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Une jeune fille gâtée par son grand-père

Après le mariage, Elisabeth-Marie ne revit pratiquement plus sa mère à laquelle elle reprochait d’avoir été responsable de la mort de son père, comme n’ayant pas su comprendre sa personnalité.

 

2

Une jeune fille séduisant

 Elle reprit sa vie mondaine. Le 8 avril l’empereur donnait un dîner et le grand-duc héritier de Bade, toujours à la recherche d’une fiancée, était là. Plus tard dans la saison, l’empereur évoqua d’autres partis possible pour elle, le prince Albert de Belgique, futur monarque, qui épousera quelques mois plus tard, la cousine d’Erzsi, Elisabeth, duchesse en Bavière

3 Albert 1er

Albert, roi des Belges

Il la convoqua et lui dit : “Aujourd’hui, nous allons parler sérieusement. Tu es ma petite fille et en tant que telle, tu es une princesse de notre Maison; maintenant que tu parviens à l’âge adulte, tu dois accepter la place importante qui t’es donnée, avec les devoirs, les sacrifices et les responsabilités qu’elle comporte. Malgré ton rang, tu dois rester humble et obéir. Tout au long de la vie, l’obéissance est une vertu. D’autre part, tu es douée, mais sois modeste, n’en laisse rien paraître.” Elle lui jeta un regard où l’humilité n’avait aucune place, car Erszi ignorait ce mot et sa signification. L’empereur décontenancé par ce regard, continua “Sois bonne, sois courageuse. Tu dois comprendre que tu as une mission à remplir. Tu dois te marier, Erszi, et tu épouseras celui que je choisirai.” Horrifiée, elle cria : “ Je préfère être abbesse que de me marier sans aimer.” “ La vie t’enseignera que le devoir donne plus de bonheur que l’amour, cette maladie passagère qui conduit aux plus profondes tristesses. Tu as encore beaucoup à apprendre”, répliqua François-Joseph.

4 Max de Bade

Prince Max de Bade

En juin, elle assista à un concours hippique auquel participaient les meilleurs cavaliers de l’Europe. Elle était vêtue d’une robe couleur sable, serrée à la taille par une large ceinture brune semée de pépites d’or. Elle portait un large chapeau de paille.

5 Prince OttoLe prince Otto Windisch-Graetz

Le lieutenant, prince Otto Windisch-Graetz, qui montait un superbe alezan gagna la grande épreuve, le “Grand Prix International de sauts d’obstacles”, et reçut la coupe des mains mêmes de l’empereur, sous les yeux éblouis d’Elisabeth-Marie.

Tout au long de l’été 1900, à Laxenburg, ce ne furent que parties de tennis et soirées dansantes, auxquelles participa le bel Otto. Il était en effet très beau, d’une grande virilité et d’une distinction parfaite. Erszi en tomba amoureuse.

Le 2 septembre, l’empereur François-Joseph organisa une réunion de famille pour fêter les dix-huit ans de sa petite-fille. Et l’été finit comme il avait commencé, le bel Otto toujours présent, apprécié de tous pour ses qualités sportives, son élégance et sa courtoisie, aimé par Erszi. 6 Stéphanie et son mari

 Stéphanie et son mari

Le 10 octobre, elle rencontra sa mère au Semmering pour passer deux semaines. Pour la première fois, les deux femmes purent s’ouvrir l’une à l’autre. Devant le bonheur avoué de sa mère, elle ne résista pas à lui confier son secret. Elle était amoureuse. Stéphanie comprit que rien ne résisterait à la volonté de sa fille. Elle lui donna son consentement, malgré tout ce qui séparait les deux jeunes gens. Le premier obstacle, outre l’inégalité de naissance, car si les Windisch-Graetz sont de grande et noble maison, ils sont loin de la famille impériale et même d’autres maisons princières beaucoup plus illustres et fortunées, même s’ils font partie des maison médiatisées avec lesquelles un mariage est considéré comme égal pour les maisons souveraines, quoique cette branche étant la cadette de la famille, le premier obstacle est l’amour lui-même. Elisabeth-Marie aime et est sûre d’être aimée en retour tant est grand son orgueil. Elle ne conçoit pas que celui sur lequel elle a jeté son dévolu et avec lui l’apport de son sang royal, sa beauté, sa richesse, puisse ne pas l’aimer.

7 Parée pour le balElisabeth-Marie parée pour le bal

Elle devait maintenant convaincre l’empereur de donner son autorisation, dont elle ne doutait absolument pas. Elle alla le voir et lui révéla la vérité. Elle aimait et voulait épouser Otto Windisch-Graetz. L’empereur lui demanda simplement d’attendre ses dix-huit ans.

Le 10 janvier 1901, elle assista à son deuxième Bal de la Cour : même cérémonial, l’empereur avec l’archiduchesse Marie-Josèphe, mère de l’héritier en second, Charles, l’archiduc François-Ferdinand avec l’archiduchesse Marie-Valérie et l’archiduc Ferdinand-Charles avec l’archiduchesse Elisabeth-Marie. L’épouse morganatique de François-Ferdinand, Sophie, venait en dernier, après tous les autres membres de la famille impériale, dont elle n’était pas membre.

L’hiver fut une suite de bals et de dîners organisés par le grand-père pour sa petite-fille et par les grandes familles de l’empire dans leurs palais viennois. Puis ce fut le printemps avec le même cortège de réceptions et de voyages à Trieste, à Salzbourg. Tout n’était que fêtes autour de la jeune princesse qui partout brillait par son allure et sa beauté. Les plus beaux partis d’Europe et de l’Empire se pressaient autour d’elle. Otto Windisch-Graetz était parfois invité à certaines d’entre elles.

L’intelligence d’Elisabeth-Marie était aussi remarquée comme étant exceptionnelle. Seul son caractère, dont se plaignait son entourage, était une ombre au tableau.

Elle avait donc jusqu’au 2 septembre 1901 avant de parler de son amour à nouveau et de demander à nouveau l’autorisation du vieil empereur.

Erszi sentait bien un peu de résistance chez son amoureux, résistance qu’elle mettait sur le fait que le jeune homme, amoureux d’elle, sentait toutefois la différence qui existait entre une altesse sérénissime et une altesse impériale et royale de l’illustre Maison d’Autriche, et que ce de fait, il montrait une certaine retenue.

Elle demanda un entretien à son grand-père, quelques jours avant le 2 septembre, jour de ses dix-huit ans. Elle lui déclara d’emblée que sa décision n’avait pas changé et qu’elle souhaiter épouser le prince Otto. L’empereur donna son consentement immédiatement et s’engagea à voir le jeune homme afin de lui parler des sentiments de sa petite-fille. François-Joseph n’était pas satisfait mais il n’y avait rien à dire sur la famille et sur le jeune homme lui-même.

 8 Prince Otto Windisch-Graetz par Josias Kopay Arpad (1901)

Prince Otto Windisch-Graetz par Josias Kopay Arpad (1901)

Otto Windisch-Graetz fut appelé chez l’empereur. Ce dernier lui expliqua la situation. Sa petite-fille était amoureuse de lui. Il lui avait demandé d’attendre un an, ce délai était passé, elle persistait dans son amour. Le prince écouta, sans sourciller, dans une attitude toute militaire, et quand il eut la permission de parler, il déclara que jamais il n’avait pensé que l’archiduchesse puisse avoir un sentiment pour lui, qu’il était indigne d’un tel amour de par la différence existant entre eux, et que de toutes façons, il était déjà engagé depuis plusieurs mois auprès d’une autre jeune fille qu’il aimait. Rien ne pouvait faire plus plaisir à François-Joseph. Il fut soulagé, le jeune homme étant fiancé par ailleurs, il ne restait à sa petite-fille qu’à se choisir un autre prétendant.

Mais c’était mal la connaître. A  peine lui eût-il donné la réponse du prince que François-Joseph vit devant lui une jeune fille, déçue, en colère, qui n’hésita pas à lui déclarer dans le chantage le plus odieux que l’on ait pu faire au vieil homme : “ Mon père a préféré la mort à l’amour impossible, je ne la crains pas non plus, je lui offrirai ma jeunesse. Elle seule libère de la douleur”.

L’empereur effondré s’engagea à transmettre à nouveau la demande. Le second entretien entre les deux hommes fut entre le chef de l’armée impériale et royale et son subordonné. Le jeune officier insista dans son refus, arguant qu’il ne pouvait ni ne voulait reprendre sa parole. Après une hésitation, François-Joseph lui dit : “ Comme votre empereur et votre général d’armée, je vous dis d’épouser ma petite-fille l’archiduchesse Elisabeth-Marie de Habsbourg-Lorraine.” Le jeune homme claqua les talons et répondit : “Oui, Majesté !”  Le destin d’Otto Windisch-Graetz était scellé par l’ordre d’Elisabeth-Marie auquel sa fidélité à l’empereur l’obligeait à obéir.

9 Au moment des fiançailles  

Elisabeth-Marie, au moment de ses fiançailles

Ce fut un homme hébété, désespéré, qui sortit du cabinet impérial. Après une nuit passée en compagnie de son meilleur ami, le baron Max Wenninger, un officier comme lui, auquel il alla se confier, il finit par accepter son destin par devoir envers la dynastie. Bien des années après, François-Joseph mort et l’empire disparu, le baron Menninger raconta le désespoir du prince Otto cette nuit-là.

Les Windisch-Graetz se turent aussi et Otto, lui aussi bien des années plus tard, révéla à son fils aîné le secret de son mariage.

Celui-ci fut annoncé officiellement dans la presse le 15 octobre 1901. On décrivit le fiancé ainsi : “ Le prince Otto Wériand Hugo Ernest de Windisch-Graetz, né le 7 octobre 1873, est le plus jeune fils du Conseiller d’Etat, le colonel prince Ernest Windisch-Graetz et de la princesse Camille Oettingen-Spielberg. Elevé dans la maison familiale sous la surveillance de son père, homme de grande culture, historien et numismate, qui choisit pour son fils les meilleurs précepteurs. Plus tard il entra à l’école des cadets de Marisch-Weisskirche et ensuite au régiment de Uhlans Archiduc Otto, à Chrzanow, Olmütz et Vienne où il servit comme officier d’active. Pendant deux ans, il suivit l’enseignement de l’école militaire et passa ses examens avec succès.”

Les fêtes précédant le mariage commencèrent. Et il ne fut plus jamais question de la jeune femme délaissée par Otto pour la belle et impérieuse archiduchesse. On ne sut jamais qui elle était.

Résigné et sans amour, mais impressionné par sa fiancée, le jeune prince ne pouvait que parader au bras d’une des plus belles princesses d’Europe, un des plus beaux partis aussi. Le couple était splendide. Elisabeth-Marie avait gagné.

10 A la veille du mariage

Elisabeth-Marie et Otto à la veille de leur mariage

Le 23 janvier 1902, un jeudi, le mariage fut célébré dans la “Josephi Kapelle” de la Hofburg, dans la plus stricte intimité. Seuls étaient présents son grand-père, sa mère, des membres de la famille impériale, de la famille Windisch-Graetz et quelques ministres et hauts fonctionnaires. Elisabeth-Marie était habillée de satin blanc, avec un voile en dentelle de Bruxelles, un diadème en diamants formé par des feuilles de trèfles. Elle portait aussi deux énormes diamants comme boucles d’oreilles et avait une rivière de diamants autour du cou.

11 Robe de mariage

Exposition de la robe de mariage avec le trousseau, avant le mariage

Le mariage, célébré à 10 heures du matin, fut suivi d’un déjeuner rapide et à 12h 55, le jeune couple montait à bord de son train spécial.

12 Train Impérial

A l’intérieur du train impérial

Mais avant d’en arriver à ce jour, il avait fallu régler un certain nombre de problèmes matériels et dynastiques. Parmi les problèmes matériels, il y eut tout d’abord la constitution du trousseau, probablement un des plus beaux qui ait été constitué dans l’histoire de la famille impériale. Il fut exposé les 19 et 20 janvier 1902, des milliers de personnes se pressèrent pour admirer les dentelles de Bruges, les manteaux en chinchilla, zibeline, astrakan, vison, loutre de Sibérie, et hermine, les robes, les blouses, les chaussures, les sacs, les parapluies etc…tous faits dans les matières les plus précieuses. Le linge de maison comprenait cent quarante quatre parures de lit, deux cents nappes en damas, mille quatre cents serviettes, le tout aux armes des Habsbourg et des Windisch-Graetz. Il y eut les parures de diamants merveilles de l’orfèvrerie “Art Nouveau”. L’argenterie était considérable, remplissant plusieurs caisses.

13 Bijoux exposés avec le trousseau

Les bijoux d’Elisabeth-Marie exposés avant le mariage

Il fallut aussi signer le contrat de mariage. Le prince Otto n’avait aucune fortune, Elisabeth-Marie était fabuleusement riche. Son grand-père l’augmenta de quatre cent vingt mille couronnes, dont le revenu devait assurer le train de vie du jeune couple. Erszi en conservait la propriété mais elle devait être gérée par le mari qui s’engageait à verser à sa femme trente six mille couronnes par an, pour ses dépenses personnelles.

L’empereur conféra le titre de “Fürst” – prince – au futur mari. Il lui conféré aussi la Toison d’Or. Elisabeth-Marie gardait son titre d’Altesse Impériale et Royale, avec tous les honneurs qui allaient avec : ouverture des  deux battants des portes, présence aux cérémonies familiales, salut militaire etc…

 14 Le jeune couple

Le jeune couple

Il restait toutefois une dernière cérémonie à accomplir : l’acte de renonciation. De par la Pragmatique Sanction de 1713, Erszi était héritière des trônes d’Autriche-Hongrie, à défaut de descendant mâle. En raison de son mariage inégal, l’empereur lui avait demander de renoncer à ses droits dynastiques. Et c’est ce qu’elle fit le 22 janvier 1902. La cérémonie se déroula sous la présidence de l’empereur, assis sur son trône, dans la salle d’audience de la Hofburg. Etaient présents, les principaux archiducs, dont l’héritier du trône, François-Ferdinand, le premier grand-maître de la cour, le prince Liechtenstein, le grand-maître de la cour de l’archiduchesse, le comte Bellegarde, la comtesse Coudenhove, la grande-maîtresse, le cardinal-archevêque de Vienne, la comtesse Montenuovo et quelques officiers autrichiens et hongrois. Après la lecture de l’acte de renonciation,  par le ministre de la Maison Impériale, le comte Goluchowski, Elisabeth-Marie s’approcha,  et la main sur l’Evangile, lut à son tour le texte de la renonciation et le signa. Elle portait ce jour-là une robe de satin bleu clair brodée de fils d’argent avec une traîne de deux mètres cinquante, recouverte d’une cape en soie blanche lamée argent bordée de chinchilla.

Elle avait renoncé à sa position dynastique par amour et il n’a pas semblé que cette renonciation lui ait beaucoup pesé. Elle aimait et c’était le principal. Il faut dire que ses chances de monter sur le trône n’étaient pas grandes, vu le nombre d’archiducs avant elle, et qu’elle gardait sa position sociale ainsi que que sa fortune. Elle conservait aussi l’amour de son grand-père et celui plus distant de sa mère.

En montant dans le train, Elisabeth-Marie princesse Otto Windisch-Graetz, était heureuse car elle avait ce qu’elle voulait, l’homme qu’elle aimait à ses côtés, sans se poser jamais la question de savoir s’il l’aimait, tant il était évident pour elle qu’il ne pouvait en être autrement.

La première destination de ce voyage de noces fut le château de Seebach in Obrerkrain, sur les bords du lac de Veldes ( Bled aujourd’hui) en Slovénie, une des terres les plus fidèles aux Habsbourg. La vieille demeure des Windisch-Graetz avait été modernisée pour accueillir le couple et une suite de cinq pièces entièrement refaites à neuf fut mise à leur disposition, ainsi que sept domestiques pour assurer leur confort. Il faisait très froid mais le jeune couple, Elisabeth-Marie la première, fut enchantée de ce séjour d’une semaine, durant lequel, ils durent toutefois consentir à assister à quelques réceptions données en leur honneur. Le bonheur semblait s’installer.

15 Le château de la famille Windisch-Graetz en Slovénie

Château de Seebach in Obrerkrain, propriété des Windisch-Graetz

Puis ce furent les étapes obligées d’un voyage de noces quasi impérial. Florence, Rome, Naples, Palerme où les diverses membres de la famille d’Erszi avait été chez eux au cours des siècles. Puis ce furent Malte et enfin l’Egypte où ils débarquèrent à Alexandrie le 10 février 1902. Le 10 mars, ils étaient à Assouan. Le Caire les accueillit à nouveau après une croisière de treize jours sur le Nil, où ils admirèrent toutes les merveilles de la civilisation égyptienne. Jérusalem où ils assistèrent aux offices de la Semaine Sainte, Athènes où le roi Georges Ier les reçut en cousins, Constantinople constituèrent les dernières étapes du voyage. Puis début mai, ce fut le retour à Vienne après trois mois et demie de voyage. Otto y reçut de l’empereur son affectation à l’état-major de la 9ème division d’infanterie, basée à Prague. Pour Elisabeth-Marie, c’était la première fois qu’elle allait résider hors de Vienne, où le jeune couple disposait malgré tout de la moitié du Palais Windisch-Graetz, mis à leur disposition par le père d’Otto, 21 Strohgasse, dans le IIIème arrondissement de Vienne.

 

16 Palais Windisch-Graetz 21 Strohgasse

Palais Windisch-Graetz à Vienne  21 Strohgasse

Tout au long de ce voyage extraordinaire, rien n’avait été refusé à la petite-fille de l’empereur d’Autriche. Le luxe du train spécial tout d’abord, avec ses salons tendus de soie damassée, des fleurs partout et des vivats tout au long du voyage, tout ne fut que fête autour d’eux. Et Erszi se plia volontiers à tout le cérémonial qui lui semblait naturel. Elle ne réalisait pas encore qu’elle n’était plus archiduchesse d’Autriche mais une simple princesse. Otto, de son côté, que son mariage avait mis d’emblée au plus haut de la société et lui avait apporté un luxe que son manque de fortune personnelle ne lui aurait jamais permis, était un grand seigneur et sa nouvelle vie lui semblait naturelle. Le couple était heureux, chacun avait ce qu’il voulait.

 17 Armes de princes Windsich-Graetz

 

Armes des princes Windisch-Graetz

A suivre… Merci à Patrick Germain pour cette deuxième partie.