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Türkenhirsch

 Maurice de Hirsch devait quitter son bel hôtel bien souvent car les aléas de la politique étaient malgré tout présents. Il s’était engagé avec Fuad-Mehmed Pacha et Ali Pacha, pro-occidentaux modernistes mais à la mort de celui-ci, le nouveau Grand Vizir fut Mahmoud Pacha, russophile, voyant d’un mauvais oeil, comme Saint-Petersbourg, la progression des intérêts autrichiens dans les Balkans vers Istanbul. Il décida d’empêcher le raccordement du réseau ferré en construction avec le centre de l’Europe. Le Tsar voulait que l’empire ottoman soit d’abord relié à son pays.

En 1872, il fut décidé par le vizir que la partie bosniaque du réseau ne serait pas construite, soit un tiers du réseau. Cela arrangeait en réalité Maurice de Hirsch car c’était la partie la plus difficile à construire, en raison de la nature du terrain.

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Lignes réalisées et non réalisées par Hirsch 1869-1872

La concession de 1869 fut résilié et la “Société Impériale des Chemins de fer  de l’Empire Ottoman d’Europe” ne fut plus considérée que comme un entrepreneur travaillant pour le compte du gouvernement ottoman, qui prenait la responsabilité de l’opération. Mais la “Compagnie d’Exploitation des Chemins de Fer Ottomans” continuait à devoir payer la rente kilométrique de 8000 Francs. Hirsch fit alors ajouter dans le contrat de résiliation une clause qui n’obligeait  la compagnie à payer cette rente que si “la chose louée produit de fortes recettes et si le trafic est actif”.

En réalité ce nouveau contrat signé le 18 mai 1872 libérait Maurice de Hirsch de toute obligation car le gouvernement ottoman “reste le débiteur unique et direct, tant pour le paiement des intérêts que pour l’amortissement des primes.” Hirsch n’était donc plus solidaire vis-à-vis des souscripteurs.

Entre août 1872 et décembre 1874, il réussit à construire cinq tronçons. Mais en raison de diverses tergiversations du gouvernement ottoman, et peut-être pour satisfaire les russophiles, les 1500 kilomètres des cinq lignes n’étaient reliés à aucune liaison ferroviaire internationale.

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Les premiers wagons de ce qui sera l’Orient-Express

Ils accusèrent Hirsch de ne pas avoir livré des lignes en conformité. Il finit par gagner tous les procès. Le gouvernement turc ayant repris les obligations de Hirsch fut incapable d’honorer les dettes contractées, à travers le même Hirsch qui a avait agi comme prêteur en son nom propre et au nom de la Banque de Paris et des Pays-Bas, des banques Camondo, Cahen d’Anvers, Bischshoffeim et Golsdchmidt, tous ses parents. Des porteurs de part autrichiens essayèrent d’appeler Hirsch en solidarité du gouvernement ottoman. Mais les tribunaux viennois jugèrent qu’il n’y avait pas de raison de le faire car le contrat initial de 1869 avait résilié par la Sublime Porte. Seul l’empire ottoman était responsable de la dette. Après négociation avec les créanciers sur la baisse du montant de la créance la Banque Impériale Ottomane, qui avait pris en main le Trésor turc, réussit à recommencer les paiements.

Les Balkans étaient une poudrière et un certain nombre de conflits virent le jour de la signature de la convention de 1869 à l’inauguration de la ligne Vienne-Istanbul, but ultime de la construction ferroviaire, le 12 août 1888.

Le conflits franco-allemand de 1870, s’il n’intéressait pas directement les Balkans, eut tout de même des répercussions sur les places financières près desquelles Maurice de Hirsch cherchait les capitaux nécessaires.

En 1875, des révoltes contre l’empire ottoman éclataient en Bosnie. En 1876, éclatait la guerre entre l’empire ottoman et la Serbie, soutenue par la Russie. En 1878, le Traité de San Stefano fut catastrophique pour l’empire Ottoman, dont le démembrement effectif commençait.

La plus importante disposition de ce traité est la reconnaissance de l’indépendance de la principauté de Bulgarie, englobant la quasi-totalité des “bulgarophones”, soit la plus grande partie de la Macédoine et s’étendant de la mer Égée au Danube et à la mer Noire. Cette principauté autonome serait vassale et tributaire de La Porte mais le prince serait choisi par la Russie.

L’indépendance de la principauté de Serbie, de la principauté du Monténégro et de la principauté de Roumanie est aussi reconnue. La Roumanie cède le sud de la Bessarabie à l’Empire russe et reçoit la moitié nord de la Dobroudja, en échange de la moitié sud, qui devient bulgare ; la Bosnie-Herzégovine devient autonome.

Dans le Caucase, la Russie reçoit des portions de territoire de l’Empire ottoman peuplées de Géorgiens et d’Arméniens (Ardahan, Artvin, Batoumi, Kars, Oltu et Bayazet). Dans l’Empire ottoman même, le sultan s’engage à garantir la sécurité de ses sujets chrétiens. Le Royaume-Uni et l’Autriche-Hongrie ne voient pas ce traité d’un bon oeil car il accroit l’influence et la présence russe dans les Balkans. Ils s’y opposent donc. Un nouveau traité est nécessaire.

4-le-congres-de-berlin-par-anton-von-werner-berliner-rathausLe Congrès de Berlin par Anton von Werner Rathaus à Berlin

Le Traité de Berlin fut signé le 13 juillet 1878. Le congrès de Berlin s’était tenu sous la présidence du chancelier Bismarck. Y participèrent outre l’Allemagne, la Russie, le Royaume-Uni, l’Autriche-Hongrie, la France, la Grèce, l’Italie, la Serbie et bien entendu l’empire Ottoman.

Les résultats furent les suivants.

La Bulgarie est divisée en deux :

– une principauté vassale de jure de l’Empire ottoman, allant du Danube aux contreforts des Balkans ayant Sofia pour capitale

– les terres peuplées de Bulgares de la partie méridionale des contreforts des Balkans devenant autonomes à l’intérieur de l’Empire ottoman, la province de Roumélie orientale ; elle est amputée de la Macédoine, qui reste ottomane, de la mer Adriatique à la mer Égée. L’Empire ottoman conserve le droit de disposer de garde-frontières en Bulgarie.

La Thrace et l’Albanie demeurent également ottomanes. Dans ces provinces, ainsi qu’en Crète et en Arménie occidentale, l’Empire ottoman promet d’appliquer le règlement de 1868 protégeant les populations chrétiennes et leur donnant les mêmes droits qu’aux populations musulmanes.

La Principauté du Monténégro et la Principauté de Serbie deviennent indépendants de l’Empire ottoman, mais perdent les territoires reconnus par le traité de San Stefano ; en revanche la Serbie obtient des territoires, bulgares à San Stefano, du côté de Pirot.

Le Monténégro, qui au traité de San Stefano avait reçu le port d’Antivari sur la mer Adriatique, se voit refuser le droit d’y entretenir une flotte, tandis que le contrôle maritime et sanitaire du port est dévolu à l’Autriche-Hongrie.

 

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Les Balkans après le Traité de Berlin

La Roumanie voit son indépendance, proclamée le 9 mai 1877, reconnue par les Puissances et reçoit les deux-tiers nord de la Dobroudja avec le delta du Danube.

L’Autriche-Hongrie obtient le droit d’occuper la Bosnie-Herzégovine (demeurée nominalement ottomane) et d’entretenir des garnisons à la frontière entre la Serbie et le Monténégro, dans le Sandjak de Novibazar (ou Rascie) demeuré à l’Empire ottoman.

Le Royaume de Grèce se voit promettre un aménagement frontalier en Thessalie et Épire, qui sera concrétisé en 1880.

Le résultat de ce traité fut l’apparition du terme balkanisation pour signifier émiettement territorial. Il contenait, suite au mécontentement de tout le monde, les germes d’un conflit qui éclata le 2 août 1914, après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, à Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, le 28 juin 1914.

Maurice de Hirsch fut présent tout au long du Congrès de Berlin car ses intérêts majeurs étaient en cause. Il avait traité avec un état sur un territoire et ce territoire changeait de main. Mais le comte Andrassy, ministre des Affaires étrangères de la Double-Monarchie, prit fait et cause pour Hirsch et finit par imposer que les nouveaux états issus du Congrès se substituent à la Sublime Porte pour garantir, redéfinir les tracés et achever ce qui avait été commencé. En 1883, une convention fut signée qui imposait de relier le réseau ottoman au réseau austro-hongrois.

Maurice de Hirsch aurait pu être ruiné par toutes ces guerres et les traités qui en suivirent. Il n’en fut rien car sa position fut confortée pour un temps. Mais il perdit tout de même, celui qu’il avait engagé à ses côtés, Eugène Bontoux, ayant que la concession lui fut enlevée. Bontoux avait des appuis en Autriche, il sut jouer des bakchichs et des sentiments antisémites, en s’imposant comme “représentant de la puissance financière catholique”. Cette idée séduisait à nouveaux les hautes classes des sociétés française et autrichienne.

Le dernier tronçon de la ligne permettant de joindre Vienne et Istanbul passait par la Serbie. Bontoux y distribua six millions de francs de bakchichs selon la presse de l’époque et obtint du gouvernement autrichien du comte Taffe de convaincre la Serbie de faire appel à Bontoux.

 

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Paul Eugène Bontoux (1820-1904)

Mais Bontoux n’était pas à la hauteur et rapidement du faire face à des difficultés financières. Il tenta de se rapprocher de Hirsch pour l’aider à les surmonter. En 1878, Bontoux avait pris la direction de l’Union Générale, créée le 3 juin. C’est une banque catholique, ayant l’aval du comte de Chambord et des milieux légitimistes, ainsi que du Vatican.

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Action de l’Union Générale

Son capital est de cinquante millions de francs et en quelques mois l’action passe de 750 à 2500 Francs. Elle croît extrêmement rapidement, en multipliant les rachats et les investissements risqués, notamment dans les régions d’Europe centrale et danubienne dont la ligne de chemin de fer de Serbie dont la concession été enlevée à Hirsch. Ses investissements vont des compagnies d’assurances à la Lyonnaise de Eaux. Mais la banque spécule aussi en bourse.

Et le 19 janvier 1882, à la Bourse de Paris, le cours de l’action s’effondre. C’est le “Krach de l’Union générale”. Il est difficile d’analyser toutes les responsabilités  mais il est probable que la mauvaise gestion de Bontoux et les aléas boursiers entre ceux qui jouaient à la hausse et ceux qui jouaient à la baisse, l’opposition politique entre catholiques de droite et gauche libérale, ont contribué à sa chute. La banque ne pouvait pas honorer ses dettes.

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La Bourse de Paris

La perte boursière de ce jour-là fut de quatre milliards de francs. Rappelons ici que l’indemnité de guerre due par la France à l’Allemagne en 1871 était de cinq milliards de Francs pour comprendre l’énormité de la perte. Tout fut donc dit sur les causes de cette faillite, mais l’opinion publique accusa la banque juive d’en avoir été la responsable. Cela est loin d’être prouvé mais cela nourrit l’antisémitisme de la fin du XIXe siècle en France. Les conséquences sur l’économie française furent durables dans tous les secteurs d’activité.

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Action de 20 000 francs portant la marque de la faillite

 Bontoux fut condamné à cinq ans de prison qu’il ne fit pas, s’étant réfugié en Espagne. Maurice de Hirsch n’échappa à la vague d’antisémitisme.

 

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Affiche antisémite fin XIXe siècle

Ses démêlés avec la gouvernement ottoman n’étaient pas terminés. Il lui avança 23 millions de francs pour lui permettre de faire la guerre à la Bulgarie en 1885. Cette somme était garantie sur la fameuse redevance kilométrique de 8000 Francs. Istanbul réclama 132 millions de francs à Hirsch qui refusa avec raison de payer. Pour trancher le litige les deux parties firent appel à un américain Oscar Straus, ambassadeur des Etats-Unis qui se récusa mais conseilla un grand juriste allemand le professeur von Gneist. Ce dernier rendit un rapport qui lavait Hirsch de tout soupçon de malversation ou de non respect des clauses des divers contrats signés depuis le début. Il lui demanda de verser 25 millions au gouvernement ottoman au lieu des 20 qu’il proposait.

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La Gare d’Istanbul

Il lui écrivit également : “ Ce fut pour moi – je tiens à vous l’écrire – un privilège de pouvoir, à de nombreuses reprises, faire mention de la parfait probité de toutes vos positions dans ma sentence d’arbitrage relative à un affaire à tous égards si délicate et aux conséquences si lourdes que la vôtre” C’était en 1888. Maurice de Hirsch qui venait de perdre son fils, Lucien en avril 1887, avait décidé de se retirer des affaires. Il vendait ses compagnies à un groupe financier composé de Wiener Bank-Verein de Vienne, de la Deustch Bank de Berlin et de la Société du Crédit Suisse.

12-affiche-orient-expressAffiche de l’Orient-Express

 

Ces vingt ans dans l’aventure de ce qui serait l’Orient-Express avaient été vingt ans de lutte et lui avaient valu le surnom de “Türkenhirsch”. Une fois la balance des comptes faite, l’aventure lui avait rapporté un bénéfice de 160 à 170 millions de Francs (environs 660 millions d’euros). La somme est certes appréciable mais elle fut le résultat d’une énergie, une hardiesse et une prise de responsabilité considérables. Il faillit plusieurs fois être ruiné et réussit par son génie à se rétablir.

Maurice de Hirsch n’assista pas à l’inauguration de la ligne qui reliait enfin Paris à Istanbul, en passant par Vienne, le 12 août 1888. Il était passé à une autre étape de sa vie.

 

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 L’Orient-Express – Un train de légende

 

La misère des Juifs et des autres

Pour être à même de suivre les travaux de près, Maurice s’était installé à Istanbul. Clara et leur fils Lucien, né le 11 juillet 1856, l’avaient suivi. La famille s’était installée dans un palais à colonnes dans le nouveau quartier de Pera, lieu de résidence du corps diplomatique et de la colonie européenne, à laquelle ils s’agrégèrent rapidement. Ils avaient également loué une résidence somptueuse à Thérapia, la station balnéaire de la haute société stambouliote

 

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L’ambassade d’été du Royaume-Uni à Therapia

Bals, réceptions, soirées à l’opéra furent leur lot mondain.

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La Grand Rue à Pera

Lucien passionné d’histoire et d’archéologie ne cessait de narrer son émerveillement devant la beauté de la capitale de l’empire ottoman. Et il est vrai que des dômes de Sainte-Sophie à ceux de la Mosquée bleue, en passant par le vieux sérail et tous les lieux magiques de la cité deux fois millénaires, pouvaient être vus avec les yeux et l’enthousiasme de Pierre Loti.

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Un Orient de rêves

Mais il y avait une autre face de la capitale, celle de la misère et de la puanteur, des rues bordées d’immondices, des chiens errants et des mendiants. Et ce spectacle de désolation qui attira les yeux de Clara.

Le prince Kesnin Bey, diplomate ottoman, écrivait à propos de la ville : “ très vite l’attrait cède la place à la répulsion; la déception vous saisit le coeur et vous fait monter l’amertume à la bouche…L’ambition, les vices, le crime, tout cela grouille dans les ruisseaux fangeux qui se déversent dans les eaux nobles de la Corne d’Or. A mesure que l’observateur pénètre plus profondément dans les bas-fonds de la vie de Constantinople, il reste atterré devant cette pourriture sans limites…comme devant l’immoralité administrative…Aujourd’hui, l’infection est complète: ce n’est plus un empire qui s’écroule ; c’est une société qui s’en va” ( “ Le Mal d’Orient. Moeurs Turques, Flammarion 1880)

 

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Famille Juive à Smyrne

Et parmi les plus pauvres se trouvent les 40 000 juifs d’Istanbul, 30 000 séfarades et 10 000 ashkénazes . S’ils jouissent d’une certaine autonomie et d’une grande tolérance religieuse de la part des autorités, bien plus grande qu’en Russie, en Europe centrale ou dans les Balkans, ils n’en sont pas moins dans un grand état d’arriération sociale et intellectuelle que Maurice et Clara, stupéfaits devant un tel état des choses, n’hésitent pas à en attribuer la responsabilité à l’obscurantisme des autorités religieuses israélites.

Le juif de Constantinople, “ Déguenillé, puant, pouilleux…est demeuré misérable et dont la pauvreté égale l’ignorance…Mal nourri le juif oriental ne peut exercer da métiers qui n’exigent pas une certaine dépense de force”. Les propos de Kesnin Bey sont sans appel.

 

19-quartier-juif-a-istanbul-en-1912Quartier juif à Istanbul en 1912

 

Maurice de Hirsch dès 1872 prend contact avec l’Alliance Israélite Universelle, pour savoir comment leur venir en aide. L’Alliance Israélite Universelle a été fondée en France en 1860 avec pour but “ Défendre l’honneur du nom israélite toutes les fois qu’il est attaqué ; encourager par tous les moyens l’exercice des professions laborieuses et utiles ; […] travailler, par la puissance de la persuasion et par l’influence morale qu’il lui sera permis d’exercer, à l’émancipation de nos frères qui gémissent encore sous le poids d’une législation exceptionnelle.”

Parmi ses fondateurs figure, Adolphe Crémeux (1796-1880), avocat qui, le 24 octobre 1870, par le “Décret Crémieux” accorda la citoyenneté française aux trente sept mille Juifs d’Algérie, leur permettant de s’extirper du statut islamique en ces termes :

Les israélites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel, seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française. Toutes dispositions législatives, décret, règlement ou ordonnance contraires sont abolis ».

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Adolphe Crémeux par Lecomte du Nouÿ – Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme

L’Alliance va surtout se faire connaître en ouvrant des écoles (aussi bien primaires que professionnelles) dans de nombreux pays, en particulier dans les pays musulmans d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Ces écoles visent à fournir une éducation « moderne », aux standards français, à la jeunesse juive locale, mais sont aussi ouvertes à des non-juifs.

Hirsch met un million de francs-or (quatre millions d’euros environ) à sa disposition pour développer son oeuvre d’enseignement en Orient. Ce fut le premier million de centaines d’autres pour aider les juifs pauvres, mais pas seulement les juifs, à sortir de la misère par l’éducation. Clara partageait voire devançait les idées de son mari en la matière.

Lors du grand incendie de Constantinople, en 1880, le couple envoya 170 000 Francs pour secourir les victimes. Le comte de Camondo n’envoya que  3000 Francs et le baron Aphonse de Rothschild, 6000 Francs.

 

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Abraham- Salomon de Camondo et son petit-fils le comte Nissim de Camondo vers 1868

Les victimes des différentes guerres balkaniques jetées sur les routes, juifs, musulmans ou chrétiens, bénéficièrent également des largesses du couple. Il ne se contenta pas de l’Orient car les Juifs du Maroc, parias sociaux dans leurs pays, ou ceux de Galicie, victimes des pogroms de 1881-1882, furent secourus par lui.

Lorsque l’administration ottomane décida de la destruction de certains quartiers pauvres de Constantinople en vue d’y installer une gare, Clara, consciente que les indemnisations prévues n’arriveraient que tardivement ou jamais, s’informa sur le montant du préjudice subi et fit un chèque personnel d’un montant équivalent. L’argent fut distribué directement à ceux qui avaient subi le préjudice pour leur permettre de se reloger. A elle seule Clara distribua dans les premières années de sa présence à Constantinople près de 700 000 Francs-or en aides directes, toutes confessions confondues.

Mais faire la charité n’était pas le but ultime poursuivi par Maurice et Clara. L’éducation en vue de sortir les populations de la misère était pour eux la seule solution. Ils favorisèrent et financèrent la création d’écoles primaires, d’écoles professionnelles et techniques. Il fallait ajouter au savoir une connaissance immédiatement utile. Le baron Maurice de Hirsch devint donc au fil des années le principal soutien de l’Alliance Israélite Universelle.

Cette oeuvre qui se développa considérablement, dans d’autre domaines, que nous verrons plus loin, fut également en partie inspirée par l’oncle maternel de Clara, Salomon Goldschmidt, qui pratiquait une philanthropie à grande échelle où la charité directe n’avait que peu de place, l’éducation était le but de toute aide accordée.

Maurice de Hirsch était athée. Il déclara dans la revue américaine “The Forum” en 1892 : “ Pour soulager les souffrances humaines, je n’ai jamais demandé si l’appel au secours venait d’une personne qui appartenait à ma religion ou pas. Mais pour moi, c’est plus normal d’avoir comme principal objectif d’aider les disciples du judaïsme qui, depuis des milliers d’années sont opprimés, affamés, confrontés à la misère et à l’exclusion alors que le monde entier tourne le dos à leur souffrance.”

Il fut présent au Congrès de Berlin en 1878, car il fallait y débattre de la liberté de culte et des droits civils des Juifs en Russie et dans les Balkans. La nouvelle Roumanie indépendante qui se dessinait devait reconnaitre les droits de citoyenneté aux Juifs, c’était une condition de la reconnaissance, imposée par Bismarck, Lord Beaconsfield, Benjamin Disraeli, premier ministre britannique, Waddington, ministre français des Affaires étrangères, le comte Andrassy, ministre des Affaires étrangères de la monarchie austro-hongroise.

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Waddington (1826-1894)

Mais le nouveau parlement, le nouveau gouvernement roumains, antisémites viscéraux, une fois l’indépendance acquise oublièrent les conditions du statut que devaient voir les Juifs. De 1880 à 1890 une série de mesures les exclut des services publics, des professions libérales, barreau et médecine, d’une partie de l’industrie, de l’artisanat et même du petit commerce. Les écoles juives furent fermées et les écoles secondaires et professionnelles appliquèrent des quotas drastiques. Mais la Roumanie était indépendante et les puissances étrangères ne pouvaient plus rien. En Russie, la situation fut pire encore car après l’assassinat d’Alexandre II survinrent les programmes les plus meurtriers de l’histoire.

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Carol Ier de Roumanie (1839-1914) par Tadeusz Ajdukiewicz – Palais Cotroceni à Bucarest

 

Carol Ier de Roumanie, Charles de Hohenzollern-Sigmaringen était sur le trône depuis 1866 en qualité de prince souverain. Il en deviendra roi qu’en 1881. Il semble qu’il n’ait rien pu faire pour améliorer le sort des juifs, tant l’antisémitisme était fort au sein de classe politique et et la population.

Seules la Serbie et la Bulgarie offrirent l’émancipation à leurs populations juives. Le nouveau état bulgare, sous l’impulsion de son nouveau prince, Ferdinand de Saxe-Cobourg-Kohary, fils de la princesse Clémentine d’Orléans, le leur accorda sans atermoiement. Le nouveau prince de Bulgarie était un ami intime de Maurice de Hirsch.

Au Congrès de Madrid en 1880, il aida le sort des Juifs marocains, sous l’impulsion du gouvernement français dont le duc Decazes était le ministre des Affaires étrangères en 1877. Decazes était aussi un ami de Hirsch. La situation des Juifs marocains, environ 300 000 individus, s’améliora considérablement. Maurice de Hirsch dota l’Alliance Israélite d’une somme de dix millions de francs-or en vue d’établir des écoles primaires et d’apprentissage dans tout le Maghreb.

Que ce soit au Congrès de Berlin ou au Congrès de Madrid, il s’agissait bien sûr d’obtenir les droits fondamentaux que sont accès à la citoyenneté et à l’éducation. (Merci à Patrick Germain pour cette 5ème partie)