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Thérésia Cabarrús à 20 ans, par Jean-Louis Laneuville. Juana María Ignacia Thérésia Cabarrús est sans doute une des personnages les plus connus de l’Histoire de France, mais dont l’image est largement ternie par la légende.

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Baile a orillas de Manzanares – Goya

Thérésia, le prénom sous lequel elle est connue, naquit le 31 juillet 1773, au château de San Pedro, situé dans un quartier du sud de Madrid. Son père était François Cabarrús, financier né à Bayonne en 1752, donc d’origine française, et sa mère, Maria Antonia Galabert, fille d’une famille d’industriels français établis à Valence, en Espagne

La carrière de François Cabarrús connut des hauts et des bas. Conseiller du roi Charles III d’Espagne, il était fort riche. Homme des Lumières, partisan du progrès il contribue au développement de l’Espagne, son nouveau pays. En 1782, il relance la Banco de San Carlos. Cette banque est chargée d’acquitter toutes les obligations du trésor. Elle est aussi chargée de l’administration des fonds des armées de terre et de mer. Elle a un rayonnement intérieur, aussi bien qu’à l’étranger, par l’intégration d’actionnaires de premier plan, dont beaucoup de français. Elle est à l’origine de la Banque Nationale d’Espagne. En 1783, il crée la Compagnie Royale des Philippines qui regroupe le commerce espagnole des Amériques et de l’Asie. Il est aussi à l’origine du canal qui permet l’alimentation en eau de la ville de Madrid. Le projet ne sera terminé que sous Isabelle II.

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Francisco Cabarrús par Goya

En reconnaissance de ses talents, le roi Charles IV l’anoblit en 1789. Mais en 1790, c’est la chute. La banque a perdu des actifs, Cabarrús doit faire face à une cabale menée par un parti anti-réformiste, anti-révolutionnaire et anti-français. Accusé de détournement de fonds, Cabarrús, un des hommes le plus populaires d’Espagne, est jeté en prison. Sous l’influence de Manuel Godoy, le roi le fera libérer deux ans après et le fera comte en 1792. Il continuera sa carrière de financier, et commencera une carrière politique et diplomatique. Il acceptera le poste de ministre des finances du nouveau roi d’Espagne, Joseph Bonaparte, en 1808. Mais il meurt le 27 avril 1810.

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Blason des Cabarrus

 

Son acceptation de l’offre de Joseph Bonaparte ne fut pas pardonnée à sa famille, car au retour de Ferdinand VII, son héritage fut confisqué, puis restitué à ses héritiers, dont sa veuve et ses enfants, parmi lesquels Thérésia. Il laissait des terres en France, des immeubles à Madrid, des milliers d’hectares à Valence et des capitaux très importants dans différentes banques.

Thérésia naquit donc dans une famille extrêmement fortunée et occupant le premier plan dans la société espagnole.

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La Pradera de San Isidoro par Goya

Elle fut mise en nourrice, selon la tradition de l’époque. Période durant laquelle, elle partagea la vie des petits paysans d’un village de la Sierra, avec pour meilleure amie un chèvre, Tita. Elle courait pieds nus, vêtue d’une robe grossière. Elle avait une tenue et un langage de sauvageonne. Indigné de ne pas la trouver chez ses parents, son grand-père Galabert vint la chercher alors qu’elle avait trois ans. Après deux ans passés dans sa famille, elle fut envoyée à Paris, de 1778 à 1783, pour être pensionnaire chez Madame Leprince Beaumont, établissement réputé qui fit d’elle une jeune fille accomplie selon les règles de la haute société de l’Ancien Régime. Aquarelle, dentelle, tapisserie, leçons de danse et de maintien vinrent doc parfaire son éducation. Elle y rencontra Sophie de La Valette (1776-1852), future Madame Gay, qui restera son amie toute sa vie. La fille de Sophie, Delphine Gay (1804-1855), épousera plus tard Emile de Girardin et sera une égérie du mouvement littéraire romantique.

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Sophie Gay, née de Lavalette par Isabey

Thérésia avait deux frères, François et Dominique, qu’elle retrouva à Madrid à son retour en 1785. Elle a douze ans et déjà conquiert des coeurs. Le premier fut le frère de sa mère, Maximilien Galabert. Subjugué par sa beauté, il la demande en mariage à son beau-frère. Il s’est dit même qu’il fut son premier amant. François Cabarrús non seulement refusa son consentement mais il mit son beau-frère à la porte. Elle ne le revit que bien plus tard et dans des circonstances encore plus dramatiques.

Pour Thérésia, cette demande en mariage eut un effet bénéfique. Son père décida qu’il était temps de l’expédier à nouveau à Paris, en compagnie de sa mère, et cette fois non dans le but de parfaire son éducation mais pour y trouver un mari digne d’elle dans la société parisienne, c’est-à-dire dans l’aristocratie.

François Cabarrús entretenait d’excellentes relations avec une famille très lancée, les Laborde. Issu du même monde de la finance et du négoce, Jean-Joseph de Laborde (1724-1794) est un des hommes les plus riches de France et de plus il est marquis, de fraîche date certes, mais marquis tout de même.

Les Cabarrús auraient volontiers vu une alliance entre leurs enfants, mais pas les Laborde, qui y voyaient plutôt une mésalliance. Malgré des vacances au château de Méréville, propriété du financier, et une attirance entre elle et le chevalier de Méréville, son fils aîné, Laborde ne se laissa pas fléchir. Il faut dire que sa fille Pauline, fut duchesse des Cars et sa fille Mathilde duchesse de Mouchy. Le chevalier ne se maria pas et eut plus tard Thérésia, une fois mariée, dans son lit.

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Le chevalier de Merville

Certains disent que ce fut l’autre fils, Alexandre de Laborde, qui aima Thérèsa. Peut-être les deux ! Alexandre se maria dans son monde et eut une descendance, encore existante en la personne du baron Sellière et bien d’autres.

Mais Thérésia ne manquait pas de prétendants à son coeur, en attendant de prétendre à sa main. Parmi eux figuraient Félix Lepeletier de Saint-Fargeau, le frère du révolutionnaire, et Alexandre de Bauffremont (1773-1833). Ce dernier épousa en 1787 Marie-Antoinette de Quelen, fille du duc de La Vauguyon, ambassadeur de France à Madrid.

Naviguant entre la noblesse de cour, voire du Saint-Empire, et la noblesse parlementaire, Madame Cabarrús et sa fille menèrent la vie de la haute société de l’Ancien Régime à son chant du cygne.

Et c’est dans la noblesse parlementaire que se marie Thérésia. Son père est comte de trop fraîche date, malgré sa haute position à Madrid, et son immense fortune, pour permettre à sa fille de prétendre à plus haut, la noblesse de Cour et d’épée.

La famille du fiancé, les Devin, est loin d’être négligeable. Jean-Jacques, le fiancé, est conseiller à la troisième chambre des enquêtes du Parlement de Paris, autrement dit une sinécure qui rapporte 60 000 livres par an (600 000 euros) . Son père Jacques-Julien a été Secrétaire du Roi de 1754 à 1768 puis Président en la Chambre des Comptes de Paris jusqu’en 1789, soit une position plus qu’honorable. Le grand-père maternel est Jean Le Couteulx, riche marchand parisien, dont la famille appartient à la société financière de la capitale, anoblie récemment. Du côté paternel, comme du côté maternel, Jean-Jacques Devin, chevalier de Fontenay, puis, par acquisition marquis de Bouloi, au baillage de Nemours, tient à la grande bourgeoisie parlementaire et financière. Il sera connu comme le marquis de Fontenay et son épouse portera le titre de marquise de Fontenay.

 

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L’hôtel de Chenizot, rue Saint-Louis en l’île à Paris -Demeure de la famille Devin de Fontenay

Le mariage est célébré à Paris le 21 février 1788, en la chapelle privée du duc de Penthièvre. La mariée n’a que quinze ans et en sus de sa jeunesse, elle apporte une grande beauté et une dot de 500 000 livres (un peu plus de cinq millions d’euros). Le ménage dispose d’une fortune de 800 000 livres et des 60 000 livres de rente annuelle de la charge de Conseiller du marquis de Fontenay.

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Cela aurait pu être la robe de mariage de Thérésia

Le jeune couple s’installe dans l’hôtel de la famille Devin, l’Hôtel de Chenizot, rue Saint-Louis en l’île. Mais le couple possède une propriété aux environs de Paris, le château de  Fontenay, dont la famille prit le nom.

Voici comment Thérésia, sous la plume d’Elisabeth, princesse de Chimay, épouse de son descendant, décrit ses appartements du château de Fontenay : “Ma chambre était au premier étage. Une cheminée où brillait un feu de bois éclairait un décor raffiné de boiserie au milieu duquel trônait un immense lit à baldaquin. Cette chambre s’ouvrait sur un boudoir attenant. Je me souviens d’y avoir admiré de jolis panneaux décorés de chinoiseries datant du règne de Louis XV.” (“La princesse des Chimères “, Elisabeth de Chimay – Editions Plon 1993)

La propriété est décrite par un chroniqueur au XVIIIe “ Il y a beaucoup de belles maisons bourgeoises dans Fontenay, surtout celle de Monsieur Devin, que l’on nomme le château. Elle jouit d’un côté d’une vue très agréable sur Sceaux, sur Bourg-la-Reine, sur l’Haÿ-les-roses, et de l’autre sur le Plessis-Piquet et la riante campagne des environs. Les parterres sont en terrasse et les promenades, dans une espèce de petit parc, forment des amphithéâtres. Le jardin potager et fruitier, qui est au-dessous, et séparé par une ruelle, est de toute beauté.” ( Archives municipales de Fontenay-aux-Roses – Gaston Coeuret, Les Tribulations post-mortem d’Augustin Pajou, 1994) L’ensemble qui fait près de trois hectares abrita l’Ecole Normale Supérieure de jeunes filles à partir de 1880, et fut démoli en 1960.)

 

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Le château de Fontenay en 1900( avec en premier plan les bâtiments de l’Ecole Normale)

Nous savons que les Fontenay avaient un train de maison de onze domestiques, sept hommes et quatre femmes, pour le seul château et son parc. C’était de loin la demeure las plus belle du village.

 

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Plan de la propriété au XVIIIe

La nuit de noces, bien que dans un endroit à l’époque idyllique, commença bien mal, toujours selon Elisabeth de Chimay, d’après les archives familiales. Thérésia comprit très vite que cet amant brutal ne pouvait la rendre heureuse. Et dès les premiers jours le mariage battait de l’aile. Le marquis de Fontenay retourna à ses maîtresses et la marquise prit des amants.  La vie privée de Thérésia Cabarrús devint publique. La société d’Ancien Régime permettant une grande liberté de moeurs dans les hautes classes, elle sut en user.

Alexandre de Lameth (1760-1829), futur membre du Club des Jacobins, mais pour l’instant colonel de cavalerie au Deuxième Royal-Lorraine, auréolé de la gloire de la Guerre d’Indépendance des Etats-Unis, à laquelle il participa à l’état-major de Rochambeau, semble avoir été le premier de la longue série d’hommes qui partagèrent la vie ou simplement le lit de Thérésia.

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Alexandre de Lameth

Puis ce fut le duc d’Aiguillon. Vint le tour de Félix Lepeletier de Saint-Fargeau, un ancien soupirant. Thérésia mit au monde son premier enfant, Antoine François Théodore Devin de Fontenay, le 2 mai 1789. Portant officiellement le nom de son père, sa filiation ne fut pas totalement certaine. On lui prêta divers pères dont Félix Lepeletier de Saint-Fargeau. Quoiqu’il en soit, il fut le premier d’une longue fratrie, décomposée selon la terminologie contemporaine. Il fut un brillant officier durant les guerres de l’Empire.

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Félix Lepeletier de Saint Fargeau

De son mariage à la Révolution, outre ses amants, la marquise de Fontenay reçut dans son salon qui comptait à l’époque et compterait dans le futur immédiat : le général de La Fayette, les deux frères Lameth, Antoine de Rivarol, le cardinal Dominique de La Rochefoucauld, le comte de Mirabeau. Chamfort fut aussi de ses réceptions. Comme beaucoup d’aristocrates, elle semble avoir été affiliée, en 1789, à une loge maçonnique, la loge Olympique. Une chose est certaine, elle partage l’enthousiasme de son milieu pour les idées nouvelles qui après la réunion des Etats-Généraux aboutit à la constituante et à la prise de la Bastille. La nuit du 4 août 1789 ne semble pas l’avoir effrayée.

Le début de la Révolution ne semble pas non plus avoir arrêté la vie mondaine à Paris. La Cour n’est plus à Versailles, elle survit aux Tuileries, mais une fois le premier flot d’émigrés parti, la haute société continue à se divertir. (A suivre – Merci à Patrick Germain pour ce premier volet de cet article dédié au lecteur de Noblesse et Royautés « Robespierre »)