à bord du vaisseau le Capri. Le 21 Mai, ils débarquèrent à Barcelone et arrivèrent le 7 Juin à Madrid, illuminée pour l’occasion. Le Patriarche des Indes célébra le mariage le 11 Juillet 1819.

Ferdinand VII fit préparer pour le nouveau ménage infantal des appartements dans une aile du Palais de Madrid. Il donna à son frère cadet le Grand-Prieuré de l’Ordre de St-Jean du Royaume d’Aragon en supplément d’apanage.

L’Infant était séduit par la vivacité de sa nièce. Elle était aussi mélomane et voulait l’accompagner dans ses représentations, aussi l’Infant demanda-t-il au compositeur espagnol, Mariano Rodriguez de Ledesma, de lui donner des cours de chant. Au début de leur mariage, ils fréquentaient comme de simples particuliers, les promenades, les théâtres, les bals publics.

Louise fut bientôt enceinte et elle mit au monde presque chaque année un Infant d’Espagne supplémentaire, à l’image de sa mère, de sa grand-mère, de sa bisaïeule Caroline ou de ses trisaïeules Marie Leczynska et Marie Thérèse d’Autriche : François (1820), Isabelle (1821), François (1822), Henri (1823), Louise (1824), Edouard (1826), Joséphine (1827), Thérèse (1828), Ferdinand (1832), Christine (1833) et Amélie (1834).

Portrait de Louise Charlotte de Bourbon.

Les idées démocratiques de l’Infant François ne l’empêchaient pas d’être royaliste et de montrer son attachement à la Maison de Bourbon. Il eut le bonheur de voir tous ses enfants tenus sur les fonts baptismaux par des Capétiens presqu’exclusivement : le Roi des Deux-Siciles ; le Duc et la Duchesse de Calabre ; la Duchesse de Berry et le Duc de Bordeaux (qui n’avait que deux ans et demi !), le Roi Louis XVIII et Madame, sa nièce, fille de Louis XVI ; le Roi d’Espagne et ses épouses successives ; l’Infant Charles ; le Duc et la Duchesse d’Orléans.

En Novembre 1824, ils firent un voyage en France pour saluer le nouveau Roi Charles X et rendre visite à leur sœur Caroline à Paris. Lors de leurs vacances dans la capitale, l’Infant emmena chaque soir son épouse au théâtre. En Octobre 1829, ils retrouvèrent encore la Duchesse de Berry et Mademoiselle à Lyon pendant 4 jours. La belle-fille du Roi et sa petite-fille rentraient de Dieppe, où elles avaient pris les bains de mer. Ils visitèrent ensemble plusieurs manufactures et « firent des emplettes » dans les magasins de soieries et nouveautés » se rendirent à l’exposition des toiles de l’école lyonnaise. A la Chambre de Commerce « Madame s’enquit avec bonté de la situation du commerce, et manifesta tout l’intérêt qu’elle porte à sa prospérité ». La Duchesse de Berry et les Infants se rendirent encore les musées et monuments religieux de la ville, au Collège, à l’Hôtel Dieu. Pour finir la journée dîner à leur hôtel ou à la Préfecture, et soirée théâtre, quel programme ! Quelques temps avant la Révolution de 1830, ils étaient encore accueillis par les « Vive le Roi, Vive Madame, Vive les Bourbons ! »

L’Infant François eut sûrement l’occasion de retrouver son ancien professeur de gymnastique François Amoros, qui installé en France, avait vu ses compétences récompensées. Il fut nommé par le Roi Louis XVIII directeur du gymnase normal militaire, directeur du gymnase des Sapeurs-pompiers. Le Roi Charles X le choisit comme pédagogue du Duc de Bordeaux. Le petit Prince eut droit à ses leçons de gymnastique en compagnie de Louis de Rivière, des trois fils du Duc de Blacas, d’Henri et Charles de Meffray et d’Henri de la Bouillerie, Elzéar de Sinety, Henri de Brissac, Henri Lafont, trois fils du Duc de Damas, et Renaud Desmontiers de Mérinville. Ces enfants préfiguraient le Régiment d’Infanterie de la garde appelé Régiment de Bordeaux.

Louise de Bourbon, Infante d’Espagne, en 1834, filleule du Roi Louis XVIII et de la Duchesse d’Angoulême.

A cette époque, l’entourage de l’Infant Charles, successeur du Roi Ferdinand VII qui n’avait pas d’enfant, était très influent. La faveur de son épouse-nièce l’Infante de Portugal Françoise de Bragance était éclatante et contrastait avec la timidité de la Reine Marie Josèphe de Saxe dont le tempérament délicat et l’intelligence, la portaient davantage à des expressions intérieures comme la prière et l’écriture de « poésies politiques » parfois très engagées.

Marie Josèphe de Saxe, Reine d’Espagne par Vincent Lopez Portaña, 1820.

Françoise de Bragance, Infante de Portugal

La rivalité de Louise vis-à-vis de Françoise, nourrie par l’ambition pour sa progéniture, rompit l’harmonie entre les frères.

Louise profita de la maladie de la Reine pour prendre les devants et renforcer ses positions. Pour éviter l’arrivée d’une nouvelle Infante portugaise Reine puis Régente, qui aurait préféré les intérêts des enfants de Françoise à ceux de ses enfants, elle aurait fait venir un portrait de sa sœur Christine de Bourbon et l’aurait montré au Roi veuf pour la troisième fois.

Sa jeune nièce lui plut tellement que Ferdinand VII accepta rapidement l’idée d’une quatrième noce. Louise avait désormais un appui de taille à la Cour en la personne de la nouvelle Reine. Celle-ci donna naissance à deux filles, mais toujours pas le fils tant espéré par le Roi. En 1832, Amélie, une sœur supplémentaire emménagea à Madrid. Elle s’était mariée au petit-neveu et petit-cousin du Roi, l’Infant d’Espagne et de Portugal Sébastien de Bourbon et Bragance.

Le Roi Ferdinand VII et sa quatrième épouse.

Le Roi d’Espagne était très malade. Louise aurait convaincu Christine qu’elles devaient faire signer au Roi l’abolition de la Loi salique pour permettre à sa fille de lui succéder. Sa sœur Régente, le mariage de la Reine mineure avec son fils ne lui permettait-il pas de devenir Roi ? Les libéraux ne s’y trompèrent pas et soutinrent ces deux femmes dans leur aventure. C’était l’occasion rêvée pour eux d’exercer à nouveau le pouvoir. Ils étaient en perte de popularité dans l’opinion publique, et n’avaient pas la faveur du Roi Ferdinand VII et de l’Infant Charles.

François, ses deux fils et Sébastien obéirent à la volonté du Roi et prêtèrent hommage lige à la nouvelle Princesse des Asturies lors d’une cérémonie grandiose. Ils firent trois révérences à l’autel, au Roi, s’agenouillèrent devant lui, jurèrent d’être fidèles, lui baisèrent la main, ainsi que celle de la Reine et de la Princesse, tenue par sa nourrice. A la mort de son père en 1833, elle monta sur le trône au détriment de son oncle, réfugié au Portugal qui prit toutefois le nom de Charles V et le titre de Roi d’Espagne.

L’Infant François ne sut et ne put arrêter les intrigues de son épouse. Il voulait être fidèle à la promesse faite à Ferdinand et ne voulait pas se brouiller avec Charles, dont il était proche.

Il se faisait plutôt remarquer par « ses dépenses, son luxe, ses brillants équipages, sa bonhommie et son désir d’être utile. Bon, excellent, familier, rejetant bien loin l’étiquette sévère du palais, il encourage les artistes, parle à tout le monde, reçoit tous les placets, accueille toutes les demandes, rend tous les services possibles et se fait adorer à Madrid ». En dehors de ses obligations, il consacrait son temps libre au chant et la musique, particulièrement la musique vocale italienne.

Il aimait beaucoup Rossini et d’autres compositeurs italiens à la mode. Il fut nommé administrateur des théâtres de la Cour et donna sa protection au Conservatoire royal de musique fondé par le Roi Ferdinand VII en 1830. François s’intéressait aussi à la musique religieuse d’auteurs des XVème, XVIème et XVIIème siècles comme Gregorio Allegri, Marco da Gagliano, Palestrina, Pergolesi et Arcangelo Crivelli dont il réunit des manuscrits.

Portrait de l’Infant François, par Vincent Lopez Portaña, propriété de la Duchesse de Berry qui décorait son appartement du Pavillon de Marsan, au Château des Tuileries.

A partir de l’année 1821, qui vit la mort de leur fils aîné François et la naissance de leur fille Isabelle, l’Infant se remit à sa collection de partitions. Il en avait acquis 695 de son adolescence à sa mort, lesquelles sont aujourd’hui propriétés de la Bibliothèque nationale d’Espagne. Le catalogue de cette collection a été établi par Isabel Lozano Martinez et Jose Maria Soto de Lanuza.

L’Infant François préparait avec soin les morceaux qu’il interprétait lors des veillées de la Cour. Durant les années 1820 et au début des années 1830, il accompagna de sa voix de basse chantante, les meilleurs professionnels italiens de passage dans les théâtres de la capitale espagnole. Il les traitait avec amabilité et avec des manières franches selon les témoins. Son plus grand partenaire fut Mariano Rodriguez de Ledesma. l’Infant François soutint le projet d’une Académie royale de Musique et de Déclamation (1845) destinée à la formation de chanteurs pour promouvoir l’opéra espagnole qui avait été présenté à la Reine par le compositeur italien Dionisio Scarlatti

En 1838, la Régente ordonna par décret à sa sœur et à son oncle-beau-frère de quitter le territoire, les accusant d’une campagne de presse contre elle. La colère de Louise, qui devenait de plus en plus volcanique avec l’âge, fut très grande et elle aurait dit devant ses enfants en montrant l’appartement de sa sœur au moment du départ : « Il y en a une là, que je ferai pleurer, pleurer des larmes de sang ! ».

La famille s’installa en France où elle fut protégée par la Reine Marie Amélie de Bourbon, tante de Louise et cousine de François, avec laquelle ils entretenaient de bons rapports. L’Infant et l’Infante furent ainsi invités en 1840 au mariage de son fils Louis d’Orléans, Duc de Nemours et au baptême de Robert d’Orléans.

Ils placèrent leurs filles au Couvent des Augustines à Paris, et leurs fils François et Henri, âgés de seize et quinze ans (miniature ci-dessus) furent inscrits au Collège Henri IV.

«Hier dimanche, jour de la Pentecôte, une messe a été chantée par les élèves dans la chapelle du Collège royal (…)

Cette cérémonie a été honorée de la présence de S.A.R. l’Infant François de Paule. Un intérêt tout paternel justifiait sa présence dans la modeste chapelle de l’établissement ; car lui aussi, à l’exemple du Roi des Français, n’a pas craint de donner à ses enfants une éducation populaire. Deux princes, ses fils, sont admis à suivre depuis plusieurs jours, en qualité de demi-pensionnaires, les cours et les exercices de l’internat. (…).

A l’issue de la messe, le Prince, accompagné du Proviseur et des principaux fonctionnaires du Collège royal, a encore parcouru les rangs des élèves internes, et les a félicités de leur bonne tenue. Il a visité ensuite, dans le plus grand détail, les diverses parties du Collège royal : les nouveaux dortoirs et les réfectoires nouvellement restaurés ont valu à M. le Proviseur, de nombreux témoignages d’intérêt et de satisfaction. L’affabilité de ce prince et ses manières aimables lui ont gagné l’affection de tous ceux qui l’ont approché. »

Portrait de l’Infant d’Espagne

En 1841, leur fille aînée Isabelle, leur causa beaucoup de soucis. Celle-ci, âgée de vingt ans, avait une liaison avec un réfugié polonais, le Comte Ignace Gurowski. Elle avait succombé à ce séducteur et il l’avait enlevée. Ils se marient à Douvres, ce qui fut à l’origine d’un grand scandale. Il vaut mieux ne pas imaginer la réaction de sa mère qui avait sûrement d’autres ambitions pour elle et devait sûrement pardonner moins facilement que son époux une telle échappée romantique !

Isabelle de Bourbon, Infante d’Espagne

isabelle

L’Infante Louise avait l’ambition d’obtenir les mains d’Isabelle et de Louise Ferdinande pour ses fils, François et Henri, lesquels, une fois de retour en Espagne avec leurs parents en 1842 débutèrent leurs carrières militaires. Le premier dans un Régiment de Cavalerie à Pampelune, le second, dans la Marine, au Ferrol.

Des descriptions très éloignées des calomnies nous permettent de saisir ces personnages : François était un « modèle de zèle au service des armes, de caractère belliqueux et martial. Il professait des principes très sévères. Il accomplissait ses obligations scrupuleusement mais appréciait davantage son rôle de soldat à celui d’Infant. ». Il ne voulait pas épouser Isabelle. Soutenant les droits de son cousin Charles VI, il lui aurait même écrit pour l’assurer de la supériorité de sa candidature à la main de leur cousine, car elle aurait eu l’avantage de réconcilier les Espagnols.

Il partageait la passion de son père pour la musique. Dans une biographie récente, leurs auteurs Martinez Gallejo et Perez Garzon précisent que le Roi « avait hérité les goûts musicaux exquis de son père, l’Infant François de Paule, qu’il était un grand amateur de musique de chambre allemande et qu’il avait choisi comme professeur de piano Juan Maria Güelbenzu, pianiste formé à Paris ». Il nomma plus tard ce dernier Organiste de la Chapelle royale.

Henri quant à lui « avait des manières simples, son caractère était empreint de dignité et de douceur. Son esprit était courageux et décidé, mais aussi humain et sensible. De son génie belliqueux et martial n’était pas exclus la compassion et la douceur. ».

La Reine-mère voyait d’un mauvaise œil les plans de sa sœur et pensait plutôt à leur jeune frère sicilien le Comte de Trapani. Elle envisagea le Prince Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha, cousin de la Reine d’Angleterre mais appréciait surtout le Duc d’Aumale et le Duc de Montpensier, fils cadets de son oncle Philippe. Christine aimait beaucoup le Duc d’Orléans. Quand le fils de Philippe Egalité vint à Palerme en 1808, il fut d’abord l’objet de la méfiance de sa famille établie en Sicile. Christine, qui n’était qu’une petite fille, aurait été la première à l’adopter en osant dire à ses parents et ses grands-parents qu’elle l’aimait quand même. Elle était la préférée de Philippe qui la cajolait.

Deux ans après son retour, en 1844, Louise de Bourbon mourut de la rougeole, à l’âge de 40 ans. Elle ne put contempler le succès de son plus grand projet : son fils s’était résigné à épouser Isabelle (1846). François devint Roi et prit en charge l’administration des domaines de la Couronne et des Résidences royales. La vie commune avec Isabelle fut orageuse. Les deux jeunes gens avaient accepté par obéissance à leurs parents, sous la pression des Libéraux espagnols, pour satisfaire les gouvernements étrangers d’Angleterre et de la Monarchie de Juillet. Bien qu’ils partageaient une grande religiosité, un autre de leur point commun, la galanterie, porta préjudice à l’harmonie de leur foyer. Le mariage du Duc de Cadix et de la Duchesse de Tolède ne fut heureux que lorsqu’ils vécurent en France, à la fin de leur vie.

François et Isabelle, leurs enfants et deux nourrices en 1863.

Mais dès 1847, l’Infant François put se consoler en contemplant le bonheur de sa seconde fille l’Infante Louise, qui épousa au Palais de Montemar à Madrid le fils aîné des Ducs de Sessa, de quatre ans son cadet. Elle deviendra l’aïeule des actuels Duc et Princes de Bauffremont et donc de la Princesse Eudes d’Orléans.

Toujours en 1847, son troisième fils l’Infant Henri, Duc de Séville épousa à Rome avec la bénédiction du Pape Pie IX, l’élue de son cœur Helène de Castellvi. Démocrate comme son père, défendant les droits d’Isabelle II, il sera tué par Antoine d’Orléans en 1870, lequel avait tout fait pour discréditer sa belle-sœur et ceindre à sa place la couronne d’Espagne. Heureusement que l’Infant son père ne vécut pas assez longtemps pour voir cela !

Henri de Bourbon, Infant d’Espagne, Duc de Séville.

L’année suivante sa troisième fille Joséphine tomba amoureuse d’un poète cubain, homme politique démocrate et roturier, José Güell Renté qui lui écrivait des poèmes. Elle se laissa enlever et ils se marièrent, avec le soutien du peuple.

Portrait de Joséphine de Bourbon, Infante d’Espagne

L’Infant François fit la rencontre d’une ballerine de modeste extraction, Thérèse Arredondo et il en tomba amoureux. Elle emménagea avec lui dans sa résidence du Parc de Buen Retiro et ils vécurent en concubinage. Il avait inculqué à ses enfants certaines valeurs, puis leur exemple et leur soutien lui permirent de franchir le pas et d’affronter les jugements des bien-pensants : il épousa sa bien-aimée (1851) contrairement aux pratiques habituelles des Princes de son temps qui auraient méprisé un mariage avec leurs maîtresses. Ils élevèrent Ferdinand, Christine, et Amélie (derniers enfants de son premier mariage) ainsi que Richard le fils qu’ils avaient eu de leur union

Thérèse Arredondo et Richard

Bien que remarié avec une roturière, il ne fut pas rejeté par son fils et sa bru. Il put ainsi tenir sur les fonts sa petite-fille, Isabelle en Décembre 1851.

En 1854, l’Infant d’Espagne eut la douleur de perdre son cinquième fils l’Infant Ferdinand âgé de vingt-deux ans. Il mourut « de peur » (d’après le journal de Genève) après s’être réfugié à l’Ambassade de France à Madrid, lors d’une nouvelle révolution.

En 1856, le Prince Adalbert de Bavière, frère cadet du Roi de ce pays, séjourna en Espagne après avoir visité l’Italie. Le Roi et la Reine l’invitèrent à dîner et il fit connaissance avec l’Infant François avec lequel il partageait la passion de la musique. François lui donna la main de sa fille, Amélie et le mariage fut célébré en août.

Un autre grand bonheur fut sûrement pour lui de voir le Pape Pie IX, intime de son fils et de sa bru, accepter de veiller sur son petit-fils Alphonse, en devenant son parrain (1857). Il conseillera ses parents au sujet de leur mariage et dans son éducation.

L’Infant François devint le grand-père de 38 petits-enfants. En 1860, l’Infant d’Espagne dut accorder la main de sa fille Christine à son petit-cousin-petit-neveu l’Infant d’Espagne et de Portugal Sébastien qui voulait se réconcilier avec Isabelle et François. L’Infante était hélas déficiente mentale. Pressentie pour épouser l’Empereur Napoléon III puis rapidement repoussée, ayant vu sa cadette se marier avant elle, cette occasion était inespérée. L’Infant François dut y voir le moyen de sécuriser l’avenir de cette enfant différente, de lui éviter la solitude ou le couvent. De plus il devait avoir de l’estime pour Sébastien, avec lequel il partageait beaucoup d’intérêts artistiques.

Hélas, douze ans plus tard, François fut veuf une nouvelle fois. Souffrant d’une maladie de l’appareil digestif, ce paisible Infant d’Espagne s’éteignit en son palais du Buen Retiro en 1865, « pleuré par ses enfants, particulièrement par ses serviteurs, personnes proches et pauvres desquels il était très aimé par la bonté de son caractère, par la simplicité de ses manières, et le secours qu’il avait apporté aux invalides ».

La pompe funèbre de l’Infant François fut impressionnante. Son cercueil fut conduit de sa résidence à la Gare du Nord, où il devait prendre le train de 13h35 pour L’Escorial, par ses quatre chevaux favoris ornés de manteaux de deuils sous la protection de gardes hallebardiers, de soldats d’infanterie et d’artillerie. Les plus grandes autorités politiques et militaires du pays faisaient partie du cortège dont le Président du gouvernement et Ministre de la Guerre Léopold O’Donnell.

Son corps vêtu de l’uniforme de Capitaine général avec le manteau de l’Ordre de Saint Jacques et toutes ses décorations, dont le Saint-Esprit que lui avait remis Louis XVIII, fut placé dans sa sépulture au Panthéon des Infants du monastère de l’Escorial et ses enfants firent graver comme épitaphe « Celui qui compatit aux pauvres sera bienheureux ». (Un grand merci à Jul pour cet article et toutes ses recherches – Copyright photos : DR)