unnamed

François-Joseph était fait pour ce rôle. A côté de lui, ses contemporains apparurent à peu près tous, ainsi que tous les souverains de son époque, comme des intermèdes (excepté la reine Victoria).

Cette personnification de la continuité apparut, du reste, plus fort par la longue suite des Habsbourg au pouvoir. Au tournant des grandes époques, nous trouvons toujours des figures qui dominent leurs rivaux ou leurs survivants, en les surpassant par leur ténacité, même quand ces opposants étaient des personnalités beaucoup plus entraînantes. Ainsi François-Joseph apparaît-il comme un nouveau Frédéric III, ce Habsbourg qui réussit à maîtriser une période de très graves crises et à poser les bases du grand miracle de la Maison d’Autriche qui devint visible sous Maximilien.

En contradiction avec cette image de François-Joseph, père et grand-père, tel qu’il apparaissait à la population, beaucoup d’historiens ont représenté le vieil empereur comme un bureaucrate impersonnel, un homme qui se serait montré formaliste dans le règlement des affaires et au cours de nombreuses audiences, et qui par là-même serait incapable de sentiments humains.

Certes, François-Joseph apparaît parfois sévère et hautain. Mais si l’on essaie d’approcher sa vraie nature, on reconnaîtra qu’il s’agissait pour lui d’un mouvement conscient de retenue voulu par sa fonction, comme nous pouvons aussi le retrouver, sous une autre forme, sous Charles V.

C’est bien pourquoi François-Joseph a essayé d’écarter dans son action politique ce qui relève de l’homme, pour, comme le dit Grillparzer, n’être que « l’empereur qui ne meurt jamais ».

unnamed7

François-Joseph assistant à une procession religieuse dans les rues de Vienne.

Cette attitude qui fut pour beaucoup si incompréhensible, ne peut être saisie qu’à la lumière de la situation du vieil empereur, eu égard à son rang transcendant. Pour François-Joseph, homme profondément religieux, le pouvoir était justement avant tout une responsabilité vis à vis de Dieu. C’est ainsi que s’explique aussi le concept de « droit divin » à propos duquel il fut tant écrit et que cependant personne ne semble comprendre.

Être un souverain de droit divin ne signifie nullement que celui-ci croit que des prérogatives particulières aient été accordées par Dieu à lui et à sa dynastie. Ce principe dit seulement que tout pouvoir, à l’origine, vient d’en haut, de même que toute vie dérive de son créateur. Mais cela veut dire aussi que, néanmoins, il devra un jour être rendu compte de ce pouvoir, et que par conséquent, ce dernier ne doit être exercé que dans un sens qui correspond aux prescriptions de la morale et à l’ordre de la conscience.

unnamed8

alice offert par l’empereur à la cathédrale Saint-Étienne en 1908, à l’occasion de ses 60 ans de règne.

Ainsi perçu, le droit divin auquel François-Joseph était fermement attaché, est précisément l’antithèse de la volonté de puissance, de même que l’empereur devait être le pôle opposé du principe en vigueur à la cour florentine.

Cette conception des racines profondes du pouvoir conduit presque obligatoirement à la création de cette personnalité du régent que nous trouvons chez François-Joseph. Celle-ci prend la prééminence sur l’homme, dans son rôle public et pratiquement dans tout le cours de la vie d’un tel souverain scrupuleux, l’homme s’effaçant inconsciemment devant le chef d’État.

unnamed9

L’empereur à la chasse dans les forêts d’Ischl, à plus de 80 ans.

De façon significative, beaucoup d’historiographes n’ont pas reconnu ce fait dans le cas de François-Joseph. Le peuple, par contre, avec son jugement sain, fut capable de reconnaître chez l’empereur, l’homme sensible.

Tout récemment, la publication de la correspondance privée du vieil empereur a beaucoup contribué à la connaissance de son vrai caractère. Instructives aussi sont les journées de congé annuel qu’il s’accordait dans les montagnes de son pays d’enfance, près de Ischl.

Là, il était chasseur et montagnard, un homme simple et heureux d’échapper quelques heures à sa lourde tâche.

unnamed10

L’empereur à son bureau de Schönbrunn : le tableau peint par Franz Matsch, fut terminé seulement trois jours avant sa mort.

On a reproché à François-Joseph d’avoir supporté les coups du sort qui l’ont atteint sans en être affecté extérieurement. Particulièrement, on porte à sa charge le fait que, lors du drame de Mayerling, alors que son fils était mis en bière, il continua de s’adonner aux affaires de l’État comme s’il ne s’était rien passé.

On a bien sûr oublié de parler de son accomplissement inconditionnel du devoir durant ces heures où il fut personnellement ébranlé lorsque, au cours de la terrible nuit de janvier 1889, les cheveux de l’empereur, qui la veille encore étaient foncés, blanchirent en peu de temps. C’est à partir de ce moment-là qu’il fut le « vieil empereur ».

La distance que l’on rencontre dans la personnalité du souverain était nécessaire, avait pour dessein de permettre à François-Joseph d’accomplir pleinement sa mission légitime.

Il n’a pas besoin de propagande, car la grande force de sa légitimité vient de sa capacité à supporter les revers.

Il lui est également donné, dans le domaine de l’exercice du pouvoir de prendre, dans l’intérêt supérieur, des décisions mêmes impopulaires parce qu’il a pour lui le bien inestimable qu’est le temps. Il peut attendre jusqu’à ce que les événements à venir lui donnent raison. Il n’a pas besoin sans cesse des applaudissements de la galerie qui sont indispensables à l’homme politique actuel.

unnamed11

L’uniforme de campagne autrichien en version hongroise avec ses lacets à la hussarde et ses ornements élaborés au niveau des manches inférieures.

La qualité de souverain ne lui donne pas du reste le droit d’avoir des amis ou d’écouter des favoris. Il ne doit rien céder non plus lors de futiles conversations. On a souvent reproché à François-Joseph de n’avoir traité que d’affaires spécialisées avec ses innombrables visiteurs. Sans tenir compte du fait que, de cette manière, la réserve personnelle était sauve et qu’une autre solution aurait été incompréhensible à cette époque-là, si l’on pense au nombre de personnes qui rendent visite chaque jour au vieil empereur.

Il a en effet donné la possibilité à chacun de ses sujets de présenter personnellement au souverain ce qu’il souhaitait. De façon pertinente, le comte de Saint-Aulaire remarque que, dans le monde démocratique d’aujourd’hui, il y aurait à peine un chef d’État que l’on puisse approcher aussi facilement comme ce fut le cas du temps de François-Joseph.

unnamed12

Ce fait était aussi, psychologiquement parlant, d’une grande importance. Car comme chacun avait la possibilité de voir l’empereur, l’Empire n’était pas une machine inhumaine, impersonnelle, telle que les grandes bureaucratie ont trop fréquemment coutume de devenir.

L’Autriche-Hongrie avait un visage, cette chaleur qui rendait superflu de donner le change par des moyens artificiels. Les innombrables audiences avaient d’autre part l’avantage de donner au souverain, doué d’une excellente mémoire, une solide connaissance des personnages, de lui procurer un réservoir dans lequel il pouvait puiser quand c’était nécessaire. (Merci à Francky)