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Dans la nuit du 20 au 21 janvier 1936, Georges V rendit l’âme. Bien que très aimé de la nation britannique, il était d’un tempérament plutôt taciturne. Le petit-fils de Victoria était un monarque entre deux mondes. Né avant l’apogée du règne de son illustre grand-mère, il connut l’entrée de son empire dans la modernité – il fut le premier roi dont les sujets entendirent la voix à la radio – et s’endormit pour toujours avant que le soleil ne finisse par se coucher sur le quart de l’humanité.

 

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L’avènement de David, tel était son prénom, marqua une rupture très marquée. Même si, pour régner, le nouveau souverain choisit de prendre le même prénom que son grand-père, la continuité dynastique se limita à cette décision. Lorsqu’il était prince de Galles, David fut très aimé de la population. Il était le prince charmant tel qu’on se le représentait et que l’on pouvait idéaliser, à la fois grand séducteur et homme de son temps qui manifestait de l’intérêt pour les questions sociales lorsque, dans le même temps, les travaillistes formaient pour la première fois un gouvernement. (Illustration : David ordre Jarretière)

En 1936, toutefois, le beau tableau qui évoquait lointainement le portrait de Dorian Gray portait une ombre sous l’encadrement doré de sa toile en majesté. Le nouveau roi n’était pas encore marié. Certes, Victoria elle-même était montée sur le trône en célibataire, mais elle n’avait que dix-huit ans. Son arrière-petit-fils avait déjà 41 ans. L’heure n’était plus aux frasques de jeunesse, et même si la pérennité de la dynastie était assurée en ligne collatérale, le peuple attendait de son souverain qu’il fit un mariage respectable. Or Édouard VIII était amoureux, et l’objet de sa flamme n’était guère présentable. Sa liaison avec Wallis Simpson, née Warfield, allait provoquer la plus grave crise constitutionnelle de la monarchie depuis le XVIIe siècle.

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Édouard VIII pensa que son extrême popularité pouvait l’aider à aplanir les difficultés. En tant que prince de Galles, il avait servi sous les drapeaux durant la Première Guerre mondiale, puis parcouru l’Empire comme jamais avant lui un prince ne l’avait fait. Il incarnait une monarchie moderne, enracinée de plain-pied avec son époque, peut-être un peu trop pour ne pas éviter l’écueil d’une rupture trop marquée avec la tradition. A cet égard, le choix de sa résidence était significatif. Situé dans le domaine du château de Windsor, Fort Belvedere, en dépit de ses tours de style anglo-normand, était un temple de la modernité et surtout une retraite royale à l’abri des contraintes de la cour, loin de rigueurs protocolaires. Wallis Simpson en devint rapidement la maîtresse de maison.

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Tout à sa passion, le roi délaissait les affaires de l’État, ou plutôt, conviendrait-il de dire que ses projets de mariage avec une Américaine sur le point de divorcer de son deuxième époux constituait, à ses yeux, sa seule affaire d’État. De fait, c’en était une et la crise, qui couvait, n’allait pas tarder à éclater. Un simple détail suffit pour en révéler la dimension. Au début de l’été 1936, Édouard VIII avait été invité à inaugurer le nouvel hôpital d’Aberdeen (Écosse) le 23 septembre. Prétextant qu’il portait encore le deuil de Georges V, il avait décliné l’invitation, se faisant représenter par son frère le prince Albert, duc d’York. Or, le jour même de l’inauguration, Édouard VIII, qui se trouvait à Balmoral depuis quelques jours, se rendit en voiture à Aberdeen… mais à la gare, pour y accueillir Wallis Simpson qui arrivait de Londres !

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Et tandis que la tragédie s’avançait à grand pas, les préparatifs du couronnement suivaient leur cours…

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A l’époque, la boîte de Pandore médiatique n’avait pas encore été ouverte, et la presse voilait sous un silence respectueux l’inconduite du monarque. Toutefois, comme le fit remarquer à Édouard VIII son secrétaire particulier, Alexandre « Alec » Hardinge, le mutisme de la presse ne pouvait pas durer éternellement et, le 13 novembre, celui-ci exhorta le roi, en des termes diplomatiques,  à « exiler » Mme Simpson avant que le désastre ne soit consommé et ne provoque une onde de choc dans l’opinion publique.

Furieux, le roi décida d’agir et, trois jours plus tard, annonça au Premier ministre Stanley Baldwin sa ferme intention d’épouser Wallis Simpson dès la finalisation de sa procédure de divorce (le jugement conditionnel avait été rendu le 27 octobre). Édouard VIII déclara à Baldwin qu’il préfèrerait se marier en tant que roi, mais que si cela lui était impossible, il abdiquerait. Fin novembre, le souverain espérait encore qu’un mariage morganatique pouvait offrir une solution, sinon honorable, du moins acceptable. Cependant, cette éventualité était conditionnée à l’approbation des territoires d’outre-mer (Dominions) de l’Empire qui, du point de vue constitutionnel, avaient leur mot à dire.

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Le 28 novembre au petit matin, Stanley Baldwin télégraphia aux autorités du Canada, d’Afrique du Sud, d’Australie, de Nouvelle-Zélande et de l’État libre d’Irlande, pour les consulter sur cette question épineuse. Dans leur diversité d’expression, la négativité des réponses ne laissait planer aucun doute sur la position des Dominions. D’un mariage royal, fût-il morganatique, il ne pouvait être question.

Le scandale fut mis sur la place publique début décembre à la faveur d’un discours de l’évêque de Bradford lors de la Conférence diocésaine, non pour condamner la liaison royale, mais pour reprocher au roi son manque d’assiduité à l’office dominical ! Il n’en fallut pas davantage pour mettre le feu aux poudres, et dès lors, la presse qui jusque là était muette abandonna toute retenue sur le sujet. Menacée physiquement, Wallis Simpson quitta l’Angleterre dans la nuit du 3 décembre pour se réfugier à Cannes… avec dans ses bagages, des bijoux d’un montant de 100.000 £.

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Illustration : Daily Express 8 décembre 1936

Le drame royal, qui venait d’atteindre des sommets, approchait de sa conclusion. En dépit des appels de Wallis à la fermeté, le roi faisait face à sa défaite d’Alésia, et il dut déposer les armes. Ce fut chose faite le 10 décembre 1936, lorsqu’il signa son acte d’abdication en présence de ses frères, par lequel il renonça au trône pour lui-même et ses descendants. L’abdication fut rendue publique le lendemain, peu avant 14 heures.

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Dans le but d’inscrire son nouveau règne dans la continuité de celui de son père, le duc d’York prit le nom de Georges VI. David, qui venait de se détrôner lui-même, insista pour adresser un message d’adieu à ses peuples. Le directeur de la BBC, Sir John Reith, avait prévu de le présenter en tant que « Monsieur Édouard Windsor ». Le nouveau roi s’inscrivit en faux et donna pour consigne de présenter l’ex-roi comme « Son Altesse Royale le prince Édouard ». Peu après, le premier acte du règne du roi Georges VI fut de conférer à son frère aîné le titre de duc de Windsor.

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Après un ultime dîner d’adieu à la famille royale à Royal Lodge, alors résidence des York, le nouveau duc s’embarqua pour l’exil dans la nuit du 12 au 13 décembre, à Portsmouth, à bord d’un navire au nom prédestiné, le HMS Fury. C’est seul qu’il partit rejoindre sa bien-aimée, aucun de ses serviteurs personnels n’ayant accepté de l’accompagner. Ainsi s’acheva une année de tristesse et de tensions continuelles, que l’Angleterre surnomma « l’année des trois rois ». (Un grand merci à Actarus pour cet article)

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