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Héritier de l’illustre Maison dont il porte le nom, le célèbre créateur Jean-Paul Guerlain présentera le 6 juin prochain la nouvelle « Rose Jean-Paul Guerlain » élaborée par l’obtenteur Jean-Jacques Gaujard.  On ne peut évoquer le parcours de Jean-Paul Guerlain sans rappeler d’abord l’immense succès qu’a connu l’entreprise Guerlain depuis sa création à Paris en 1828.

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La première boutique est ouverte rue de Rivoli au sein de l’hôtel Meurice par Pierre-François-Pascal Guerlain. Celui-ci confectionne et vend savons, poudres et eaux de toilettes. Misant sur le prestige et la qualité des produits, Guerlain a également le souci de la personnalisation des parfums qu’on lui commande. La Reine des Belges et la duchesse de Berry comptent rapidement parmi ses clients les plus célèbres. Guerlain s’installe ensuite rue de la Paix où il continue de développer crèmes et fragrances qui remportent toutes un vif succès autant en France qu’à l’étranger.

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En 1853, il reçoit de l’impératrice Eugénie pour qui il avait composé l’Eau de Cologne Impériale le titre de « Parfumeur breveté de Sa Majesté ». Il devient peu à peu le fournisseur de la reine Victoria et du prince de Galles, de la reine Isabelle d’Espagne ou encore de l’impératrice Elisabeth d’Autriche. Les créations se multiplient à la fin du XIXème siècle et jusque dans les années 1920. Les plus marquantes sont Jicki (1889), Mitsouko (1919) ou encore Shalimar (1921). Shalimar est un parfum conçu en hommage à la princesse Mumtaz Mahal pour laquelle Shah Jahan fit édifier le Taj Mahal. Une deuxième boutique est ouverte Avenue des Champs-Elysées. Dans les années 1930, Guerlain se développe à Berlin et à New York puis ouvre une troisième boutique place Vendôme.

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Ci-dessus, le jeune Jean-Paul Guerlain avec son grand-père. Né à Paris en 1937, Jean-Paul Guerlain rejoint très tôt l’entreprise familiale. Auprès de son grand-père Jacques Guerlain, il apprend le métier de nez. À partir de 1955 et pendant près de cinquante ans, les créations de Jean-Paul Guerlain vont marquer l’histoire du parfum : Vétiver (1956), Chamade (1969), Eau de Guerlain (1974), Jardin de Bagatelle (1983) pour ne citer qu’elles. Tout au long de sa carrière, le parfumeur a le souci de travailler avec des essences naturelles soigneusement sélectionnées au cours de ses multiples voyages dans le monde entier.

En 1992, Jean-Paul Guerlain prend la direction de l’entreprise. Il reste à sa tête pendant dix ans. Guerlain appartient aujourd’hui au groupe LVMH. Âgé de 78 ans, Jean-Paul Guerlain vit non loin de Paris et s’adonne à sa passion pour le dressage de chevaux. Il a volontiers accepté de nous recevoir pour partager ses souvenirs avec les lecteurs de Noblesse & Royautés. (Merci à Alexandre Cousin pour ce reportage)

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A.C. : Jean-Paul Guerlain, quel souvenir gardez-vous de votre apprentissage auprès de votre grand-père Jacques Guerlain ?

Jean-Paul Guerlain : Je n’aurais jamais dû être parfumeur. Mon frère aîné devait reprendre l’activité de mon grand-père. J’ai suivi des études littéraires au lycée Condorcet à Paris. Alors que j’étais en train de passer le concours général des lycées en littérature, j’ai commencé à connaître des problèmes de vue qui m’ont empêché de poursuivre mes études. J’ai alors rejoint mon grand-père qui m’a formé au métier de nez. Je garde le souvenir de sa passion pour les produits naturels. À l’usine de Courbevoie, j’ai réalisé mes premières expériences. Ma première réalisation a été la reconstitution de l’essence de jonquille. Mon grand-père l’a sentie et l’a trouvée très bonne. C’est toujours celle qu’on utilise aujourd’hui.

A.C. :Quelles qualités avez-vous dû développer pour devenir créateur à votre tour ?

C’est un métier où il faut aimer sentir mais aussi avoir une mémoire olfactive. Mes deux plus vieux souvenirs olfactifs sont les suivants : pour l’anniversaire de mes trois ans, ma nanny irlandaise m’avait présenté une tarte aux fraises dont le parfum m’a profondément marqué. Ensuite depuis l’époque du lycée, je garde en mémoire le parfum de la vanille présent dans les crêpes que nous mangions avec mes camarades. La mémoire est très importante dans la création.

A.C. :Quel est votre premier succès ?

C’est Vétiver, mon premier parfum. C’est un parfum pour homme. Je l’ai conçu pour le marché mexicain. Lorsqu’il est sorti, mon grand-père était visiblement convaincu puisqu’il a téléphoné à mon père pour lui dire que c’est moi qui prendrai sa succession dans l’entreprise familiale !Depuis, j’ai créé environ soixante-dix parfums.

A.C. : Quelles ont été vos différentes sources d’inspiration ?

L’amour et les femmes ont été une grande source d’inspiration. Selon moi, le parfum, c’est la forme la plus intense du souvenir. J’ai notamment créé le parfum Samsara pour une femme d’origine anglaise, Decia de Pauw.

A.C. :Quelle a été votre devise tout au long de votre carrière ?

Toujours utiliser des produits naturels. Guerlain est aujourd’hui la dernière entreprise à utiliser des produits naturels.

A.C. :Quelles célébrités avez-vous parfumées ?

Dans l’histoire de Guerlain, l’une des commandes les plus célèbres est l’Eau de Cologne Impériale pour l’impératrice Eugénie. Des abeilles dorées ornaient spécialement ses flacons. Pour ma part, j’ai parfumé un membre de la famille du roi du Maroc ainsi qu’un président de la République française. J’ai également offert un parfum à la reine Elizabeth II lors d’un séjour à Paris.

A.C. : En 2014, vous avez été élevé au rang de Commandeur de l’Etoile de Comore. Quelles sont vos relations avec les Comores ?

Pendant longtemps, j’ai importé des essences des Comores pour fabriquer mes parfums. Les Comores sont un pays où on produit beaucoup de matières premières comme le vétiver ou la vanille. J’ai construit et équipé une usine sur place. Pendant vingt ans, elle a été en activité.

A.C. : Jean-Jacques Gaujard vous dédie la « Rose Jean-Paul Guerlain ». Que représente cette fleur pour vous ?

La rose, c’est l’une des plus belles fleurs. C’est aussi le produit le plus noble de toute la parfumerie, avec le jasmin. La Rose Jean-Paul Guerlain a un parfum puissant. Elle a une couleur soutenue. Les roses qui ont une couleur soutenue sont les plus odorantes. Nahéma, que j’ai créé en 1979, est un véritable bouquet de roses, un hymne à la rose. C’est un de mes parfums préférés.

A.C. :Comment se déroulera le baptême de la rose ?

Je me réjouis que le baptême de cette rose ait lieu au Château de la Celle-les-Bordes, chez Monsieur Thierry Gobet qui nous témoigne l’amitié d’ouvrir son château pour la réception. C’est un lieu magnifique que j’affectionne particulièrement. La présence d’un violoniste et d’un violoncelliste de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et la lecture de poèmes de la poétesse Gabrielle de Lassus Saint-Geniès donneront beaucoup d’éclat à cet évènement.

A.C. :Enfin, pourriez vous nous parler de votre passion pour les chevaux ?

Les chevaux ont toujours eu beaucoup d’importance dans ma vie. Mon grand-père avait un haras, ma mère et mon oncle pratiquaient la chasse à courre. J’aimais beaucoup préparer les chevaux de ma mère. J’ai été cavalier et ai participé à plusieurs courses. J’ai dû arrêter quand mes problèmes de vue ont commencé mais je garde toujours la passion du dressage. Ma famille partage également la passion du cheval. Ma compagne Kristina de Kragh a remporté il y a quelques jours le Grand Prix des chevaux arabes à Saint-Lô.unnamed999

 

Decia de Pauw a été la muse de Jean-Paul Guerlain pendant près de vingt ans. Pour elle, en 1989, il créé le parfum Samsara. Nous l’avons rencontrée.

A.C. : Decia de Pauw, comment votre rencontre avec Jean-Paul Guerlain a t-elle eu lieu ?

Decia de Pauw : C’est notre passion commune pour le cheval qui a décidé de notre rencontre en 1985. Nous avions le même entraîneur, Patrick le Rolland, un très grand dresseur. Nous nous sommes rencontrés par son intermédiaire, lorsqu’il est venu entraîner mes chevaux.

A.C. :Vous êtes l’inspiratrice du parfum Samsara. Quelles ont été les essences utilisées pour sa création ?

J’avais l’habitude de parfumer l’eau de mon bain avec de l’huile de jasmin et de bois de sental, deux essences que j’affectionne particulièrement. Jean-Paul Guerlain a créé un parfum à partir de ces deux essences. C’est la première fois qu’il réalisait cet accord. Le parfum de Samsara est très reconnaissable. Je me souviens qu’au moment de sa création, les gens venaient m’accoster dans les rues de Vienne pour savoir quel était mon parfum !

A.C. :Jean-Paul Guerlain vous a dédié un parfum, aujourd’hui c’est à lui qu’on dédie une rose. Que pensez-vous de cet hommage au parfumeur ?

Il s’agit d’un très bel hommage. Jean-Paul Guerlain aime tellement les fleurs, en particulier les roses. C’est un passionné de jardins. En Allemagne, nous allions avec beaucoup d’enthousiasme chez les Bruns, une famille très ancienne qui possède l’une des plus grandes pépinières au monde. Comme j’aime beaucoup les rhododendrons, la famille m’en avait même dédié une variété.

A.C. :Comment votre passion pour les chevaux est-elle née ?

J’ai commencé à monter à cheval toute petite, puis j’ai arrêté pendant quelques années. J’ai repris l’équitation à l’École espagnole d’Équitation de Vienne. J’ai ensuite participé et remporté plusieurs courses en Europe. En 1988 notamment, j’ai remporté le Grand Prix de dressage à Goodwood. La passion du cheval ne m’a plus jamais quittée depuis.

A.C. :Parmi vos rencontres sur les champs de courses, y en a t-il une que vous souhaiteriez nous faire partager ?

Il y en a eu beaucoup ! Je pense par exemple à une réception donnée au Château de Windsor en l’honneur du prince Philip. Ce n’était pas à l’occasion d’une course mais pour la remise d’un prix de match de polo remporté par le prince – un grand passionné de chevaux et de polo. Le dîner s’est déroulé dans la grande salle de réception du château. Nous avons discuté des restaurations qui venaient de se terminer [à la suite de l’incendie de 1992, ndlr] et qui avaient rendu à la salle toute sa magnificence. C’était une très belle rencontre.

Nous remercions bien vivement Monsieur Jean-Paul Guerlain et Madame Decia de Pauw de nous avoir offert ces interviews.

Reportage Alexandre Cousin – crédits photos © droits réservés.