Dans l’Almanach du Gotha, seules quelques lignes -peu éloquentes de surcroît – évoquent le grand-duc Georges Alexandrovitch. La brève notice précise son grade militaire -reçu dès sa naissance- de « chef du 93ème Régiment d’Infanterie d’Irkoutsk« . Si cette référence à la ville de Sibérie orientale bordée de collines couvertes de taïga rappelle allusivement les aventures de Michel Strogoff , elle ne nous dit cependant rien ou presque de ce prince remarquable à bien des égards. Né à Tsarskoie Selo le 6 mai 1871, jour où la Russie fête Saint Georges de Lydda, le troisième fils du Tsar Alexandre III et de la Tsarine Maria Feodorovna sera élevé avec son frère aîné le futur Nicolas II dont il est très proche.

Leur éducation quelque peu spartiate (le réveil à 6 heures est suivi d’un bain froid et d’un petit-déjeuner frugal) est adoucie par la réelle chaleur du foyer où ils furent aimés de leurs parents. Se confiant un jour à l’un de ses conseillers, Alexandre III déclara le plus simplement du monde : « La naissance de nos enfants est le plus pur instant de bonheur de la vie, impossible à décrire c’est un sentiment tout à fait particulier qui ne ressemble à nul autre. »

A Gatchina, les deux frères disposent de quatre pièces dans les appartements de l’entresol du palis : un salon, une salle de jeux, une salle à manger et ue chambre à coucher où ils dorment dans de simples lits de camp. Une icône sertie de perles et de pierres précieuses constitue le seul luxe ornemental de ces logements.

Fils favori de ses parents qui lui pardonnent volontiers ses facéties, « Georgy » est sans conteste le plus brillant des cinq enfants de la famille impériale. Intelligent, racé, drôle, tout semble lui sourire. En dépit de quelques difficultés respiratoires sporadiques, il paraît même beaucoup plus robuste que Nicolas. Les deux frères sont éduqués par les mêmes tuteurs. Ils quittent la nurserie lorsque leur soeur Xénia vient au monde. Une institutrice d’un lycée de jeunes filles, Alexandra Ollongren, veuve d’un capitaine, leur apprend à lire et à réciter les tables de multiplication. Vladmir, le fils de cette gouvernante sera l’un de leurs rares compagnons de jeux.

Trois ans plus tard, leur gouverneur militaire, le Général Grigorgii Danilov, fervent monarchiste, leur choisit des professeurs réputés dans les diverses matières du cycle scolaire appelé « gymnasium », qui s’étend sur 8 années jusqu’à l’âge de 16 ans. Ce programme d’éducation générale comprend des cours de langues vivantes, d’histoire politique, de géographie, quelques bases de minéralogie et de biologie ainsi que des leçons de musique et de calligraphie. Curieusement, alors que leur grand-père Alexandre II prône l’enseignement des langues classiques, le latin et le grec seront absnet du cursus suivi par les héritiers.

Leur professeur d’anglais qui avait précédemment instruit les grands-ducs Serge et Pavel, est un Ecossais dénommé Charles Heath qui n’a de cesse de leur rappeler : « Aristocrats are born but gentelemen are made« . Outre un angalis soigné, il leur transmet le goût des acticités sportives : tir, tennis, boxe, équitation et pêche à la mouche. Les deux princes parleront également couramment le français, un peu d’allemand et le danois, langue bien utuile lors des traditionnelle vacances d’été dans la famille de la tsarine au Danemark.

Le 27 mai 1883 a lieu la somptueuse cérémonie du couronnement d’Alexandre III et de Maria Feodorovna à la cathédrale Uspensky au Kremlin à Moscou. A cette occasion, tous les membres de la famille impériale rendent hommage à leurs nouveaux souverains. Georges et son frère vêtus de superbes uniformes attirent l’attention et séduisent la foule. Le cadet destiné à la marine, est nommé enseigne puis lieutenant au premier équipage de la flotte du vaisseau « Grand-Duc Constantin Nicolaïevitch », fleuron de la marine russe aux 120 canons et aux 3 ponts.

En 1890, le tsar décide d’offrir à ses deux fils aînés un voyage d’études et d’agrément qui doit les conduire jusqu’en Extrême Orient. Le choix de cette destination correspond à la perception politique d’Alexandre III qui condière l’Europe comme « un cimetière » et donc une destination sans intérêt au regard de l’Asie, terre d’avenir selon ses vues. Le 22 août 1890, le grand-duc Georges quitte donc le sol russe à Sébastopol afin d’entreprendre le périple de 9 mois qui doit l’emmener jusqu’au Japon. Les deux frères voyagent à bord du cuirassé Pamyat Azova (Mémoire d’Azov, nom qui rend hommage au navire Amiral Azov vainquer de la flotte ottomane à Navarin en 1827) dont le luxe inouï contraste singulièrement avec  la sobriété du décor quotidien de Gatchina.

Le grand-duc Georges sert en qualté d’adjudant et devient très populaire paermi les membres de l’équipage. Les escales se succèdent : Trieste (où Nicolas le rejoint), Olympie, Athènes (où le prince Georges de Grèce embarque avec ses cousins russes), La Caire (ils escaladent la Grande Pyramide et gravent leurs noms sur la pierre). Les accompagnent des archéologues réputés qui livrent des informations passionnantes sur l’histoire des pharaons.

Ils naviguent sur le Nil à bord du bateau du Khédive (Louxor, la Vallée des Rois), Memphis, Suez, Aden avant de partir pour Ceylan et les Indes. Ils arrivent en Inde le 18 décembre 1891, découvrent Bombay et les temples hindous sculptés dans la pierre de l’île d’Elephanta, chassent le tigre à Roaza, admirent d’autres monuments à Dalautabad, Ellora, Gujerat,… se rendent au Penjab où ils visitent les temples sikhs puis le Taj Mahal, Galior, Benares et Calcutta. Durant cet itinéraire indien, nos voyageurs sontsuivis par des émissaires britanniques chargés de rapporter leurs faits et gestes à l’Indian Office, ce qui agace beaucoup Nicolas.

Ils doivent regagner Bombay à la fin janvier et subitement Georges souffre d’insupportables maux de jambes et des premiers symptômes de la pathologie dont il est atteint. Il doit regagner l’Europe sans son frère qui poursuivra sa routejusqu’à Saigon et au Japon, afin que les médecins impériaux l’examinent à Athènes. Leur diagnostic est sans appel : tuberculose pulmonaire.On imagine aisément les tourments de l’impératrice qui dut se remémorer la perte de son premier fiancé « Nixa ».

De retour en Europe, le grand-duc Georges connaît heureusement des périodes de rémission au cours desquelles il voyage sous des latitudes clémentes. En 1894, il accompagne sa famille à Livadia afin d’entourer le tsar malade. Lorsque son frère devient le tsar Nicolas II, Georges nouvel héritier du trône impérial, est nommé Ataman des Cosaques du Don, mais sa santé décline et il est incapable d’assister aux funérailles de son père le tsar Alexandre IIIMaria Feodorovna, devenue veuve, décide alors de passer davantage de temps avec son fils valétudinaire.

A partir de la fin de l’année 1894, il demeure presque en permanence dans sa résidence caucasienne d’Abbas-Touman, un village de montagne réputé pour les vertus de ses cures thermales. Très intéresé par l’histoire de la Géorgie, sa province d’adoption, il réunit une impressionnante bibliothèque qui recèle de nombreux ouvrages traitat de l’histoire du Caucase. Membre honoraire de la Société d’astronomie, il finance la construction du premier observatoire russe de haute altitude non loin de sa villa. 

Face à la maladie dont il souffrait, il a choisi de défier le sort et d’adopter une attitude combattive que l’on pourrait qualifier de « dare devil complex » à l’instar du comportement qu’aura quelque vingt années plus tard son neveu le tsarévitch Alexis atteint d’hémophilie. Très affaibli par son incurable pathologie, il vivra ses dernières années séparé des siens mais recevra parfois la visite de proche comme Nicolas II qui demeurera de temps à autre auprès de son frère préféré.

En août 1895, il se rendra une dernière fois au Danemark mais son état empirant, les médecins lui défendent désormais de fumer et le contraignent à un alitement à Fredensborg, la résidence d’été du roi Christian IX et de la reine Louise de Danemark, ses grands-parents maternels.

L’hiver suivant, il séjournera au château des Terrasses édifié pour le banquier britannique Mendel à Cap d’Ail. En mars 1896, l’impératrice  douairière, sa soeur la grande-duchesse Olga et son frère le grand-duc Michel le rejoindront. Ils auront ainsi l’occasion de découvrir le village médiéval de La Turbie et de goûter au charme des Alpes Maritimes. Afin d’échapper à la rigueur du climat caucasien, il passera aussi deux hivers à Alger.

Faisant fi de l’avis de ses médecins, Georges avait pris l’habitude de circuler à moto sur les route voisines d’Abbas-Touman et le 9 août 1899 une paysanne géorgienne le découvre gisant sur le bas-côté d’un chemin. Il expire dans ses bras après une ultime crise de son impitoyable maladie. Le 14 août 1899, il est inhumé à proximité de son père dans la cathédrale Saints Pierre et Paul à Saint Petersbourg. La tsarine douairière, très éprouvée par la cruauté de ce nouveau deuil, devra quitter la cérémonie avant la fin de l’office.

Le tsar Nicolas II alors père de trois filles, perd non seulement son frère tant aimé mais également son héritier. Des années plus tard, dans le contexte tragique que l’on connaît, on pouvait entendre Nicolas riant de bon coeur à la lecture de petits billets drôles laissés par « Georgy ».

Depuis 1995, la résidence de Georges -due au talent de l’architecte Otto Jaco Simons- est devenue un couvent orthodoxe dedié à Saint Pantaléon. Le monastère a été en partie la proie des flammes en mars 2008. Pour conclure, je vous invite à découvrir l’aspect actuel que présente Abbas-Touman, en cliquant sur ce lien. (Un grand merci à Damien B. pour toutes ses rechrches, son texte et les photos)