unnamedvvvBlanche de Bourbon (1868-1949) rappela sa mère en ces termes : « À tous les vieux combattants des armées de la Tradition, j’ai le même attachement que vous et cela depuis une occasion qui coïncide avec des souvenirs les plus lointains de mon enfance. Il me semble vivre toujours cette scène : ma mère la Reine Marguerite m’a emmenée à l’une de ses visites aux Hôpitaux Militaires, je crois que c’était celui d’Estella. J’avais environ six ans. Je suis entrée à la main de Maman dans une salle avec une rangée de lits de chaque côté. Dans le premier, qui a attiré mon attention, il y avait un homme plein de bandages tachés de sang, qui cachait presque tout son visage avec ses mains. Son apparence était horrible et je me suis retirée vers la porte instinctivement, dans un mouvement de peur.

– Que fais-tu Blanche ? me demanda ma mère. Pourquoi ne t’approches-tu pas avec moi ? Et, comme ma seule réponse était d’éclater en sanglots, la Reine m’a pris la main et elle m’a dit : il faut les voir, les pauvres petits. Ils sont ainsi parce qu’ils nous défendent et plusieurs sont morts en luttant pour nous. Ils sont très bons et donnent leur sang et leur vie pour l’Espagne, pour ton père, pour moi et pour toi même. Je me suis rendu compte confusément de cela qu’elle voulait dire et, avec effort, je même suis quand même approchée du lit. Maman m’a pris dans ses bras et m’a fait donner un baiser sur le front du pauvre soldat, qui était peut-être moribond. »

Marguerite de Bourbon, Princesse de Lucques puis de Parme et Plaisance est née le 1er Janvier 1847 au Palais ducal de Lucques, dans l’actuelle Toscane.

La même année (17 Décembre), s’éteignit la veuve de Napoléon Bonaparte, Marie Louise d’Autriche Duchesse de Parme et Plaisance à titre viager. Mais, les parents de Marguerite, demeurèrent encore quelques années dans le petit Etat qu’ils avaient reçu en compensation.

unnamednjLe père de la petite fille, Charles de Bourbon, Prince de Lucques était l’héritier du trône parmesan et plaisantin. Il était officier de cavalerie au service de la Sardaigne, le royaume appartenant à la Maison de Savoie, sa famille maternelle

unnamedrtLa mère de Marguerite, Louise d’Artois était la fille du Duc et de la Duchesse de Berry, petite-fille de Monsieur, Comte d’Artois, depuis notre Roi Charles X. Elle était appelée Mademoiselle (tout court) par les Français car elle était l’aînée (et la seule) des Petites-filles de France et des autres Princesses du sang demeurant à la Cour de ce Royaume.

Louise et son frère Henri, Duc de Bordeaux furent les consolations du Roi Charles X, qui les éleva après la Révolution de 1830 et le remariage de leur mère, de son fils le Dauphin (Louis XIX à la mort de son père) et de la Dauphine (Madame Royale, fille du Roi Louis XVI et de la Reine Marie Antoinette).

Ce couple avait pris le nom de Comte et Comtesse de Marnes. Le Duc de Bordeaux était appelé quant à lui le Comte de Chambord.

Louise d’Artois passa donc son adolescence auprès de ces personnes qui édifièrent sa personnalité. Elle devint une belle jeune femme, dont les traits rappelaient ceux du regretté Duc de Berry. Son tempérament était décrit en ces termes : franche, résolue et joviale, spirituelle et vive, aimant se répandre en saillies. Sa conversation était un mélange d’aménité, de dignité, de naturel et de verve. Grande lectrice, elle avait appris plusieurs langues étrangères, les littératures d’Europe, l’histoire et le droit public

unnamededSon mariage avec le fils de l’Infant Charles, frère et successeur du Roi Ferdinand VII d’Espagne, aurait été envisagé quand Charles X régnait encore en France, comme une nouvelle preuve de l’étroite union depuis le XVIIème siècle entre la France et l’Espagne. Mais le projet fut abandonné lorsque la loi salique fut remise en cause dans ce pays et que l’Infant Charles devenu Roi Charles V pour ses partisans, dut partir en exil et laisser le trône à sa nièce Isabelle (1833).

A ses dix-huit ans (1837), l’oncle de notre princesse, le Roi Ferdinand II des Deux-Siciles avait entrepris des démarches pour obtenir sa main et la donner à son frère Antoine de Bourbon, Comte de Lecce. La combinaison était intéressante puisqu’elle apportait honneur et sécurité matérielle. Mais la réputation de ce jeune oncle, grand coureur de jupons, laissait craindre que le bonheur ne serait pas au rendez-vous. Aussi Louis XIX et son épouse repoussèrent l’offre.

Ce fut finalement sur un autre jeune parent, le Prince de Lucques qu’ils arrêtèrent leur choix. Probablement en raison de sa position d’héritier d’un trône, même modeste. Thérèse de Savoie, sa mère et était par ailleurs la cousine germaine de l’ancien Dauphin, ce qui dut faciliter la réalisation du projet matrimonial.

Louis XIX était âgé de 68 ans et sa santé déclina rapidement. Louise et Henri furent présents aux côtés de leur tante pour le soutenir durant son agonie (1844) et durent sûrement penser beaucoup à lui lorsque le mariage avec le Prince de Lucques fut publiquement scellé, dans leur résidence de Frohsdorf, en Autriche en 1845.

L’Impératrice d’Autriche (1803-1884), sœur jumelle de la Duchesse de Lucques, fit aux jeunes gens et à leur famille l’honneur de sa présence. Ce fut d’ailleurs à l’occasion de la célébration de sa fête un 26 Juillet qu’elle aurait présenté sa nièce, la Princesse de Modène, à Henri V (le Comte de Chambord).

Le Duc de Lucques, père du marié, les accueillit chez lui en Allemagne, lors de leur voyage de noces. Il était le nourrisson du tableau de Goya représentant la famille de Charles IV, son grand-père, et à ce titre Infant d’Espagne de même que Grand Commandeur de l’Ordre de St-Jacques dans le Royaume de Castille.

unnamedthuL’Infant d’Espagne, Duc de Lucques aimait beaucoup résider dans son château de Weistropp, près de Dresde, où vivait sa sœur.

Homme cultivé, passionné par les études bibliques et liturgiques, il avait pris l’habitude d’assister aux cultes protestants à l’église du village (dont il était patron en tant que seigneur), ce qui ne manqua pas d’émouvoir les personnes les plus strictes des cours catholiques.

Il regretta beaucoup Lucques qu’il avait dû quitter après avoir repris possession de Parme et Plaisance en 1847. Et ses anciens sujets le regrettèrent également, une fois la colère d’avoir été cédés à la Toscane apaisée.

La naissance de Marguerite leur premier enfant fut l’aboutissement de ces premiers mois de bonheur tranquille.

La jeune princesse n’avait que quinze mois lorsqu’éclata, en Mars 1848, la Révolution à Parme.

Le Prince de Parme, arrêté à Crémone par les Piémontais, fut emprisonné. Conduit à Gênes, le gouvernement anglais organisa son transfert chez ses parents de Naples. La Princesse, enceinte, le rejoignit et ils s’embarquèrent pour l’Angleterre où ils vécurent quelques mois. A l’occasion de leur séjour dans ce pays hospitalier, le Prince et la Princesse de Parme se lièrent d’amitié avec la Reine Victoria et avec sa mère la Duchesse de Kent.

Malgré les dangers qu’ils avaient affrontés, l’année 1848 fut marquée par certaines coïncidences, qui n’avaient pas manqué de piquant pour les aïeux et parents de la jeune Princesse. La Duchesse de Berry et tous ceux qui partageaient ses vues, eurent la satisfaction de contempler le renversement par les Français de Louis Philippe d’Orléans qu’ils considéraient comme un monarque usurpateur depuis 1830.

De plus, en cette année 1848, ils eurent le plaisir d’apprendre les naissances d’agnats et successeurs supplémentaires aux trônes des Etats de leur grande famille : un petit frère pour Marguerite à Parme, un petit Joseph à Naples et un petit Charles dans l’actuelle Slovénie, dont nous reparlerons.

Après Robert (1848), une petite sœur, Alice rejoignit Marguerite dans sa pouponnière en 1849 et, en 1851, ils accueillirent Henri, qui fut titré Comte de Bardi, d’après une petite ville dans un beau terroir de l’arrière-pays parmesan commandé par un impressionnant château.

unnamedttGrand était l’orgueil d’appartenir à la Maison de France : tous furent nommés d’après les Capétiens de l’époque médiévale, leurs aïeux qui avaient eu l’honneur de donner des souverains à tant d’Etats européens au cours des siècles.

Le prénom de Marguerite rappelait la femme du Roi Louis IX (Saint Louis), Marguerite de Provence et sûrement la sœur de François Ier, Marguerite d’Angoulême. Allusion qui ne dut pas échapper au Duc Charles II, lequel ajouta les prénoms bibliques de Rachel et d’Abraham lors des baptêmes de ses deux derniers petits-enfants.

unnamedtyuuMarguerite avait deux ans lorsque son père monta sur le trône parmesan et devint le Duc Charles III après l’abdication du grand-père (1849). Le ménage ducal emménagea alors au palais de leur petite capitale.

unnamednjuiLeur tendre et affectueuse grand-mère de Savoie fut une personne importante pour Marguerite et ses frères.

unnamedbhuuIls passèrent souvent des vacances chez elle, à San Martino in Vignale, près de Lucques, où elle avait une maison.

unnamednjuuuuElle aimait y recevoir la visite de ses proches, parents de Parme et de Modène. Elle avait formé un des plus beau couple princiers de son temps avec son époux, mais en raison de leur manque de points communs, le Duc de Parme ne faisait que des séjours plus ou moins prolongés en sa compagnie. La Duchesse consacrait de longs moments à la prière et ne manquait sûrement pas de vouloir assurer à sa manière le Salut de son époux éloigné du catholicisme.

Charles, Thérèse et leur fils dans les années 1840.

unnamedtyuCette princesse avait également fait transformer un vieux moulin près de Lucques, en une magnifique villa, la Villa de Pianore (où naîtra en 1892 la nièce de Marguerite, Zita, la future Impératrice).

unnamednjuuEn Mars 1854, la famille dut faire face à un grand malheur.  Le Duc Charles III, revenant de sa promenade habituelle du dimanche, fut assassiné en chemin par un anarchiste. Marguerite et ses frères furent conduits auprès du lit taché de sang où leur père agonisait et duquel il les bénit avant de rendre l’âme.

Tragédie qui n’était pas sans rappeler à Louise la mort de son père, le Duc de Berry quand elle n’avait que cinq mois. On avait pris Mademoiselle de son berceau pour l’apporter en hâte à son père qui voulait la voir une dernière fois.  (Un grand merci à Jul pour cet article et toutes ses recherches – Copyright photos : DR)