Souvent proche d’une couronne qu’il ne souhaitait ceindre à aucun prix, Mikhaïl Alexandrovitch Romanov, quatrième fils du tsar Alexandre III et de Maria Feodorovna, voit le jour à Saint Pétersbourg le 22 novembre 1878. Lors de son baptême le 22 décembre suivant au Palais d’Hiver, l’un de ses parrains le grand-duc Mikhaïl Nicolaïevitch, lui donne son prénom. Ses parents l’appelleront familièrement « Micha ».

Avec ses quatre frères et soeurs, le jeune prince partage une enfance préservée du monde extérieur dans le palais impérial de Gatchina. Trois ans après sa naissance, une soeur cadette prénommée Olga viendra agrandir la fratie impériale. Pour cette nouvelle compagne de jeux qui deviendra sa favorite, il sera son « cher Floppy ». Intelligent, aimable et sensible, il séduit ses proches et gagne naturellement leur affection.

Ami des animaux, il a toujours possédé des chiens et son premier compagnon canin sera un Samoyède. Il aime les longues promenades en forêt en compagnie de son père auquel le lie une grande complicité. Le tsar l’emmène à la pêche ou en forêt, il lui apprend à allumer des feux et à se débrouiller avec quelques vivres seulement. Leur complicité étonne les visiteurs qui parfois les surprennent à jouer comme des enfants.

 

A Elizabeth Franklin, la « nanny » anglaise des premières années qui lui préparait occasionnellement du porridge, succèdent des professeurs plus chevronnés chargés d’enseigner le diverses matières du cursus appelé gymnasium : l’anglais relèvera de la compétence de Charles Haeth, auparavant précepteur de ses frères aînés. En 1886, renouant avec l’ancestrale tradition russe des tuteurs helvétiques, Ferdinand Thormeyer (Siosha pour ses élèves impériaux), un précepteur suisse originaire de Carouge alors âgé de 28 ans, est désigné afin d’enseigner la langue et la littérature française à Mikhaïl et à ses deux soeurs.

Ce professeur favori leur dispense des conseils judicieux, les écoute avec empathie et une correspondance régulière échangée en français jusqu’au décès du grand-duc témoigne de la place prépondérante qui était la sienne dans la vie de Mikhaïl et du rôle éducatif majeur qu’il a joué jusqu’en 1899. Lors du départ de son gouverneur, le grand-duc lui fait part de son émotion : « Je ne vous cacherai pas que j’ai pleuré » peu après il ajoutera « vous m’appartiendrez toujours ainsi que moi à vous ».

L’éducation artistique est primordiale chez les Romanov. D’ailleurs, les cinq enfants du couple impérial bénéficient de l’enseignement du peintre Kirill Vikentevich Lemokh, membre de l’Académie de Saint-Pétersbourg spécialisé dans les représentations de la vie paysanne. Mikhaïl gardera les goûts classiques inculqués par ce professeur spécialiste des scènes de genre et émettra plus tard des avis tranchés comme lorsqu’il visite une exposition en Norvège en 1908 : « Hier je suis allé à une exposition de peintures, je n’ai jamais rien vu de pire. les tableaux semblent être l’oeuvre de déments« . Egalement mélomane, il nouera une amitié solide avec le compositeur Serge Rachmaninov.

 

La mort de son père en 1894 signe le début d’une nouvelle période dans son existence. Nicolas II qui vient d’épouser Alexandra Feodorovna associe fréquemment son cadet à leurs sorties. Au moins une fois par semaine et même souvent davantage, les nouveaux souverains l’invitent avec Olga à assister à des pièces de théâtre, des opéras, des concerts ou des ballets donnés à Saint-Pétersbourg.

En 1898, la célébration des vingt ans du grand-duc marquant le passage à l’âge adulte, revêt un caractère solennel : une cérémonie officielle est organisée avec te deum en présence de la famille impériale, des ministres, de la Cour et des dignitaires de l’empire. Il fait acte d’allégence à son frère devenu son souverain et lui promet une loyauté sans failles.

Le prince Félix Youssoupov le décrit comme « un homme grand et avenant au regard vif qui évoque les portraits de ses ancêtres« . De ses nombreux voyages en Grand-Bretagne, il a acquis des manières et des goûts de gentleman. Cavalier émérite et remarquable pilote automobile, il retient aisément l’attention. Très doux de nature, il peut s’emporter parfois soudainement et fait aussi souvent preuve d’irrésolution.

Durant l’été, il se rend en yacht avec sa mère et bébé (Olga) afin de séjourner dans les résidences danoises de ses grands-parents maternels, à Fredensborg et à Bernstorff. Le programme traditionnel des vacances en compagnie de ses cousins royaux inclut des promenades à cheval et à vélocipède, des chasses ou encore des réceptions organisées par la tsarine douairière à bord du yacht impérial; mais au fil des années, les liens tissés avec ses cousins danois perdront de leur chaleur et il ne les verra plus que rarement.

En 1899, il se rend en Grand-Bretagne à bord du Zarnitza son yacht personnel afin de rendre visite à ses parents anglais. A cette occasion, il se fait tatouer à Lodnres un dragon sur le bras. Le décès prématuré de son frère Georges (1899) lui confère le statut de tsarévitch qu’il conservera jusqu’à la naissance de son neveu Alexis en 1904. A cette occasion, il écrira : « Je remercie Dieu de m’avoir libéré de ce titre dont j’ai la charge depuis des années ».

Membre du Conseil d’Etat (1901) et du Conseil des Ministres (1902), il sert dans la 5ème batterie d’un régiment d’artillerie à cheval de la garde (1897-1902) puis dans le régiment Préobanjensky (1902-1904). En 1904, il est transféré dans un régiment de cuirassiers de la Garde. De 1909 à 1911, il commande le 17ème régiment des hussards de Tchernigov. En avril 1911, il est nommé commandant en chef d’un régiment de cavalerie de la garde.

Lors de l’hiver 1900, le tsar en convalescence après avoir contracté le typhus, invite Mikhaïl à séjourner près du couple impérial à Tsarskoïe Selo. Il aime cette ville et profite de ce séjour pour jouer au tennis, conduire son automobile et pique-niquer avec son frère.

Au début du XXe siècle, il effectue également de nombreux voyages diplomatiques, tel celui de juiller 1901 à Revel (aujourd’hui Tallin) en Estonie. Ces missions obéissent à d’invariables schémas : « J’ai visité beaucoup de bâtiments et vu beaucoup de monde…je suis sorti en mer deux fois par jour pour voir les tirs. C’était très intéressant. »

En décembre de la même année, invité par le Kaiser, il écrit : « ce voyage m’était très désagréable comme idée d’aller chez l’empereur d’Allemagne pour la première fois et tout cela me dérange beaucoup. Mais comme c’est lui qui m’a invité pour la chasse, je ne pouvais refuser {…} Je dois dire qu’il était très aimable avec moi. La fameuse chasse n’a pas été fortement amusante. »

En mai 1902, le grand-duc est chargé de faire visiter une dizaine de villes russes au président français Emile Loubet suivant un itinéraire long et fatiguant. Dès le départ du Chef de l’Etat français, il se rend à Londres afin d’assister au couronnement de son oncle le roi Edouard VII. Initialement prévu le 26 juin, cet événement est reporté au 9 août en raison d’une crise d’appendicite du nouveau monarque britannique. Mais cet incident lui permet de profiter davantage de la compagnie de sa bonne cousine Victoria qu’il apprécie beaucoup et avec laquelle il fait les magasins et prend le thé chez un sympathique lord. En sa qualité de tsarévitch et d’officier, les manoeuvres militaires effectuées à Kiel, Bélovège ou Spala lui laissent peu de répit.

Sur le plan privé, après les décès de son père et de son frère et le mariage de sa soeur Olga, Mikhaïl se sent quelque peu isolé au sein de sa famille et part à la recherche d’une épouse. Au cours de l’été 1902, il rencontre lors des vacances en Grande-Bretagne la princesse Béatrice de Saxe-Cobourg (elle est en effet la fille de la grande-duchesse Maria Alexandrovna, soeur d’Alexandre III), alors âgée de 18 ans. « Baby Bee » et lui doivent rapidement rompre leur relation sous le prétexte de leur proche degré de parenté. Mikhaïl sera très éprouvé par cette rupture imposée par le tsar.

En 1904, il s’éprend d’Alexandra Kossikovskaïa, une dame d’atours de sa soeur Olga. Deux ans plus tard alors qu’il est fermement décidé à l’épouser -il a même choisi un prêtre qui bénirait leur union- Nicolas II réussit à empêcher ce mariage inégal aux yeux de la loi russe. Le moral du grand-duc est alors au plus bas, à tel point que la famille impériale songe à inviter Ferdinand Thormeyer afin de venir le réconforter.

En cette même année 1906, la presse anglaise avait évoqué des fiançailles avec la princesse Patricia de Connaught, une autre petite-fille de la reine Victoria, mais tout cela ne relevait que de rumeurs infondées.

En décembre 1907, alors qu’il commande la garde impériale à Gatchina, casernée près du quartier général du régiment Préobraensky, il éprouve un réel coup de foudre pour Nathalie Cheremetiev, épouse de Vladimir Wulfert, officier des cuirassiers impériaux. Pour le tsar, il est bien entendu lors de question que Mikhaïl épouse une personne deux fois divorcée, déjà mère d’une petite fille et simple citoyenne russe. Micha est envoyé à Orel (360 km de Moscou) afin de prendre le commandement militaire du Régiment de hussards Tchernigov.

Très meutri de l’attitude de son frère déterminé à faire respecter la loi paulienne, il se plaint à Thormeyer : « Dans ma vie, qui semble si si heureuse de l’extérieur, il n’y a presque rien qui soit capable de me donner encore un peu de joie dans le terrible vide qui est toujours en moi ». 

Il écrit à Nathalie : « S’il te plaît chère Nathalie, ne sois jamais embarrassée de me dire si tu as besoin de quoi que ce soit. All I do is for you and not for myself. » La séparation est intenable, ils vivront dans la clandestinité en Grande-Bretagne notamment. Le 24 juillet 1910 naît leur enfant unique, un fils prénommé Georges en souvenir de son oncle décédé à Abbas-Touman.

Nicolas II écrit à sa mère (4 octobre 1910) : « Il y a une semaine, j’ai écrit à Micha dans l’esprit que tu avais suggéré. Je lui ai dit combien il était difficile et souvent impossible de garder l’incognito de celle que tu connais et lui ai demandé de ne plus voyager dans le même train. Tout cela sous forme de conseil amical. Il a été aussi gentil que je l’ai été avec lui et m’a répondu un télégramme plein de gratitude. »

Le grand-duc ne peut compter sur aucun soutien parmi ses parents proches. Même Olga sa soeur favorite rejette l’idée de sa liaison et rompra définitivement toute relation avec lui. Quant au professeur Thormeyer -se ralliant à l’avis du tsar- il déclarera : »cette femme n’est pas pour lui ».

A l’automne 1912, averti d’une dégradation subite de l’état de santé du tsarévitch Alexis qui vient de recevoir l’extrême onction à Spala, Mikhaïl littéralement pris de panique, veut épouser Nathalie le plus rapidement possible. En effet, le décès de son neveu le désignerait de nouveau comme héritier du trône impérial, ce qu’il ne souhaite aucunement. Le mariage est célébré dans l’église orthodoxe de Saint Sava à Vienne le 17 ocotobre 1912.

Maria Feodorovna apprenant la nouvelle écrit au tsar : « Maintenant je dois te parler d’un terrible choc. Je reçois à l’instant la lettre de Micha m’annonçant son mariage. C’est incroyable, je ne peux pas croire ce que je suis en train d’écrire ! Cela me tue presque. Cela doit absolument être tenu secret afin d’éviter un autre scandale. »

Nathalie est créée « Comtesse Brassova« , en référence à la propriété de Brassov qui appartient à son mari. Jamais elle ne sera reçue à la Cour par le tsar car à son statut de divorcée, elle a ajouté une réputation de commère, ayant publiquement critiqué -et ce à plusieurs reprises- la famille impériale. Leur fils également anobli ne sera jamais un membre dynaste des Romanov.

Le grand-duc est relevé de ses commandements militaires le 1er janvier 1913. Dès la déclaration de guerre, Mikhaïl rentre en Russie et quelques mois plus tard, il commandera la « Wild Division », composée de six régiments tchétchènes, caucasiens et daghestanais.

Les sentiments réels de Nathalie envers son nouvel époux évolueront progressivement vers une forme d’indiféfrence. Aux soins attentifs de son mari, elle opposera des considérations matérialistes et vraiment futiles. Ainsi, alors qu’il est sur le front, elle fustige la laideur de son uniforme caucasien « tu étais si élégant avant« . Cruelle, elle narre par le menu sa grande complicité avec le grand-duc Dimitri et elle accroît la jalousie de son mari, en saupoudrant lourdement ses lettres de détails qui augmentent ses tourments. Elle se plaint également de sa résidence : « en six ans nous n’avons jamais eu de maison…je suis gênée de recevoir certaines personnes car je sens bien que ma maison est inférieure à celle de mes invités. » 

Malgré une vision politique parfois un peu naïve, Mikhaïl entrevoit rapidement le désastre que constitue l’entrée en guerre pour son pays. Dès 1905, la famille impériale avait été déstabilisée par les troubles de la guerre russo-japonaise et le climat politique intérieur délétère. Elle perdait progressivement la confiance du peuple et Mikhaïl avait perçu cette rupture sensible. Ainsi, le 27 janvier 1905, quelques jours après le Dimanche Rouge, il écrit à son ancien précepteur sans oser lui faire le récit des événements : « comme vous lisez les journaux russes, vous connaissez tout, donc je ne vous expliquerai pas à propos de tout cela. C’est bien triste, mais heureusement maintenant c’est calme. »

Mikhaïl sent que les choses échappent à son frère et à sa famille. Il se replie sur lui-même, sur Gatchina et ses proches. Lorsqu’on lui suggère d’acheter une propriété en Suisse, il répond : « à vrai dire, je n’ai pas envie de posséder une maison à l’étranger parce que je n’aime que la Russie. »

La proximité avec ses soldats a toujours été importante à ses yeux. Il se sent plein de compassion pour eux et s’était déplacé avec Olga afin de visiter les blessés du conflit avec le Japon en septembre 1904.

En 1915, il se préoccupe sincèrement du sort de ses soldats exposés au danger en première ligne : « la guerre et toutes les horreurs qu’elle implique m’inspire de la tristesse pour chacun, par exemple pour ces hommes embrigadés par ceux qui détiennent le pouvoir et sont obligés de subir ces horreurs. »

Son sens du devoir est inébranlable. Ainsi, il refusera d’assister aux funérailles du grand-duc Constantin Constantinovitch (1915) estimant que sa place est parmi ses troupes : « lorsque l’on commande une division, il est impossible de s’absenter…et si certains le font, je considère que cela n’est pas juste et qu’il s’agit d’un mauvais exemple. Je ne m’amuse pas ici. » Il écrit agalement : « Je pense que je dois servir la Russie au front, ma conscience ne m’autorise pas le connaître. Je serais honteux de rester en retrait alors que le peuple russe verse son sang pour son pays en vue de la paix future. »

Le 15 mars 1917, le tsar abdique en faveur de son frère qui -influencé par Alexandre Kerensky le représentant du Soviet de Petrograd – déclare dans l’esprit d’un monarque constitutionnel : « Un lourd fardeau m’a été remis par la volonté de mon frère, à un moment de lutte et de turbulences populaires incontrôlées. J’ai décidé de transférer le trône impérial de Russie. Je partage avec le peuple l’idée que le bien du pays devrait s’élever au-dessus de toute autre chose et ai décidé fermement que je ne peux accepter le pouvoir si ce n’est la volonté de notre grande nation, qui doit élire au suffrage universel ses représentants à l’Assemblée constituante, afin de déterminer la forme de gouvernement et de nouvelles lois fondamentales de la Russie. Par conséquent, en demandant la bénédiction de Dieu, je demande à tous les citoyens de la Russie d’obéir au gouvernement provisoire qui a pris le pouvoir et a pleine autorité sur l’initiative de la Douma impériale jusqu’à ce qu’il atteigne la bonne hauteur pour une Assemblée constituante, convoquée le plus tôt possible et élue en conformité avec les principes du suffrage universel, direct, égal et secret. »

Durant le gouvernement provisoire de Kerensky, Mikhaïl, Nathalie et Georges sont assignés à résidence à Gatchina. Le 31 juillet 1917, le grand-duc voit son frère pour la dernière fois avant le départ de Nicolas II et des siens à Tobolsk. L’exil de son frère incite Mikhaïl à tout mettre en oeuvre afin de quitter la Russie. Nathalie obtient un entretien avec Lenine qui refuse de leur accorder des laisser-passer signés.

Finalement grâce à un passeport danois qui la reconnaît comme infirmière de la Croix-Rouge, Nathalie et son fils Georges réussissent à quitter la Russie. Le jeune comte Brassov a vécu à Paris jusqu’à sa mort à 21 ans suite à un accident à Auxerre à bord de la Delaunay-Belleville, l’automobile qu’il s’était achetée en 1928 grâce à l’héritage de Maria Feodorovna, sa grand-mère.

Quant à Mikhaïl, il est arrêté et emmené à Perm dans l’Oral où il sera installé à l’hôtel Koroliev avec son secrétaire Nicolas Johnson, un ancien officer de l’artillerie (fils d’une dame de la Cour qui enseignait la musique et le chant dans les cours royales européennes). Dans la nuit du 11 juin 1918, un groupe de bolcheviks viendra les chercher en leur ordonnant de se préparer pour un transfert vers un lieu plus sûr. Ils sont jetés dans une voiture et conduits hors de la ville jusqu’à une zone boisée près du village de Motovilikha où tous deux seront froidement abattus.

Les corps de Mikhaïl Romanov et Nicolas Johnson n’ont jamais été retrouvés. L’exécution du grand-duc a été le prélude de la série de meurtres de membres de la famille Romanov, qui ont eu lieu entre juin 1918 et janvier 1919. En tout, dix-huit membres de la famille ont été tués pendant cette période. (Un grand merci à Damien B. pour ses recherches, ses documents et le texte)