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Thérésia peinte par Isabey

Théresia, une fois sortie de prison se lança dans une vie mondaine effrénée, pour rattraper toutes ces années  d’angoisse. Tallien était pratiquement le maître de la France, même si la Convention siégeait encore, et rien ne lui était refusé. Et à son tour, il ne refusait rien à sa maîtresse. Voitures, toilettes, bijoux, concerts, dîners, rien n’était assez beau pour elle, et elle savait obtenir tout ce qu’elle désirait. Les salles de spectacle acclamaient le couple dès qu’il paraissait dans sa loge. La France n’avait plus de roi mais le nouveau couple au pouvoir recevait des hommages quasi royaux. Il faut dire que pour ceux qui avaient survécu à la tourmente, aucune occasion ne devait être manquée pour remercier ceux à qui ils devaient enfin la liberté.

Le 26 décembre 1794, il l’épouse. Désormais Thérésia Cabarrús sera Madame Tallien, et c’est sous ce nom qu’elle nous est encore connue. Elle est enceinte. Son fils Théodore était venu la rejoindre et habitait avec elle. La petite Rose-Thermidor Tallien naquit en mai 1795. Sa marraine fut la nouvelle grande amie de sa mère, Rose Tascher de la Pagerie, veuve du vicomte de Beauharnais, qui elle aussi a connu les affres de la prison. Elles s’étaient connues, mais peu fréquentées, durant la Révolution et avant leur incarcération, dans deux prisons différentes. Tallien avait pris son son aile les deux enfants Beauharnais, Hortense et Eugène, alors dans un dénuement complet, avant la libération de leur mère.

Les deux femmes devinrent rapidement inséparables et donnèrent ensemble le ton à Paris. Elles lancèrent la mode des tuniques à la grecque, des coiffures à la grecque, des étoffes légères qui laissaient non plus deviner mais voir beaucoup de choses. Elles étaient parées de bijoux.

La société, dans un désir de jouissance, les suivaient dans toutes leurs excentricités. Elles étaient appelées “les Merveilleuses”. Rien ne leur été refusé et elles ne se refusaient rien.

Madame de Beauharnais, sans ressources, avait trouvé un moyen de survivre. Elle choisit Barras comme amant et se fit offrir un hôtel particulier, rue Chantereine.

Thérésia s’était installée avec Tallien allée des veuves, près des Champs-Elysées, dans un maison qui de l’extérieur ressemblait à une chaumière mais à l’intérieur tout était somptueux, à l’antique.  Elle y donnait sans cesse des fêtes.

 

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La Chaumière des Tallien près des Champ-Elysées

Sur le plan politique, les choses n’étaient pas simples. La guillotine a  été reléguée mais les appétits de pouvoir ne sont pas morts pour autant même si le jeu est beaucoup moins dangereux que du temps de Robespierre. Tallien subit des attaques en règle et contre attaque en faisant fermer le Club des Jacobins le 24 décembre 1794 et supprimer le Tribunal révolutionnaire le 31 mai 1795.

Soupçonné de collusion avec les aristocrates, de par son mariage et l’amitié de sa femme avec Rose de Beauharnais, il donne des gages de républicanisme en faisant écraser les forces royalistes à Quiberon par Hoche et son armée. Il ordonne l’exécution de près d’un milliers d’émigrés faits prisonniers. Thérésia y gagnera, hélas pour elle, le surnom de “Notre-Dame de Septembre”. Elle est la femme de Tallien et ne peut donc ignorer, voire consentir à ces massacres, pour le public. Mais Thérésia qui déteste le sang et est, malgré tout, royaliste dans l’âme ne lui pardonnera pas ce massacre. Ce massacre l’éloigne de Tallien.

Les royalistes gagnent les élections, ce qui inquiète Tallien. La Convention devient Directoire et l’étoile de Jean-Lambert Tallien commence à pâlir. Celle de Barras scintille. Il est le nouveau chef du Directoire depuis le 31 octobre 1795, dès sa création. Il s’arrange pour éliminer les autres. Aristocrate de naissance, il est un de ces hommes qui saura jouir le mieux de la nouvelle société. C’est un personnage haut en couleurs. Il aime les femmes et le montre. Il s’entoure de Thérésia et de Rose et les commérages vont bon train.

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Barras (1755-1829)

Barras est son amant, mais il est aussi celui de Rose, qui se fait appeler désormais Joséphine. Thérésia reçoit chez lui en maîtresse de maison, que ce soit à Paris ou dans son château de Grosbois. Tout ce qui compte dans la société du Directoire est reçu par eux, à commencer. Joséphine de Beauharnais est presque chez elle. Il y a aussi l’ancien évêque d’Autun, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, Fouché, Cambacérès, Savary, Ouvrard, Choderlos de Laclos, Juliette Récmier, Benjamin Constant, un savant cocktail de la société d’Ancien Régime, de la société issue de la Révolution, née du crime et de l’agiotage, et de libéralisme.

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Image satirique datant de 1805 évoquant les orgies de Barras, Thérésia et Rose de Beauharnais

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Autre image satirique anglaise “La doublure de Madame Tallien”

Elle reçoit également dans son salon le petit général Bonaparte, protégé de Barras, à qui il a prêté main-forte lors de l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795). Bonaparte est le héros du siège de Toulon. Entre les deux a commencé un ballet de séduction mais pour Thérésia, Bonaparte n’est que du menu fretin, et pour Bonaparte Thérésia est encore trop haut placée. Elle lui fournit du drap pour remplacer son uniforme en piteux état et quand elle le voit dans ses nouveaux atours, elle lui lance : “Eh bien, mon ami, vous les avez eu vos culottes !” . La plaisanterie fit rire l’assemblée mais par le corse au caractère ombrageux. Il ne le lui pardonnera jamais.

 

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Le général Bonaparte

Elle le présente à Joséphine qu’il épouse le 9 mars 1796. Barras et Tallien sont les témoins du mariage. Son fils Théodore est mis en pension, et suivant la volonté de sa mère, il partage la chambre d’Eugène de Beauharnais et de Jérôme Bonaparte. Les trois resteront amis toute leur vie.

Son père, François Cabarrús, qui a retrouvé toute son influence et toute sa fortune est aussi un homme important dans le jeu diplomatique de la France de l’époque. Et cela ne nuit en rien à la réputation de Thérésia, qui a retrouvé une grande partie de son aisance financière personnelle.

Tallien qui a perdu toute influence a été envoyé en Egypte avec l’expédition de Bonaparte, en juin 1798. La campagne d’Egypte, organisée par le Directoire, débarrasse les nouveaux maîtres de la France de deux encombrants dont ils ne savent pas trop quoi faire. Thérésia en est aussi débarrassée.

Toujours Madame Tallien, elle devient la maîtresse de Gabriel Julien Ouvrard (1770-1846) au printemps 1798. Elle l’a connu chez Barras et c’est sur les conseils de ce dernier qu’elle lui confie sa fortune à gérer. Il est fournisseur aux armées, immensément riche, marié par ailleurs mais les scrupules de cet ordre n’ont jamais arrêté Thérésia. On dit que Barras lassé d’elle la lui aurait cédée.

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Ouvrard (1770-1846)

Il lui offre un hôtel particulier rue de Babylone et loue pour elle le château au Rancy. Sa chambre est décrite ainsi : “Donnant sur la verdure, elle était éclairée par deux portes-fenêtres. Trônant sur un estrade de drap vert mon lit d’acajou, orné de cygnes d’ébène et d’ivoire excitait l’admiration. Je fis aménager une alcôve : d’un baldaquin en forme de tente ronde s’échappaient des rideaux de satin blanc, le mur était tendu de soie lilas plissée bordée de franges oranges. Les fenêtres étaient encadrés de rideaux de satin blanc et de soie orange. Les portes étaient dissimulées derrière des tentures que soutenaient des thyrses. Sur ma coiffeuse reposait ma brosserie en vermeil, dans un coin la grande psyché en nacre. La commode décorée de bronzes dorés était assortie au bureau cylindre en acajou et citronnier richement doré et garni de chimères ailées.” ( Princesse de Chimay)

Sous le Directoire, Ouvrard enrichi considérablement dans le commerce colonial et les fournitures militaires, contrôle trois maisons de commerce à Brest, Nantes et Orléans, une banque à Anvers et détient des participations importantes dans trois sociétés parisiennes. Il est également l’associé de fournisseurs aux armées pour le blé, pour les fournitures militaires et pour l’acier et le bois.

En septembre 1798, il obtient pour six ans la fourniture générale des vivres de la Marine, soit 64 millions de francs-or. Il est alors propriétaire des châteaux de Villandry, Azay-le-Rideau, Marly, Luciennes, Saint-Brice et Clos-Vougeot. Quelques mois plus tard, il reprend le contrat de fournitures de la flotte espagnole stationnée à Brest puis, les fournitures de l’armée d’Italie en 1799.

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Coup d’état du 18 Brumaire, peint par François Bouchot

Il est arrêté en janvier 1800 sur ordre du premier consul Bonaparte, mais l’examen de ses comptes et de ses contrats, préparés par son directeur juridique Cambacérès, ne laisse apparaître aucune irrégularité. Ouvrard, libéré, participe aux approvisionnements de l’armée de Marengo et de l’armée d’Angleterre stationnée à Boulogne.

Avec un amant si riche, tout va donc merveilleusement bien pour Thérésia en cette fin du XVIIIe. Les orages sont derrière elle.

Bonaparte et Tallien finissent par rentrer en France. Le premier auréolé des gloires de la Campagne d’Italie, reviendra d’Egypte en conquérant, le second ne sera plus rien, même si sur la route du retour, son navire est capturé par les Anglais et qu’il est traité à Londres avec les plus grands égards par  les Whigs et James Fox.

Le coup d’État du 18 brumaire met un terme à la carrière publique de Thérésia. Bonaparte, qui l’a autrefois beaucoup admirée, ne l’admet pas à sa cour, ni sous le Consulat, ni sous l’Empire. Les rapports de Thérésia avec Bonaparte sont très tendus. Il écrit un jour à Joséphine : «Je te défends de voir madame Tallien, sous quelque prétexte que ce soit. Je n’admettrai aucune excuse. Si tu tiens à mon estime, ne transgresse jamais le présent ordre».

La carrière d’Ouvrard connaîtra des hauts et des bas. Après avoir été arrêté en 1800, il rebondit jusqu’en 1806, où il se voit réclamer 141 millions de Francs-or par le Trésor public. En 1809, il est emprisonné pour dettes mais libéré trois mois plus tard. Il tente alors d’être l’instrument d’une négociant de paix secrète avec l’Angleterre. Il est alors emprisonné à nouveau pour trois ans. Il continue toutefois à fournir l’armée, mais au lieu des chaussures en cuir prévues au contrat, il fournit des chaussures en carton. Sous la Restauration, il redevient un acteur important de la  vie économique en conseillant au gouvernement d’émettre des rentes sur l’Etat pour cent millions, qui permettent de libérer la France de l’occupation étrangère. Ses bien lui sont rendus, sa dette vis-à-vis du Trésor annulée. Mais en 1823, il est à nouveau mis en faillite, perd toute sa fortune et est à nouveau emprisonné. En 1830, il  revient sur la scène économique une fois de plus et spéculant à la baisse sur la rente française, mais il ne récupère pas sa fortune et meurt à Londres en 1846, ruiné.

Thérésia et Ouvrard eurent quatre enfants :

  • Clémence, née le 1er février 1800.
  • Jules Adolphe Édouard, né le 19 avril 1801 à Paris, le futur docteur Jules Tallien de Cabarrús, mort le 19 mai 1870 à Paris,.
  • Clarisse Gabriel Thérésia, née le 21 mai 1802.
  • Stéphanie Coralie Thérésia, née le 2 décembre 1803.

Officiellement ils étaient les enfants de Tallien car le père biologique, marié par ailleurs,  ne pouvait les reconnaître. Les enfants légitimes d’Ouvrard furent Jules, propriétaire du Clos-Vougeot, fit de la politique sous la Monarchie de Juillet et sous le Second Empire, Eucharis Elisabeth Gabrielle qui épousa Louis Victor de Rochechouart, comte de Mortemart, dont la descendance se trouve dans la famille d’Ormesson. Le mariage eut lieu le 13 décembre 1821 en présence de Louis XVIII, de Monsieur, comte d’Artois, et du duc d’Orléans.

Tallien, qui a divorcé de Thérésia en 1802, totalement ruiné, est nommé consul de France à Alicante, grâce à Talleyrand. Il n’y resta que quatre mois. Atteint de la fièvre jaune, il rentra à Paris où il obtint une pension. A la Restauration, il ne fut même pas envoyé en exil comme le furent les régicides. Sa pension lui fut conservée. Thérésia l’aida autant qu’elle le put jusqu’à sa mort le 16 novembre 1820. Michelet dit de lui : “ Ce grand homme resta pauvre, les mains vides, sinon les mains nettes. Nous l’avons vu à Paris trainer aux Champs-Elysées à l’aumône de sa femme, alors princesse de Chimay.”

Leur enfant, Rose-Thermidor avait épousé le 18 avril 1815, le comte Félix de Narbonne-Pelet. Le couple eut six enfants dont la descendance existe toujours. Elle mourut en 1862. Elle ne garda pas ce prénom un peu trop marqué. Son père l’appelait Laure et sa mère, Joséphine.

En 1804, l’Empire est proclamée, la meilleure amie de Thérésia devient impératrice des Français.

 

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Joséphine, impératrice des Français en 1808, par Isabey

Joséphine n’était pas une ingrate et elle savait ce qu’elle et bien d’autres, devait à son amie. Elle prenait son rôle de marraine au sérieux, son fils Eugène était ami avec Theodore de Fontenay, le fils de Thérésia, mais son mari l’empereur ne voulait pas entendre parler d’elle. Il y eut sans doute plusieurs raisons à l’ostracisme dont elle était victime. Napoléon n’aimait certainement pas le souvenir des rumeurs d’orgies auxquelles les deux femmes s’étaient livrées avec Barras, il n’aimait pas non plus se souvenir que Thérésia avait repoussé ses avances. Sa liaison avec Ouvrard que Napoléon considérait comme son ennemi n’était pas non plus pour lui plaire. Elle lui demanda audience, lors d’un bal masqué où ils s’étaient mutuellement reconnus, et s’entendit répondre : “ Je ne nie pas que vous soyez charmante mais voyez un peu quelle est votre demande, jugez la vous-même et prononcez. Vous avez deux ou trois maris et des enfants de tout le monde. Soyez l’empereur, que feriez-vous à ma place ? Moi qui suis tenu de faire renaître un certain décorum.” Elle ne répondit pas.

Mais il est vrai que Thérésia était aussi liée à Germaine Necker, baronne de Staël. Elle l’avait connue durant la Révolution et l’avait fréquenté sous le Directoire. Madame de Staël, persona non grata aux yeux de Napoléon, allait et venait entre la France et la Suisse et l’empereur ne voyait pas les critiques de son régime d’un bon oeil. Ni Germaine, ni son ami Benjamin Constant ne s’en privaient. Et c’est à elle qu’elle dut le bonheur en demie-teinte de la dernière partie de sa vie.

C’est chez elle qu’elle revit celui qui sur le chemin de son retour à Paris en 1793, s’était présenté à elle comme “Joseph de Caraman.” Venue voir son amie, elle y trouva dans la bibliothèque un homme qui la reconnut aussitôt. A suivre … (Merci à Patrick Germain pour cette 4ème partie)