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 Durant ces années passées à se battre avec et contre la Sublime Porte, Maurice de Hirsch passait d’un côté à l’autre du continent européen, Clara, épousée en 1855, soit trente-trois ans auparavant, l’avait suivi la plupart du temps. Si la famille de Hirsch était noble depuis 1818, date à laquelle Joseph, le père, fut admis dans l’ordre de la noblesse bavaroise et put s’appeler Hirsch au Gereuth, il ne devint baron qu’en 1869, en même temps que son père qui se vit reconnaître ce titre héréditaire par le roi Louis II de Bavière en remerciement des services financiers rendus lors de la guerre austro-prussienne de 1867, Louis II s’étant rangé du côté de l’Autriche, à laquelle il tenait par son sang paternel Wittelsbach, contre la Prusse à laquelle il tenait par son sang maternel Hohenzollern.

Maurice de Hirsch a quatre frères et soeurs :

  • Amélie (1834) épouse de Henri Bamberger (1826-1908) banquier et cousin germain de Clara.
  • Emile (1838 )époux de Mathilde Landenburg
  • Théodore (1837) époux de Marie Alice Pilié
  • James (1843-1896) époux en premières noces de Marguerite Dalglish et en secondes noces de Zénaïde de Poliakoff, fille de Samuel de Poliakoff, Conseiller d’Etat de l’Empire de Russie, dont il sera parlé plus loin.

 

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James de Hirsch

Clara Bischoffsheim de son côté était au coeur d’un réseau familial important et de premier ordre. Son père, Jonathan-Raphaël Bischoffsheim (1808-1883) et sa mère, née Henrietta Goldschmidt (1812-1892), ont eu trois enfants, outre Clara :

  • Régine (1834-1905) épouse de Leopold Benedict Hayum Goldschmidt (1830–1904), banquier. Dans leur descendance on trouve outre les grands noms de la banque juive au XIXe siècles, les Pastré, les Voguë, les d’Ormesson
  • Ferdinand Raphaël Bischoffsheim ( 1837-1909) banquier, marié à Mary Paine (1859–1900). Il fut reçu au Cercle de la Rue Royale en 1873, à la grande jalousie de Maurice, qui ne réussit jamais à y être admis.
  • Hortense (1843-1901) épouse de Georges Montefiore-Levi (1832-1906) ingénieur et industriel.Ses oncles et tantes sont

1- Louis Raphaël Bischoffsheim (1800–1873), banquier, fondateur de Bischoffsheim, Goldschmidt & Cie, marié à Amalia Goldschmidt (1804–1887), fille de Hayum Salomon Goldschmidt (1772–1843), banquier. Leur descendance est mariée chez les Ephrussi, les Rothschild et dans l’aristocratie anglaise avec un mariage avec le fils du duc de Wellington.

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Louis-Raphaël Bischoffsheim

 

2 – Amelie Bischoffsheim (1802–1877)3, mariée à August Bamberger (1790–1858), marchand de textiles et banquier. Un cousin Bamberger est marié à une soeur de Maurice de Hirsch

3 – Clara Bischoffsheim (1810–1876), mariée à Meyer Joseph Cahen d’Anvers (1804–1881), banquier. Leur descendance se trouve dans la famille Cahen d’Anvers famille française juive, originaire d’Allemagne et de Belgique, qui porte le titre de comte, qui comprend des Montefiore, des Rothschild, des Camondo, mais aussi des Faucigny-Lucinge et des Murat.

Le neveu de Clara, Maurice Bischoffsheim (1875–1904), fils de Ferdinand, banquier, fut marié à Marie-Thérèse de Chevigné (1880–1963), fille de la comtesse Laure de Chevigné, un des modèles de la duchesse de Guermantes de Marcel Proust. Leur fille n’est autre que Marie-Laure Bischoffsheim (1902-1970) épouse de son cousin, le vicomte Charles de Noailles. Le couple fut certainement parmi les plus grands mécènes du XXe siècle. Cocteau, Bunuel, Mallet-Stivens et bien d’autres furent leur protégés. Le petit-fils du couple, Charles de La Haye-Jousselin a épousé Esmeralda Maciotti, petite fille de Bianca, des princes Colonna de Stigliano.

Les Bischoffsheim sont donc très riches mais aussi très bien apparentés et alliés, dans la haute banque israélite, comme dans l’aristocratie française et européenne.

La famille proche de Maurice, neveux, oncles, cousins n’atteignit jamais le niveau de richesse de la famille de Clara, ni son niveau social et mondain, même si elle en fut proche. Les trois frères de Maurice s’installèrent à Paris en 1875. Emile et Théodore, venus faire fructifier l’affaire familiale de bière, achetèrent un des hôtels des Maréchaux à l’Etoile. Emile s’installa au rond-point des Champs-Elysées.

En 1873, au début des affaires orientales de Maurice, le couple s’est installé à Paris de façon grandiose en achetant un hôtel particulier, 2 rue de l’Elysée, à l’angle de l’avenue Gabriel comprenant trois étages dont les fenêtres donnaient sur la rue et sur un jardin s’étendant jusqu’à l’avenue.

 

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Hôtel de Hirsch 2 rue de l’Elysée

La vente s’est conclue moyennant le prix de deux millions sept cent mille francs-or ( environs 11 millions d’euros aujourd’hui). Le vendeur n’était autre que l’impératrice Eugénie. Se trouvant à l’étroit dans un tel l’immeuble, Maurice de Hirsch acheta le 4, 6 et 8 rue de l’Elysée moyennant un prix dit raisonnable puis les 24 et 25 Avenue Gabriel, pour le prix de trois millions cinq cent mille francs-or ( 13,5 millions d’euros)

 

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Hôtel de Hirsch, 24 avenue Gabriel

Le premier corps de bâtiment – celui qui a été conservé – comprenait un office, une cuisine en sous-sol et une grande salle à manger éclairée par des fenêtres donnant sur la rue de l’Élysée et sur le jardin, ornée de belles boiseries rocaille en chêne ciré provenant du château de Bercy et de dessus-de-porte peints par Jean-Baptiste Monnoyer, ensemble toujours en place aujourd’hui. Cette pièce se prolongeait par un grand salon blanc lambrissé, dont la rotonde ouvrait sur une terrasse, et dont les vitrines renfermaient une collection de porcelaines de Saxe, et par deux petits salons. Ces pièces étaient commandées par un vestibule de marbre blanc accessible depuis le 2 rue de l’Élysée.

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 Dessin et plan de coupe de l’Hôtel de Hirsch

De l’autre côté de ce vestibule partait une grande galerie qui reliait ce corps de bâtiment au deuxième corps de logis sur l’avenue Gabriel. Cette galerie était ornée de deux commodes de marqueterie de Boulle payées 500 000 francs-or pièce. Elle desservait une salle des fêtes de style Louis XIV capable d’accueillir 2 000 invités, éclairée par huit lustres en cristal de Bohême et des paires d’appliques assorties, dont les portes recouvertes de miroir imitaient la galerie des glaces du château de Versailles. De l’autre côté, une véranda-serre se développait sur le jardin. À l’extrémité de la galerie, dans le second corps de bâtiment, se trouvait un escalier d’honneur spectaculaire.

 

8-escalier-hotel-de-hirschEscalier d’honneur

« Réalisé dans un marbre blanc veiné de vert, l’escalier débutait par une volée centrale de seize marches en ligne droite dont la première mesurait sept mètres de large. Cette première volée aboutissait à un palier intermédiaire d’où partaient des volées latérales avec d’autres paliers intermédiaires conduisant au premier étage qui ouvrait sur des salons de réception et le jardin d’hiver. Les murs et le plafond de la cage d’escalier étaient agrémentés de motifs ornementaux. De chaque côté de l’escalier, dans des niches creusées à cet usage, on avait disposé deux grandes vasques en brocatelle d’Espagne, soutenues par des amours en marbre blanc de Carrare, inspirées du fameux bénitier de Saint-Pierre de Rome ! Une rampe en marbre vert ciselé, avec une main courante en bronze, menait aux trois balcons de la loggia. Les plafonds à sujets mythologiques de la cage d’escalier étaient signés par un peintre du nom de Chevallier. Aux murs étaient exposées diverses toiles dont un paysage de Ruyter et un imposant portrait équestre de Louis XIV par Van der Meulen. Dans les angles étaient accrochés quatre grands cartouches dont le fond en marbre vert était incrusté de têtes de cerfs avec cors en bronze, chutes de feuilles et ornements divers. La maçonnerie et la peinture de l’escalier avaient coûté la coquette somme de 1400000 francs à laquelle s’ajoutait un million supplémentaire pour la décoration. »

Dans la collection de Maurice de Hirsch figurait le “Joueur de flûte” de Franz Hals, aujourd’hui à Berlin

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Le Joueur de flûte – Franz Hals Gemäldegalerie, Berlin

et le “Portrait d’une famille bourgeoise de Van Dyck, aujourd’hui au Musée de l’Ermitage à St-Petersbourg

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Portrait de famille – Van Dyck 1621 – Musée de l’Ermitage

Le deuxième corps de bâtiment comprenait un sous-sol aménagé avec une grande cuisine, deux garde-manger, deux pièces pour le chef de cuisine, la buanderie, trois calorifères, un rez-de-chaussée, deux étages nobles et deux étages de comble, comprenant six pièces de réception et une vingtaine de chambres avec sanitaires, le tout desservi par un ascenseur. Le premier corps de bâtiment comprenait quant à lui, entre l’entresol, le premier, le deuxième étage et les combles environ une trentaine de chambre avec sanitaires.

Un troisième bâtiment, destiné aux communs et aux écuries, comprenait un sous-sol, un rez-de-chaussée, un premier étage avec une vingtaine de pièces, trois sanitaires et des combles partiellement aménagés. Au rez-de-chaussée se trouvait une remise pour huit voitures, une écurie pour dix-huit chevaux, trois box et une luxueuse sellerie. Maurice, Clara et leur fils Lucien y menèrent un train de vie fastueux donnant les plus belles fêtes de Paris, et ce jusqu’en 1887, à la mort de Lucien.

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Maurice de Hirsch sur la terrasse donnant avenue Gabriel

Aujourd’hui, les hôtels des numéros 2 et 4 de la rue de l’Élysée abritent des services de la Présidence de la République française, notamment la cellule diplomatique dans le bel hôtel du no 2, acquis par l’État en 1967 pour abriter le secrétariat aux Affaires africaines et malgaches. Les numéros 6 et 8 sont des résidences privées.

 

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 Partie de l’Hôtel rue de l’Elysée aujourd’hui

Le corps de bâtiment du no 24 avenue Gabriel a été démoli vers 1960 et a été remplacé par un luxueux immeuble en copropriété. Le jardin est désormais coupé en deux, mais les grilles d’origine ont été conservées. Ce qui subsiste de l’hôtel de Hirsch au no 2 rue de l’Élysée est inscrit sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.

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Ce qui reste  aujourd’hui de la façade sur jardin avenue Gabriel

 “L’impératrice Eugénie, un jour, voulut revoir ces lieux où elle avait goûté les joies de l’existence libre, où elle avait été heureuse. Elle visita tout ce qui demeurait de son ancienne résidence, la salle à manger de chêne, sa chambre et son petit boudoir bleu. Devant le panneau de Jourdan où sourit son fils, elle pleura.

–Merci! disait-elle à la baronne de Hirsch, merci d’avoir conservé ainsi tout cela. Ce boudoir!… On croirait que je viens d’en sortir hier…

Quelles figures vieillies ou évanouies avaient pu se lever, dans les souvenirs de l’auguste visiteuse, autour de l’effigie de l’enfant blond… les belles amies d’autrefois… les souriantes femmes des décamérons fixés par Winterhalter: Mme de Pourtalès, Mme de Galliffet, Mme de Metternich… tout le passé!…” ( L’Illustration – 23 décembre 1905)

 

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Boudoir de l’impératrice Eugènie; conservé par Clara de Hirsch

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Ronde d’enfants par Jourdan, panneau Hôtel de Hirsch avec le prince impériale au milieu du groupe

La présente description de l’hôtel de Hirsch provient des descriptions faites par Dominique Frischer dans “Le Moïse des Amériques : Vies et œuvres du munificent baron de Hirsch”. (Paris, Grasset, 2002), celles de Félix de Rochegude, “Promenades dans toutes les rues de Paris. VIIIe arrondissement”, (Paris, Hachette, 1910) et celles d’Édouard Drumont, dans “La France juive, essai d’histoire contemporaine”, (Paris: Éditions du Trident, 1930). Pour l’antisémite Dumont, tout ceci n’était que l’étalage d’un luxe indécent et de mauvais goût.

Theodor Herzl, venu présenter au baron de Hirsch son projet de création d’un état juif en Palestine, y vit : « Un palais ; une cour majestueuse, les escaliers latéraux aux nobles proportions ; et surtout l’escalier principal grandiose, autant d’éléments qui m’impressionnèrent. La richesse ne me fait de l’effet que sous forme de beauté. Et là, tout était beauté véritable. Les tableaux de grands maîtres, les marbres, les discrets Gobelins ! Bon sang ! En médisant de la richesse, nous avons négligé ces accessoires. Tout y était vraiment de grand style et, un peu hébété, je me laissais guider d’un valet à l’autre. » (Theodor Herzl, The Complete Diary, tome I, éd. R. Patan, New York et Londres: Herzl Press and Th. Yoseloff, 1960).

Selon le secrétaire de Clara de Hirsch, si les pièces de réception étaient magnifiquement meublées, il n’en était pas de même du reste de la demeure meublée sans recherche avec un mobilier hétéroclite. L’essentiel était de montrer sa richesse dans ce qui était accessible au public.

Les différentes demeures des Rothschild, le musée Nissim de Camondon ou le musée Jacquemart-André peuvent donner une idée de ce que fut le luxe éblouissant de l’Hôtel de Hirsch. (Merci à Patrick Germain pour cette 4ème partie de récit)

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Musée Nissim de Camondo